* Un ancien chef de la sécurité intérieure au coeur d'une enquête pour corruption-sources

* Zhou Yongkang manoeuvrait en coulisses pour exercer de fait le pouvoir-sources

* Il était le parrain politique de Bo Xilai

* Le prochain plénum du PCC pourrait évoquer l'affaire

par Benjamin Kang Lim, David Lague et Charlie Zhu

PEKIN/HONG KONG, 25 mai (Reuters) - Liu Han raffolait manifestement de la compagnie des puissants mais ce milliardaire chinois condamné à mort vendredi n'avait semble-t-il pas choisi le bon camp dans la sourde lutte pour le pouvoir qui agite en coulisses les plus hauts échelons du Parti communiste (PCC) en Chine.

Au coeur du réseau auquel le président Xi Jinping semble avoir décidé de s'attaquer se trouve Zhou Yongkang, ancien maître de l'appareil de la sécurité intérieure et désormais plus haut dirigeant chinois visé par une enquête pour corruption depuis l'arrivée au pouvoir des communistes en 1949.

Les racines de ce réseau se trouvent dans le Sichuan, dont Zhou a dirigé la section du Parti communiste. C'est également dans cette province intérieure que Liu Han a fondé en 1997 le conglomérat Hanlong qui, au faîte de sa gloire, employait 12.000 personnes à travers le monde pour un chiffre d'affaires annuel de 2,5 milliards de dollars (1,8 milliard d'euros).

Les subordonnés de Liu comme ses partenaires en affaires se rappellent d'un homme ne dissimulant pas son amour des voitures de luxe, des repas gastronomiques, des vins français raffinés mais aussi du jeu.

"Toutes les réunions que nous avions avec lui étaient plutôt courtes, une heure ou deux", dit Collis Thorp, ancien directeur exécutif de Molly Mines, une société basée à Perth dont Hanlong a pris le contrôle en 2009. "Il était davantage intéressé par une sortie au casino du coin."

Cette vie d'opulence a soudainement pris fin lorsque Xi Jinping s'est officiellement installé à la tête de l'Etat chinois en mars 2013. Liu Han a alors été arrêté et confronté à un tout autre genre de fonctionnaires: des enquêteurs spécialisés dans la lutte contre la corruption, puis des gardiens de prison.

Il a été condamné à mort vendredi par un tribunal de la province du Hubei qui l'a jugé coupable de meurtres, trafic d'armes, fraude, extorsion ou encore paris clandestins durant ses 20 années à la tête de ce que les médias officiels ont présenté comme une bande "mafieuse".

RÉSEAU D'OBLIGÉS

Toutefois, son crime le plus grave pourrait bien être politique.

Selon de multiples sources, Liu Han est avant tout une victime collatérale de la campagne lancée avec une détermination implacable par Xi Jinping contre Zhou Yongkang, que le président chinois soupçonne d'avoir voulu tirer les ficelles du pouvoir en coulisses.

Pour atteindre Zhou Yongkang, Xi Jinping a entrepris en 2013 de dénouer le vaste réseau d'obligés tissé au cours des décennies par cet homme de 71 ans au sein de l'industrie pétrolière, de la classe politique du Sichuan et des services de la sécurité intérieure.

Plus de 300 proches, alliés politiques, associés en affaires, subalternes ou employés de Zhou Yongkang ont été arrêtés, placés en détention ou interrogés, disent des sources au fait de cette enquête. Liu Han, dont la fortune s'est construite du temps où Zhou était le chef du PCC dans le Sichuan, en fait partie.

Comme Zhou a été directeur général de la China National Petroleum Corporation (CNPC), dont il a aussi dirigé la section du PCC, les enquêteurs ont visé avec un soin particulier cette compagnie pétrolière publique et ses filiales. Fin 2013, ils ont d'abord placé en détention six dirigeants du géant pétrolier puis Xi Jinping a déclenché une enquête sur Zhou Yongkang lui-même et ses plus proches collaborateurs.

Parmi ces derniers, plusieurs ont d'ores et déjà subi les foudres du pouvoir, dont Jiang Jiemin, qui a brièvement dirigé l'organe de régulation des entreprises publiques, et Li Dongsheng, ancien vice-ministre de la Sécurité publique.

Des avoirs appartenant à des membres de la famille de Zhou ou à des associés ont été saisis pour une valeur d'au moins 90 milliards de yuans (10,5 milliards d'euros), affirment deux sources. Avant le début de son procès, l'agence Chine nouvelle a rapporté que les autorités avaient "saisi et gelé d'énormes montants d'actifs appartenant à Liu Han et au groupe Hanlong" en 2013.

Avec l'aval notamment de ses deux prédécesseurs, Hu Jintao et Jiang Zemin, disent des proches de la direction chinoise, Xi Jinping a rompu avec la règle tacite voulant que les membres actuels ou passés du comité permanent du PCC soient à l'abri de toute enquête pour corruption.

Contactés par téléphone, ni la commission centrale du PCC pour l'inspection disciplinaire, ni les services du porte-parole du parti ni le ministère de la Sécurité publique n'ont accepté de s'exprimer sur le sujet.

DES DIRIGEANTS SUR ÉCOUTE

Lorsqu'il s'est retiré fin 2012 du comité permanent du bureau politique du PCC, le coeur du pouvoir en Chine, Zhou a cherché à placer ses hommes et il est devenu une menace pour la stabilité du parti, affirment plusieurs sources proches de la direction.

