Le sujet est revenu sur le devant de la scène hier avec l'annonce d'un accord entre Fiat Chrysler et Tesla, qui permet au premier de profiter de la flotte 0 émissions du second, un peu sur le modèle du marché du crédit-carbone. FCA échapperait, a priori, à la totalité de l'amende européenne qui se profile à l'horizon 2021, car le groupe italo-américain a d'ores et déjà annoncé qu'il ne respectera pas la réglementation à cette échéance. La faculté de recourir à des "open pool" a été prévue par le législateur. FCA a notifié ce groupement le 25 février dernier, en associant Fiat, Alfa Romeo et Tesla. Mazda et Toyota avaient, eux aussi, créé un partenariat de ce type (Toyota est le constructeur traditionnel dont les émissions moyennes sont les plus faibles), comme PSA avec ses marques Opel, Peugeot et Citroën. Les déclarations d'intentions sont disponibles sur le site de l'UE.
 
Mais de quel risque financier parle-t-on ? L'objectif affiché par l'Union européenne est de ramener les émissions de CO2 à une moyenne de 95 g de CO2 par km en 2021 sur la flotte européenne. Le palier précédent avait été fixé à 130 g de CO2 au km en 2015. En 2017, les statistiques officielles estiment que la flotte européenne produisait en moyenne 118,5 g de CO2 au km, contre 158,7 g de CO2 au KM en 2007. Ramener les émissions à 95 g de CO2 par km en 2021 correspondrait à une consommation moyenne de 4,1 litres d'essence ou 3,6 litres de gasoil pour 100 km. Chaque constructeur a un objectif à atteindre, ajusté en fonction des émissions moyennes de sa flotte sur la période récente. Ainsi, le 95,1 g de CO2 par km que doit atteindre Toyota est-il bien plus faible que celui de 102,4 assigné à BMW. Mais le Japonais émargeait à 103 en 2017 alors que l'Allemand part de 122.
 
 

Les objectifs sont globaux pour chaque constructeur : libre à eux de continuer à produire de très gros véhicules qui émettent beaucoup de CO2 s'ils compensent par des petits véhicules plus vertueux. Le règlement de l'UE prévoit en outre des bonifications pour des technologies innovantes ou des véhicules très faiblement émetteurs de CO2 (moins de 50 g de CO2 par KM). En outre, les petits producteurs (10 000 à 300 000 véhicules annuels) bénéficient d'un abattement sur leurs objectifs. Enfin, nous l'avons vu plus haut, les constructeurs peuvent se regrouper entre marques propres voire entre marques extérieures pour compenser leurs émissions.
 
In fine, c'est le régulateur qui dressera le bilan en 2021 et qui sanctionnera, le cas échéant, ceux qui ne sont pas suffisamment vertueux. La punition financière est basée sur un montant de 95 EUR par gramme de dépassement multiplié par le nombre de véhicules écoulés. Notez que les chiffres cités jusqu'ici concernent les véhicules particuliers. Des dispositifs spécifiques mais voisins sont appliqués aux utilitaires et aux poids-lourds.
 
"Certains constructeurs automobiles ont réussi leur stratégie et atteindront facilement leurs objectifs, mais d'autres se sont réveillés trop tard et vont souffrir", estime Michael Schweikl, qui a piloté une étude parue en novembre chez PA Consulting. "L'UE débat actuellement de sa prochaine série d'objectifs d'émissions pour 2025 et 2030, qui seront encore plus ambitieux", rappelle-t-il, en se montant toutefois confiant dans la capacité du secteur, innovant, à relever le défi, d'autant que l'industrie automobile européenne investit chaque année près de 55 milliards d'euros dans la recherche et le développement. Les travaux de PA ont abouti au tableau qui suit :
 
 
Source PA Consulting "Driving into the low emissions future" - Novembre 2018

Le modèle de PA Consulting, dans son hypothèse centrale, aboutit au dépassement des normes par huit des treize groupes automobiles concernés en 2021. Dans cette configuration, Toyota, Renault Nissan Mitsubishi, Volvo, Honda et Jaguar Land Rover échapperaient aux sanctions. Dans le graphique, cela correspond à la première ligne colorée en partant de la gauche ("deviation"). Le système est relatif : les efforts demandés aux constructeurs dépendent de leur niveau d'émission sur la période antérieure, si bien que Jaguar Land Rover, dont le flotte restera la plus polluante du panel, ne sera pas pénalisé car ses efforts de réduction seront à la mesure du niveau de départ (151,4 g de CO2 au km). BMW et Daimler seraient un peu au-dessus de la limite et Peugeot, Hyundai Kia, Mazda, Fiat Chrysler, Ford et Volkswagen encore plus haut. Compte tenu de leurs volumes écoulés, PA estime que les amendes pourraient avoisiner :
  • 75 millions d'euros pour Mazda (mais l'étude a été réalisée avant l'open pool avec Toyota, donc on peut imaginer que la somme serait nulle)
  • 190 millions d'euros pour Daimler
  • 200 millions d'euros pour BMW
  • 300 millions d'euros pour Hyundai Kia
  • 430 millions d'euros pour Ford
  • 600 millions d'euros pour PSA
  • 700 millions d'euros pour Fiat Chrysler
  • 1400 millions d'euros pour Volkswagen
Dans le scénario conservateur, trois constructeurs seulement seraient à même de respecter le cahier des charges européen : Toyota, Renault Nissan Mitsubishi et Volvo (qui sont donc de potentiels partenaires d'"open pools"). Les autres seraient loin du compte, notamment Fiat Chrysler, dont on comprend mieux pourquoi il a tenu à s'offrir les vertus de Tesla… contre, dit-on, plusieurs centaines de millions de dollars.
 
Un autre calcul
 
L'ONG européenne Transport & Environment avait réalisé en avril 2018 sa propre estimation, qui diffère de celle produite par PA. Surtout, l'organisation estime que le recours aux outils proposés par le législateur (pools, innovation, bonus) devrait permettre à plusieurs des constructeurs d'atténuer la douloureuse, voire de la faire disparaître. Le tableau qui suit liste les amendes potentielles. Notons que dans son scénario de base (colonne de gauche), T&E n'a pas utilisé la compensation automatique induite par PA. Ainsi Peugeot et Citroën n'apparaissent pas dans le tableau car l'ONG estime que ses objectifs seront respectés, mais Opel Vauxhall y figure. Toutefois en regroupant les quatre marques, la facture de PSA serait réduite, ce qui devrait la rapprocher des cacluls de PA.
 

Transport & Environment "CO2 emissions from cars: the facts" - Avril 2018

D'autres études d'impact existent. Les montants en jeu sont variables mais la hiérarchie entre les industriels qui se sont préparés et ceux qui vont devoir s'adapter à marche forcée est assez clairement établie. Il ne faut pas sous-estimer la capacité d'adaptation du secteur, qui sort heureusement d'un âge d'or démarré après la fin de la crise de 2008 et qui a par conséquent les capacités financières de répondre aux enjeux actuels. Pourra-t-on en dire autant des pouvoirs publics européens ? L'infrastructure nécessaire à la démocratisation du véhicule électrique est loin d'être à la hauteur dans plusieurs pays d'Europe, France en tête.