Vous vous êtes peut-être déjà demandé ce que fait Vinci dans les aéroports. Ou pourquoi Eiffage a investi dans les autoroutes. La réponse tient en un mot : diversification. L'activité de construction est par nature très cyclique et les grands acteurs du BTP cherchent à lisser leurs résultats et à éviter le coup dur en cas de crise économique profonde. En Europe, cette stratégie n'est pas propre aux groupes français : les entreprises espagnoles ont par exemple pris le même chemin. Mais pas les Britanniques : faut-il y voir une cause de leurs difficultés actuelles ?
 
Cette diversification peut être entendue au sens large. En France, Bouygues avait opté pour des développements dans les médias (TF1), les télécoms (Bouygues Telecom) et l'industrie (Alstom). Mais la gestion d'infrastructures est devenue furieusement tendance. C'est Vinci qui fait figure de porte-étendard de cette stratégie, avec des investissements dans les autoroutes, les parkings (depuis cédés), les aéroports et d'autres infrastructures (rail, stades). Eiffage s'est aussi développé dans les autoroutes, au capital d'Eurotunnel (Getlink) et, tout fraîchement, dans les aéroports (Lille).
 
Le développement des concessions - exploiter des infrastructures à vocation générale avec des moyens privés – répond tout à fait au besoin d'amortissement des activités cycliques. Les concessions apportent de la visibilité par la récurrence de leurs revenus et de leurs flux financiers. Mais ce n'est pas tout. Reprenons l'exemple de l'ancienne SGE, Vinci, avec ses résultats 2018. Le tableau qui suit, tiré du document de référence 2018, montre que les concessions sont bien plus lucratives que les activités traditionnelles du BTP.
 
Elles ne représentent que 17% des revenus du groupe mais 69% de son résultat opérationnel. Et si elles sont par essence gourmandes en capitaux engagés (81%), elles n'emploient que 8,4% des effectifs du groupe et sont en croissance régulière (données hors tableau). Les analystes ne s'y sont pas trompés : ils considèrent que Vinci est avant tout un concessionnaire, même si la majeure partie de ses revenus et de ses employés sont logés dans la division dite "contractuelle". En moyenne, ils estiment que 75 à 80% de la valorisation du groupe provient de concessions négociées judicieusement (les détracteurs de la privatisation des autoroutes ne diraient pas autre chose). En bourse, la stratégie fonctionne aussi. Le graphique ci-dessous montre que l'action Vinci a gagné 161% sur 10 ans, contre 113% à l'exigeant indice large européen Stoxx Europe 600 dividendes réinvestis. Pendant ce temps, Bouygues a perdu un peu de terrain.
 

La bonne fortune boursière de Vinci n'est pas un cas à part dans ce domaine. AlphaValue s'est penché sur un panier de 11 valeurs européennes avec une composante "concession" (Vinci, Eiffage, ADP, Atlantia, une batterie d'espagnoles dont Ferrovial, Sacyr et ACS… etc.). Sur un an, le gain moyen est de 30%, soit le 3ème secteur le plus prolifique en Europe, avec une performance supérieure de 10% au Stoxx Europe 600 NR. Pas étonnant, explique le bureau d'études, puisque les concessions profitent de la baisse des taux : avoir une concession c'est avoir une obligation à haut rendement. "La baguette magique de la BCE et de la Fed fait des miracles", écrit AlphaValue, qui ne manque pas de souligner que les plus fortes performances boursières sur un an sont corrélées avec l'importance de la concession dans le total des actifs bruts : le trio de tête (Ferrovial, Vinci, Atlantia) affiche plus de 80% d'exposition à cette activité.

Une logique industrielle, aussi 

L'analyse d'AlphaValue pointe aussi du doigt une réalité trop souvent oubliée sur la présence des groupes de BTP dans les concessions. "Le marché valorise très peu les compétences en ingénierie de la construction de ces entreprises, ce qui est dommage parce qu'elles ne se seraient sans doute pas positionnées sur les meilleurs actifs si elles n'étaient pas les mieux placées pour jauger de leur qualité". Pour couronner le tout, ces entreprises sont en mesure d'entretenir et d'améliorer les infrastructures qu'elles opèrent. Nombreux sont les fonds d'investissement spécialisés dans les infrastructures qui ont surpayé des actifs en appréciant mal les charges découlant d'une maintenance externe, rappelle AlphaValue.
 
Vous pourriez rétorquer que le meilleur est passé et qu'arriver 10 ans après la bataille est inutile. Pas forcément. Le potentiel ne souffre guère de contestation tant que les banques centrales continuent à parler de taux d'intérêts plus faibles. Cerise sur le gâteau, les acteurs les plus exposés à la concession (Atlantia, Eiffage, Ferrovial, Fraport, Groupe ADP, Sacyr et Vinci dans l'univers de couverture AlphaValue) affichent un PER médian correct de 15,9 fois les résultats attendus en 2020.