"L’origine même de l’activation du mécanisme de coupe circuit sur le marché des actions chinoises est discuté. Si pratiquement personne n’a vu venir le surcroit d’agitation sur le marché, beaucoup se sont efforcés à l’expliquer à posteriori.
L’idée généralement partagée est celle d’une accentuation des craintes des investisseurs sur l’état de santé de la deuxième puissance économique mondiale. En particulier, dans la nuit de dimanche à lundi, le PMI manufacturier CAIXIN (chinois, pour décembre) a fait état d’un résultat de 48,2 contre un précédent de 48,6 et une attente fixée à 49,0. Largement en dessous du point médian fixé sur la valeur de 50, cet indice en repli depuis dix mois consécutifs a relancé les appréhensions sur l’ampleur du ralentissement économique du géant émergent.  La perspective de voir l’interdiction de vente de titres imposée cet été par les autorités à un certain nombre de grands actionnaires détenant plus de 5% du capital a poussé les investisseurs non soumis à cet empêchement de passer leurs ordres de vente au plus vite.
Les principaux indices chinois ont lâché lors de ces deux journées d’épouvante 7% de leur valeur tant et si bien que l’indice composite de Shanghai enregistre depuis le 1er janvier une chute de 12,54%.

Au lieu d’arranger les choses, le coupe-circuit les a aggravés

Pour Kamel Mellahi, professeur à la Warwick Business School, spécialiste de la question chinoise, il est à croire qu’au lieu d’améliorer la tendance sur le marché des actions chinoises, le mécanisme de coupe circuit mis en place ce lundi 4 janvier l’a plutôt empirée. «Un tel mécanisme ne semble pas avoir eu les effets escomptés. Il a généré davantage un phénomène de panique qu’une accalmie».

«Jusqu’à lundi, la seule contrainte majeure existante concernait les titres. Une chute de 10% du prix sur une journée entraînait l’interdiction de vendre en dessous de ces 10% de baisse mais permettait toujours à des acheteurs de se présenter et de venir servir les vendeurs à ce prix. Le titre n’était pas suspendu. Désormais, lorsque le marché baisse de 5%, il est suspendu entièrement pour 15 minutes - on ne peut ni vendre ni acheter - puis reprend. A -7%, il ferme définitivement pour la journée. Lorsque le marché suspend à -5%, le risque d’aller à -7% pousse les investisseurs sensibles à accélérer les ventes et sortir à n’importe quel prix avant que le marché tombe sous les 7%, avec à la clé un effet boule de neige auto-réalisateur. Alors que précédemment, nombre d’instructions de ventes était réalisé sur la journée, désormais beaucoup choisissent des ordres « au marché » pour sortir au plus tôt» explique David Gaud, gérant senior chez Edmond de Rothschild Asset Management. «A cela s’ajoute la séquence d’opacité totale durant les 15 minutes de suspension à -5%. Durant ce laps de temps, tous les ordres sont effacés des écrans et il n’y a plus d’indications de prix et de volumes, ni aucune indication sur l’évolution des instructions ; ce brouillard complet accentue les craintes et on assiste à l’augmentation des tailles des ordres de vente et des instructions de plus en plus radicales» poursuit l'expert d'Edram.

L’inefficience du mécanisme a dernièrement été actée par l’autorité de régulation des marchés financiers qui a fait le choix de suspendre son fonctionnement.

La difficile tache de la Banque centrale de Chine (PBOC)

La PBOC a semblé manifestement prise entre le marteau et l’enclume. Agissant dans un premier temps pour limiter la dégringolade du yuan résultant de sorties massives de flux de capitaux, l’institution monétaire a fini par laisser filer la devise nationale.
En toute vraisemblance, cette attitude ne devrait pas se prolonger durablement. « S’appuyer sur une dépréciation de la devise pour stimuler la croissance est très tentant mais ce serait cependant se servir d’une arme à double tranchant » signale Kamel Mellahi. « Un yuan plus faible peut soutenir les exportations et aider l’économie mais il risque également d’accroitre les sorties de capitaux rendant ainsi l’investissement sur le marché des actions encore moins attractif et de renchérir le cout des importations ».

La nécessaire intervention du gouvernement

« Je m’attends à ce que le gouvernement chinois intervienne fermement et publiquement pour remédier à la nervosité des investisseurs » indique Kamel Mellahi. Cette intervention va quelque peu ébranler l’ engagement pris de laisser les mécanismes du marché avoir plus d’influence à l’avenir, mais elle sera nécessaire pour mener à bien les réformes requises en vue de rééquilibrer l’économie.

Un nouveau régime de volatilité auquel il faudra s’habituer

De l’avis du professeur de la Warwick Business School, les investisseurs occidentaux vont devoir s’habituer aux secousses sur le marché des actions chinoises compte tenu du fait que l’économie du pays est en train de connaitre un processus de transition très délicat qui requière de multiples ajustements très difficiles. « Le marché des actions chinoises navigue dans des eaux troubles et les cours de bourse vont continuer à fluctuer au fur et à mesure que la Chine cherchera à rééquilibrer son économie tout en s’efforçant de conserver intacte la trajectoire de la croissance ».
Cette volatilité sera d’autant plus persistante que les investisseurs particuliers qui représentent une large proportion des échanges sur le marché n’ont pas de stratégie d’investissement de long terme et sont enclins à vite se retirer en cas de panique. « Il faut s’attendre à ce que ces derniers persistent à réagir promptement à la publication des mauvaises statistiques économiques chinoises. L’affaiblissement du yuan retirant de l’attractivité au placement en actions, nous devrions encore voir des ruées d’opérations vendeuses motivée par une mentalité moutonnière dans les mois à venir ».

Un effet de contagion de court terme

La volatilité exacerbée sur les marchés des actions et de la devise chinoises a eu un effet de contagion sur le reste des marchés financiers internationaux. L’impact devrait encore se faire sentir à court terme, mais devrait notablement s’atténuer à moyen-long terme, estime Kamel Mellahi.






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