Petit point dico pour commencer. Les technologies de Captage et de Stockage du CO2 (ou CSC) consistent à capturer artificiellement les rejets de dioxyde de carbone présents dans l’atmosphère ou directement à la sortie des activités industrielles très polluantes (telles que les centrales thermiques les gazières, les raffineries, les usines sidérurgiques ou pétrochimiques ou encore les cimenteries). Il s’agit donc de capter, transporter, puis stocker ou valoriser le carbone. 

De quoi parle-t-on ? 

Qu’elle se fasse en post-combustion (séparation des gazs dans les fumées de combustion), en pré-combustion (décarbonation du combustible avant la combustion), en oxycombustion (remplacement de l’air par du dioxygène pour émettre un flux très concentré en dioxyde de carbone), ou par adsorption (fixation du CO2 sur une surface solide), l’étape de captage semble relativement maîtrisée par la communauté scientifique et les acteurs industriels. Le transport du carbone (liquéfié ou gazeux comprimé) en camion, bateau, par canalisation ou pipeline, s’effectue également sans embûches majeures, depuis plusieurs dizaines d’années maintenant. 

Vient alors le stockage. Vous trouverez au fil de vos lectures une myriade de solutions avancées pour entreposer, déverser, injecter, abandonner ou séquestrer le carbone capturé en tous endroits de la planète. Dans les fleuves, entre deux plaques de schiste, au coeur des aquifères salins, dans des veines de charbon préalablement vidées du méthane qu’elles abritent, au fond des océans ou des abysses sous des couches de fer, dans d’anciens réservoirs de pétrole, à plus de 1000 m sous nos pieds…chacune de ces pistes présentant, pour le moment, des risques non négligeables et non acceptables pour l’écosystème (terrestre ou marin) : l’air, l’eau, la faune, la flore et l’humain. 

Reste la valorisation ou l’inertage. Ces méthodes qui, pour faire simple, consistent à transformer le carbone en minéraux, en imitant le très long processus naturel de minéralisation, sont sûres et durables. Mais elles sont soit trop coûteuses, soit trop gourmandes en énergie (le comble quand il s’agit de réduire les effets de notre consommation d’énergie), soit mal maîtrisées à grande échelle. 

émission carbone

La valorisation du dioxyde de carbone en autres produits réutilisables(combustibles, produits chimiques, isolants, liquides synthétiques) est privilégiée mais à un stade très précoce de développement et empreinte de forts handicaps techniques et financiers quand ils ne sont pas sanitaires.

Enfin, il me faut mentionner la récupération du dioxyde pour des usages industriels, comme par exemple l’extraction des résidus de pétrole dans les réservoirs grâce au carbone liquéfié. Ces procédés à fins commerciales sont marginaux et ne peuvent constituer une solution de long terme pour la quantité de rejets à l’échelle planétaire.

A quoi ça ressemble ?

Il ne s’agit pas ici de dresser la liste exhaustive des projets, mais de parcourir en un clin d'œil différentes approches des secteurs de l’industrie, de l’électronique, de l’énergie et du transport. 

Les premiers projets européens de CSC ont fait timidement leur apparition dans les années 2000. Faute de recul, de financement, de faisabilité ou d’aboutissement, nombre d’entre eux ont été abandonnés. Relancés dans les années 2010 avec plus de vigueur, ils deviennent, une décennie plus tard, une technologie largement plébiscitée par les industriels, dans leur poursuite de la réduction des émissions.

La première initiative française de grande ampleur a été inaugurée à Dunkerque en 2019. Porté entre autres par ArcelorMittal et Total et largement financé par l’Union Européenne, le projet 3D travaille encore à démontrer son efficacité et à préparer sa mise en œuvre initiale, prévue pour 2025. A termes, les porteurs défendent l'établissement du pôle européen Dunkerque-mer du Nord, qui pourrait capter, transporter via pipeline et bateau, puis stocker 10 millions de tonnes de CO2par an, pour une exploitation en 2035. Ici, il est question d’injecter le gaz comprimé dans des aquifères salins (comprendre des poches hyper-profondes d’eau salée impropre à la consommation) au large de la Norvège. 

En 2019, on ne comptait que 23 usines de capture dans le monde, principalement en Amérique du Nord. Mais les choses ont déjà beaucoup changé. L’engagement de la Chine et sa capacité à développer des technologies à grande échelle, l’émergence de nouvelles études en Europe et en Asie, le fort intérêt des nord-américains pour la question, ont, à peine deux ans plus tard, considérablement modifié ce paysage. 

En 2020, un coup d’accélérateur était mis, par LafargeHolcim et ses pairs, sur les techniques permettant de récupérer le carbone à des fins commerciales : l’utiliser pour parfaire l’extraction de pétrole. Début 2021, et pour joindre l’utile au rentable ici encore, Taisei, un des principaux acteurs japonais du BTP, dévoilait une technologie permettant d'enfermer le dioxyde de carbone dans le béton lors de la fabrication. 

