Le déficit budgétaire de la France a largement dépassé l'objectif de 5,5% en 2023, en hausse par rapport à l'année précédente, contrairement à d'autres grandes économies de la zone euro. Le gouvernement hexagonal a déjà relevé son objectif de déficit pour 2024 de 4,4% à 5,1%. Les critiques fusent de partout, même de l'intérieur. Les plans de réduction du déficit manquent de crédibilité en l'absence de détails supplémentaires sur la réduction des dépenses, a estimé cette semaine l'organisme français de surveillance des finances publiques.

Les agences de notation sont à l'affût et commenceront à examiner le pays la semaine prochaine. Les inquiétudes concernant la viabilité de la dette dans la zone euro se sont généralement concentrées sur les Etats les plus pauvres d'Europe du Sud plutôt que sur la deuxième économie de l'Union et son plus grand marché d'obligations d'État, avec un encours de 2 463 milliards d'euros. Mais le malaise suscité par l'augmentation des niveaux d'endettement dans le monde, y compris aux Etats-Unis, s'accroît, et le FMI a exhorté mercredi les pays à restreindre leurs dépenses.

"Nous sous-pondérons fortement les obligations françaises", a souligné David Zahn, responsable des titres à revenu fixe européens chez Franklin Templeton, qui gère 1 400 milliards de dollars d'actifs. "C'est vraiment la situation budgétaire qui nous préoccupe le plus."

Les agences de notation vont bientôt trancher

Ces dernières semaines, les rendements obligataires français ont légèrement augmenté par rapport à ceux de l'Allemagne et des Pays-Bas, mieux notés, tandis que les coûts d'emprunt de l'Italie et de l'Espagne, moins bien notés, ont diminué par rapport à ceux de la France au cours des douze derniers mois. L'agence Fitch, qui a abaissé la note de la France à AA- l'année dernière, et Moody's, doivent publier leur évaluation du pays le 26 avril. S&P Global suivra le 31 mai. Moody's, qui note la France Aa2, a déclaré le mois dernier que Paris devrait intensifier ses réductions de dépenses. Les perspectives négatives de S&P Global sur la note AA du pays augmentent le risque d'un abaissement de la note.

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Rendement des obligations à 10 ans de 7 pays européens

Chris Jeffery, responsable de la stratégie macroéconomique du plus grand investisseur britannique, Legal & General Asset Management, pense que les marchés sous-estiment le risque français. Il sous-pondère les obligations françaises depuis la mi-2023. Les notes de crédit de l'Espagne sont inférieures de plusieurs crans à celles de la France, malgré un déficit et un ratio dette/PIB plus faibles, une différence que Jeffery juge "insoutenable". Il estime que la France a "des fondamentaux macroéconomiques parmi les plus faibles des principales économies européennes et les agences de notation sont excessivement généreuses à son égard en raison de son statut politique et de sa taille."

La prime d'environ 50 points de base que la France paie actuellement par rapport à la dette allemande est conforme à la moyenne de 2022 et 2023, selon les données du LSEG, mais elle représente environ le double des niveaux d'avant la pandémie. David Zahn, de Franklin Templeton, juge que les obligations françaises ne compensaient pas les risques encourus par les investisseurs et qu'elles devraient être négociées comme les obligations espagnoles, qui offrent un rendement supplémentaire de 30 points de base par rapport à la dette allemande.

Toutefois, d'autres investisseurs sont prêts à tolérer un dérapage budgétaire plus longtemps car les obligations françaises sont considérées comme un actif relativement sûr pour la zone euro qui fait face à une pénurie de dette de haute qualité, compte tenu de la taille de son marché et de sa notation AA - la deuxième catégorie la plus élevée.

"Nous sommes neutres sur la France, car nous ne pensons pas que l'histoire fiscale puisse causer suffisamment de volatilité", a déclaré James Ringer, gestionnaire de fonds chez Schroders, qui s'attend à ce que la France conserve ses notes AA pendant un certain temps.

La France pourrait également bénéficier d'une croissance économique toujours supérieure à la moyenne de la zone euro.

Des réformes structurelles nécessaires

La France, comme l'Italie, devrait être confrontée à une procédure de réduction du déficit de la part de l'UE. En dépit des promesses de coupes budgétaires, le déficit ne devrait pas revenir rapidement sous la barre des 3% fixée par l'UE. Les marchés ont également ignoré les risques en Italie, où les obligations ont surperformé leurs équivalents régionaux malgré des annonces de mesures moins élevées qu'en France.

Rabobank prévoit un déficit français de 3,6% d'ici 2028 en raison de l'augmentation des coûts d'intérêt. Pour passer sous la barre des 3%, il faudrait que le déficit hors paiements d'intérêts reste proche de 0% pendant quelques années, ce qui serait un défi pour un gouvernement qui, parmi les économies développées, est celui qui dépense le plus.

En l'absence de changements politiques, Morgan Stanley prévoit que la dette de la France atteindra 132% du PIB d'ici 2040, contre 111% actuellement, tandis que l'Espagne et l'Italie devraient rester à peu près inchangées, à 111% et 136%, respectivement.

Le système de partis dispersés de la France rend les réformes plus difficiles, a déclaré Ales Koutny, responsable des taux internationaux chez Vanguard, le deuxième plus grand gestionnaire d'actifs au monde, qui préfère la dette espagnole.