Selon trois de ces sources, l'instigateur de l'enquête sur Zhou a été l'ancien vice-président Zeng Qinghong, l'un des influents parrains politiques de Xi Jinping. "Zeng a proposé au (pouvoir) central que Zhou Yongkang fasse l'objet d'une enquête au motif qu'il représente un risque politique pour la direction collective", dit l'une de ces sources.

Zhou est ainsi soupçonné d'avoir commandité la mise sur écoute de plusieurs dirigeants chinois.

A sa demande, le chef des services de renseignement civils de Pékin, Liang Ke, a ordonné à ses hommes de confiance de pirater les téléphones de celui qui allait devenir Premier ministre, Li Keqiang, de son prédécesseur immédiat Wen Jiabao, de leurs familles et de leurs collaborateurs dans les semaines ayant précédé le 18e Congrès du PCC fin 2012, au cours duquel a eu lieu le renouvellement décennal des instances dirigeantes du parti.

Ces accusations sont formulées par une source proche de l'actuelle direction et par une autre ayant été informée de cette surveillance clandestine.

On ignore comment les autorités ont eu vent de ces écoutes, qui, selon une source, étaient destinées à "chercher des preuves de corruption (éventuelle)". Liang Ke a été arrêté par la police cette année et il est visé par une enquête pour corruption.

Zhou a en outre le tort aux yeux des actuels dirigeants d'avoir tenté de faire entrer Bo Xilai au comité permanent du politburo lors du renouvellement de 2012. Ancien secrétaire général du PCC dans la municipalité autonome de Chongqing, métropole autrefois rattachée au Sichuan, Bo Xilai n'a pas eu le temps d'assouvir ses ambitions ni, indirectement, celles de Zhou.

Charismatique et perçu comme un rival potentiel de Xi Jinping avant sa disgrâce, il a été arrêté début 2012, déchu de ses fonctions puis condamné l'an dernier à la réclusion à perpétuité pour corruption et abus de pouvoir à l'issue d'un procès retentissant.

Au summum de sa puissance, Zhou détenait l'un des postes les plus stratégiques en Chine. A la tête de la sécurité intérieure, il avait la haute main sur la police, le renseignement civil, la police armée du peuple (l'équivalent de la gendarmerie), les juges et les procureurs. Durant ses cinq années à ce poste, le budget de la sécurité intérieure a été supérieur aux dépenses militaires du pays, selon les statistiques officielles.

Afin de continuer à exercer son influence une fois parti à la retraite, Zhou avait désigné Bo Xilai comme son successeur tout en cherchant à le propulser au comité permanent, dit-on de mêmes sources.

"Zhou voulait être Cixi", affirme une troisième source, en allusion à l'impératrice douairière qui exerça la réalité du pouvoir durant la majeure partie du XIXe siècle.

ACCIDENT DE FERRARI

Selon trois sources proches de la direction, Zhou et Bo ont aussi caressé l'idée de placer ce dernier au poste de Premier ministre et au rang de numéro trois du comité permanent derrière Xi Jinping et Li Keqiang, lequel aurait été nommé à la présidence du Parlement au mépris de la décision collégiale prise par la direction du parti lors du précédent Congrès en 2007.

Ce projet n'a jamais abouti mais la direction du parti a réagi avec stupeur lorsqu'elle a eu connaissance de ce qui s'apparentait, dit une autre source, à une tentative de "révolution de palais".

Zhou a aussi tenté en 2012 de rendre redevable à son égard Ling Jihua, l'un des plus proches collaborateurs du président de l'époque Hu Jintao, rapportent trois sources. Le fils de Ling, Ling Gu, alors âgé d'une vingtaine d'années, s'est tué au volant d'une Ferrari à Pékin le 18 mars 2012. Deux jeunes femmes se trouvaient à bord du véhicule, une est morte et l'autre a été blessée.

Peu après l'accident, un allié de Zhou, Jiang Jiemin, s'est efforcé d'acheter le silence de la famille de la défunte ainsi que de la survivante. Pour cela, il a utilisé les fonds de la compagnie pétrolière CNPC dont il était alors le président, poursuivent ces sources.

"Des millions (de yuans) ont été versés", dit l'une de ces sources. "Quand Hu Jintao l'a découvert, il était très déçu."

Ling Jihua, que Reuters n'a pas pu joindre, a été rétrogradé à la tête d'un petit ministère. Jiang Jiemin a été brièvement promu à la direction de l'organe de régulation des entreprises publiques avant d'être rapidement limogé. Il est désormais incarcéré pour des soupçons de corruption, disent ces sources.

Zhou n'a plus été vu en public depuis une cérémonie d'anciens élèves de l'université chinoise du Pétrole à Pékin le 1er octobre. Il se trouve de fait assigné à résidence depuis que l'enquête sur ses affaires a été déclenchée.

Ni Zhou ni ses représentants n'ont pu être contactés. Rien ne prouve jusqu'à présent que Zhou ou ses proches aient pu enfreindre la loi chinoise ou user de l'influence de Zhou pour leur profit personnel.

Les autorités comme les médias officiels sont pour l'instant restés silencieux sur ce dossier. Une annonce est attendue au moment du quatrième plénum du comité central prévu dans le courant de l'année, selon deux sources.

Xi Jinping et les autres dirigeants n'ont pas encore décidé s'ils allaient ou non organiser un procès public, précisent plusieurs responsables. Les autorités veulent que le dossier d'accusation soit "sans faille", dit une source.

Bien que le président ait promis de s'en prendre aux "mouches" comme aux "tigres" dans sa vaste campagne contre la corruption, les dirigeants chinois pourraient choisir de ne pas divulguer l'ensemble des charges éventuellement retenues contre Zhou afin de préserver l'image du parti. (Bertrand Boucey pour le service français, édité par Marc Angrand)