Parmi ceux qui misent sur la seconde vie du carbone, le japonais Mitsubishi Heavy Industries ambitionne de se servir du gaz recyclé comme matière première pour produire de l’ammoniac ou de l'hydrogène. Encore plus pertinentes sont les innovations permettant une réutilisation immédiate du produit, qui balbutient ici et là. L’Ecole polytechnique de Lausanne par exemple promet une captation au pot d’échappement des poids-lourds, une liquéfaction puis une réutilisation comme carburant. 

Il y a ceux qui achètent le produit des autres : Shopify est ainsi devenu le premier client de la compagnie canadienne Carbon Engineering, qui ambitionne de recycler le CO2 présent dans l’air ; et ceux qui vont compenser leurs émissions par l’achat de crédits carbone, comme General Motors

pollution dioxyde

Enfin, l’engouement pour la question pousse bon nombre d’acteurs à annoncer verdir leurs activités en investissant des gros sous dans la capture sans qu’on sache bien par quel moyen, c’est le cas de Chevron, qui promet plus d’un milliard de dollars ou Exxon Mobil, avec 3 milliards de dollars d’ici 2025, pour alléger le bilan de leurs activités pétrolières et gazière. 

Pourquoi ça coince ? 

Les vingt dernières années et encore aujourd’hui, ce sont bien sûr les aspects financiers qui ont constitué le frein majeur à l’exploration et la généralisation de ces techniques. Comme le déploiement des méthodes de capture est principalement financé par les acteurs polluants, il leur faut bien trouver une opportunité économique. Il est aussi nécessaire que le prix de la tonne de CO2 produite soit inférieur au prix du carbone sur le marché, ce qui n’est pas le cas actuellement. 

Les coûts additionnels de transport (la mise en place de réseaux routiers ou de canalisation) constituent aussi un obstacle majeur. C’est pour cette raison que les injections dans les aquifères sont privilégiées, car ces poches géologiques sont réparties à peu près partout sur la planète. 

Le manque de coordination des politiques, des réglementations et des investissements publics, sont bien sûr pointés du doigt, car primordiaux pour établir des lignes de fonctionnement transnationales. Ici, les freins “électoraux”, soit la mauvaise réception par les populations des efforts économiques à fournir, sont aussi à mentionner. 

Les risques industriels expliquent la frilosité de certains émetteurs à s’engager dans la recherche. Pourquoi se donner la peine quand il suffit d’attendre qu’un autre partage des échecs, ses retours d’expériences et ses découvertes ?

Parmi les résistances écologiques, je vous ferais (partiellement) grâce des impacts extrêmement négatifs sur la biodiversité et la santé humaine (pollution, asphyxie, acidification ou désertification des écosystèmes), pour ne citer que les réticences des associations convaincues que les CSC sont des diversions permettant de détourner le regard du vrai problème : limiter nos rejets et changer nos habitudes en matière d’usage d’hydrocarbures. 

capture du carbone

Quels que soient les blocages, ils s'atténuent progressivement pour laisser fleurir, ça et là, les différentes initiatives. En 2050, on devrait compter 2000 sites de CSC à travers le monde, capables de capter 750 millions de tonnes de CO2 par an, selon l’Agence internationale de l’énergie. Le problème : les émissions de carbone issues uniquement de la production d'électricité aux États-Unis ont atteint 1,6 milliard de tonnes en 2019, selon la même agence. 

Les bonnes nouvelles ? 

Ce qu’il faut retenir, c’est que les CSC ne sont pas assez matures, peu déployées, ont des conséquences encore inconnues et surtout, ne concernent que les échappements de carbone, sans prendre en compte les autres produits chimiques toxiques dispersés dans l’atmosphère. 

Mais rassurez-vous, il a tout de même des bonnes nouvelles. La multiplication des incitations économiques et fiscales, les obligations en matière de quantité de rejet, de capture, de réinjection et de réutilisation, et l’intérêt grandissant pour la question des CSC ne peuvent qu’être salués. 

Le développement rapide des technologies alternatives, qu’elles concernent l’éolien, le solaire, un usage plus intensif de l’hydrogène ou du gaz naturel dans la production d’énergie, et leur déploiement croissant devraient aider les industriels et les Etats à s’approcher de leurs objectifs. 

L’excellente nouvelle, c’est que la meilleure solution est déjà toute trouvée, peu coûteuse et très sûre. J’aurais pu la dévoiler dès le début mais c’eût été gâcher votre plaisir de lecture : il n’existe pas de capture et de séquestration plus efficaces que celles opérées par les forêts, les mangroves, les prairies et les marais.