Un début d’année 2022 plein d’espoir

Fin janvier, Sam Bankman-Fried, encore à la tête de la plateforme, a annoncé son premier exploit avec sa structure américaine : FTX.US a atteint une valorisation de 8 milliards de dollars. Quelques jours plus tard, nouvel exploit pour SBF : la structure globale FTX a atteint une valorisation de 32 milliards de dollars - grâce aux dépôts des clients, mais ça on ne le sait pas encore. C'est à peu près à cette époque que les tours de financement disproportionnés ont commencé à affluer. Les sociétés d'infrastructure de blockchain Alchemy et Fireblocks ont levé respectivement 10,2 milliards et 8 milliards de dollars. De son côté, Circle, l'émetteur de l’un des principaux stablecoins, USD Coin (USDC), a déclaré non seulement qu'il prévoyait toujours de s'introduire en bourse par le biais d'une opération de type SPAC, mais aussi que sa valorisation atteindrait 9 milliards de dollars, soit le double de ce qu'il avait annoncé l'année dernière. Finalement, l’opération n’a pas eu lieu en 2022. 

Tout cela a été rendu possible par des capital-risqueurs, souvent peu consciencieux, qui regorgeaient de liquidités. En début d’année, le célèbre fonds d’investissement Sequoia Capital a déclaré qu'elle levait jusqu'à 600 millions de dollars pour investir dans les actifs numériques. Même les grands noms de la finance traditionnelle comme BlackRock et Fidelity Investments ont financé des sociétés de la cryptosphère, dont FTX. 

Mais la crypto ne s’arrête pas à la sphère financière. Des célébrités allant de Tom Brady, en passant par Kim Kardashian pour aller jusqu’à Paris Hilton vantaient leurs investissements en crypto. Les noms des plateformes ont été apposés sur les stades, et le Super Bowl de février a été surnommé "le crypto bowl".

Mais tout cela commençait à être louche pour les régulateurs. Pour commencer, le gendarme boursier américain, la Securities and Exchange Commission (SEC), a infligé à BlockFi une amende de 100 millions de dollars pour son produit de prêt de crypto-monnaie non enregistré. Mais sur scène la fête continuait, rien de tout cela ne semblait avoir d'importance. En avril, il y a eu “Crypto Bahamas”. 

Anthony Scaramucci, directeur de la communication de la Maison Blanche depuis moins de 15 jours à l'époque, a organisé sa conférence SALT avec Bankman-Fried, avec des banquiers et des gestionnaires de fonds spéculatifs de renom. Bankman-Fried a charmé non seulement ces derniers, mais aussi Bill Clinton et l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair avec sa vision ambitieuse de devenir la “Super App de la crypto”. Il y avait des parades bahaméennes le jour et des événements exclusifs avec le célèbre DJ Steve Aoki la nuit. Malgré tout, la fête ne durera pas éternellement, et un événement funeste se préparait en coulisse.

Tout bascule en mai

En Mai, l’explosion de l’écosystème Terra et de son stablecoin algorithmique UST a peut-être été l’étincelle provoquant l’embrasement de la DeFi (Finance Décentralisée), et plus largement du marché des cryptomonnaies cette année. 

Les ondes de choc de l'implosion se sont répercutées sur tout le marché, ouvrant la voie à d'autres catastrophes dans les semaines et les mois qui ont suivi. En réalité, de nombreuses entreprises ont investi dans Terra ou dans sa société mère Terraform Labs, généralement en détenant des jetons Luna ou des stablecoins UST. C’est le cas pour les branches d'investissement de Coinbase, Binance, qui avait investi 3 millions de dollars dans le projet Terra en 2018, et Galaxy Digital.

Peu de temps après l’effondrement des deux actifs de l’écosystème Terra (Luna et UST), le fonds spéculatif Three Arrows Capital est entré en liquidation en juin après avoir échoué à répondre aux appels de marge des prêteurs. L'Autorité Monétaire de Singapour (AMS) a par la suite réprimandé le fonds pour avoir fourni de fausses informations et dépassé les allocations d'actifs.

Le prêteur de crypto BlockFi a encaissé une perte de 80 millions de dollars à cause de la créance irrécouvrable de Three Arrows. Mais fort heureusement, grâce au chevalier blanc de l’époque, Sam Bankman-Fried, la société a reçu une ligne de crédit de 400 millions de dollars de FTX US  dans le cadre d'un accord qui a également donné à FTX la possibilité d'acquérir le prêteur. Probablement avec une partie des dépôts des clients de FTX… BlockFi a déposé son bilan en vertu du Chapitre 11 de la loi sur les faillites aux Etats-Unis après l'effondrement de FTX en novembre, dans le but de réorganiser l'entreprise plutôt que de vendre ses actifs.

