L’ambiguïté stratégique. Un concept théorisé par le Chinois Sun Tzu dans le livre l’Art de la guerre, qui consiste à entretenir volontairement le flou sur ses intentions. L’idée c’est de laisser volontairement place à l’interprétation. Cette posture permet de se préserver une marge de manœuvre. Et surtout, de décourager ses adversaires de prendre des décisions hostiles, en entretenant le doute sur les représailles qu’ils subiraient.
C’est la position historique des Etats-Unis vis-à-vis de Taiwan, qui consiste à ne pas dire clairement si l’armée américaine interviendrait en cas d’attaque de l’ile par la Chine.
C’est aussi un concept très utilisé dans la grammaire nucléaire, et notamment en ce qui concerne la doctrine d’emploi.
"Personne ne sait ce que je vais faire"
Entretenir l’ambiguïté, c’est ce que fait Donald Trump à longueur de journées. Qu’il s’agisse des droits de douane, de sa position vis-à-vis de l’Ukraine, et maintenant de l’Iran.
"Je vais peut-être le faire, peut-être pas" déclarait Donald Trump mercredi, en réponse à une question sur l’éventualité de frappes américaines. "Personne ne sait ce que je vais faire".
Entretenir l’ambiguïté, c’est un peu sa marque de fabrique. On dit souvent de lui que l’imprévisibilité le caractérise. La conséquence, c’est que personne ne sait réellement comment se positionner vis-à-vis de lui. Ses ennemis comme ses alliés. Et tout le monde se retrouve à tout surinterpréter.
Mais cette posture a un avantage : elle permet de rester toujours au centre du jeu, de montrer que la décision dépend uniquement de lui. Un président seul face à l’histoire.
Et rien de tel pour alimenter cette mise en scène que de contredire en permanence ses alliés, et même sa propre administration. Lundi, en réponse à Emmanuel Macron, qui avait justifié son départ du G7 par des négociations sur un cessez le feu, Donald Trump déclarait à bord d’Air Force One "cela n’a certainement rien à voir avec un cessez-le-feu. C’est bien plus important que cela. Que ce soit intentionnel ou non, Emmanuel ne comprend jamais rien."
Dans cette même séquence, il n’a pas été plus tendre avec Tulsi Gabbard, directrice du renseignement national. Fin mars, auditionné par une commission de la Chambre des Représentants, cette dernière estimait que l’Iran "ne construit pas d’arme nucléaire". Réponse cinglante du président américain : "Je me moque de ce qu’elle dit".
Paix par la force
Tactiquement, Donald Trump joue donc de l’ambiguïté pour montrer qu’il a la main, et tenter de contrôler le narratif. Mais, au-delà de cet objectif assez personnel, aucune stratégie claire ne se dessine.
Que cherche-t-il à faire avec l’Iran ? En 2018, il se retire de l’accord sur le nucléaire signé en en 2015 – qui encadrait l’enrichissement de l’uranium en échange de la levée progressive des sanctions. Puis, il enclenche, dès le début du second mandat, des négociations pour conclure un nouvel accord (qui aurait ressemblé au précédent). Et aujourd’hui, il menace d’intervenir militairement, voire de neutraliser (pour reprendre le terme consacré chez les militaires) le Guide suprême : "nous savons exactement où se cache le soi-disant "Guide suprême". C'est une cible facile, mais il y est en sécurité. Nous n'allons pas le tuer, du moins pas pour l'instant." écrivait il mardi sur Truth Social.
Une posture assez belliqueuse pour celui qui a fait de l’opposition aux interventions militaires extérieures la matrice de son engagement politique. Lors de la dernière présidentielle, il se présentait même comme le candidat de la paix, promettant par exemple de régler le conflit en Ukraine "en 24 heures".
Si la paix semble toujours l’objectif, c’est davantage une logique de "paix par la force" qui prévaut en ce moment vis-à-vis de l’Iran. Une approche d’ailleurs revendiquée par l’administration Trump. En clair, il s’agit de mettre tout le poids de la puissance américaine, sur les plans militaires, diplomatiques et économiques pour tordre le bras de ses ennemis (mais pas seulement), et les forcer à conclure un accord avec lui.
Divisions internes
Les hésitations de Donald Trump vis-à-vis de l’Iran sont aussi le reflet de divisions chez les Républicains. Ce qui cimente la base MAGA (Make America Great Again), c’est le rejet des aventures militaires hors des Etats-Unis. Une opposition absolue aux néoconservateurs au pouvoir à l’époque de George W. Bush, et à leurs guerres en Irak et en Afghanistan. "En fin de compte, les soi-disant « bâtisseurs de nations » ont détruit bien plus de nations qu’ils n’en ont bâti – et les interventionnistes sont intervenus dans des sociétés complexes qu’ils ne comprenaient même pas eux-mêmes", affirmait le président américain dans son discours à Riyad le mois dernier.
Mais au sein du parti, il y a encore des faucons républicains, qui ont une vision plus interventionniste. C’est le cas notamment du sénateur de Caroline du Sud, Lindsay Graham, qui déclarait mardi sur Fox News : "faire tomber le régime de l’ayatollah est une bonne chose, pas une mauvaise chose".
Enfin, une partie des supporters de Donald Trump (et de ses élus) le soutiendra quel que soit la décision qu’il prenne. Ceux qui défendent toutes ses prises de position pied à pied, peu importe les contradictions. Ceux qui expliquent qu’il a toujours un plan et que tout ce qu’il fait relève de "l’Art du deal" (en référence à son livre publié en 1987) même si personne n’est en mesure de le comprendre.
Interrogé mercredi sur la possibilité d’un changement de régime en Iran, Donald Trump s’est d’ailleurs contenté d’une formule qui résume à elle seule son approche : "J’ai un plan pour tout. Mais on verra ce qui se passe." L’ambiguïté toujours. Mais sans stratégie.