Enfin, Voyager a déclaré plus de 660 millions de dollars d'exposition à Three Arrows en juin et a levé 485 millions de dollars de prêts auprès d'Alameda de FTX pour stabiliser le navire - oui encore eux. Le prêteur de crypto Celsius a également gelé les retraits en juin après que Three Arrows a fait défaut sur les prêts et que l'instabilité du marché ait affecté les rendements. Il a déposé son bilan un mois plus tard, révélant un déficit de 1,2 milliard de dollars. Bien évidemment, l'accord a été considéré comme nul lorsque FTX s'est effondré. En décembre, Voyager a déclaré que Binance.US rachèterait les actifs de la société en cas de faillite dans le cadre d'un accord d'une valeur d'environ 1 milliard de dollars. 

L'explosion de Terra restera dans la mémoire des crypto-investisseurs comme étant l'une des plus grosses catastrophes de la courte histoire des cryptomonnaies. Mais un événement d’envergure approchait à grands pas, et tous les yeux se sont rivés sur lui : The Merge - la fusion du modèle de consensus de la blockchain Ethereum

La "fusion" d'Ethereum, une mise à jour logicielle colossale de la seconde blockchain la plus importante du secteur, a suscité de nombreuses craintes en cas de problèmes techniques majeurs durant la fusion. Fort heureusement le 15 septembre, la fusion s'est déroulée sans problème, le modèle de consensus est passé sans encombre de la preuve de travail (PoW) à la preuve d’enjeu (PoS) ce qui a redonné confiance au secteur. 

Mais malgré tout, cela n’a pas permis au bitcoin de repartir définitivement à la hausse, au contraire, le cours a plongé de 38 000 dollars début mai à 21 000 dollars fin octobre. 

Une fin d’année dans le désespoir

Tout a commencé lorsqu’un rapport du média CoinDesk révèle le 2 novembre que les bilans d'Alameda, une société de trading appartenant à SBF, sont en grande partie constitués de la cryptomonnaie FTT native de FTX. Alors que la spéculation d’insolvabilité circule, 584 millions de dollars de FTT sont transférés à Binance dans le cadre d'un processus de liquidation. Le PDG, Changpeng Zhao, confirme rapidement qu'il s'agissait d'un geste intentionnel. 

Les marchés crypto ont paniqué, et beaucoup se sont précipités pour retirer leur argent de FTX. Pendant un bref instant, on a cru que Binance allait renflouer l'empire de Bankman-Fried par le biais d'une acquisition. Cela ne s'est jamais produit, et le 11 novembre, neuf jours seulement après le rapport de CoinDesk, FTX a déposé son bilan. 

Finalement, Bankman-Fried a été arrêté le 12 décembre aux Bahamas après que les procureurs fédéraux de New York l'aient accusé de huit chefs d’accusations notamment de blanchiment d'argent, de fraude électronique et de violations du financement des campagnes électorales.

Il est maintenant clair que FTX a prêté des fonds à Alameda pour financer les opérations de trading de la société. À ce jour, il se trouve au domicile de ses parents en Californie, où il est assigné à résidence et soumis à une caution de 250 millions de dollars. Il sera jugé mardi prochain à New York. L'effondrement choquant de FTX a poussé tout le monde, en passant par les sociétés de capital-risque et par les régulateurs, à repenser leur stratégie. 

L'action de la plateforme de cryptomonnaies Coinbase a baissé de 87 % cette année, et le cours de Robinhood a baissé de 58 %. Les mineurs de crypto, qui se sont endettés en 2021 pour acheter des équipements miniers coûteux, ont été parmi les entreprises de crypto cotées en bourse les plus durement touchées, Core Scientific ayant déposé le bilan le 21 décembre.

Certaines sociétés financières traditionnelles qui cherchent à se développer dans la crypto peuvent encore profiter de cette occasion pour faire la chasse aux bonnes affaires, ça a notamment été le cas pour Goldman Sachs récemment. Maintenant, les crypto-investisseurs ont les yeux rivés sur 2023 en espérant que celle-ci sera moins destructrice que l’année écoulée. 

L’évolution du Top 20 des cryptomonnaies en termes de capitalisation depuis le début de l'année
(Cliquez sur la heatmap ci-dessous pour mieux visualiser les variations)

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Lectures :

L'année où le NFT est mort et est revenu à la vie (Wired, en anglais)

Est-ce encore 2023 ? (Wired, en anglais)