(RPT sans changement de cette ENQUETE diffusée dimanche matin)
* Les extrémistes préfèrent de plus en plus les armes aux
bombes
* Les Kalachnikov soviétiques étaient prisées des
malfaiteurs
* Elles le sont maintenant des djihadistes
* Contrôles resserrés après les attentats de Paris
* Mais peut-être pas suffisants
par Aleksandar Vasovic et Gabriela Baczynska
BELGRADE/BRUXELLES, 30 novembre (Reuters) - Besoin d'une
Kalachnikov en Belgique ? Pas de problème, dit "Nemac" le
Serbe; quelques centaines d'euros suffiront à acheter l'arme et
une place pour l'acheminer, planquée dans une voiture ou un
camion en provenance des Balkans.
Rencontré dans un restaurant de routiers lugubre des
alentours de Belgrade, la capitale serbe, Nemac précise qu'il ne
fait pas lui-même de trafic d'armes. Mais, cet ancien des
guerres de Yougoslavie explique qu'il connaît des gens qui le
font. Ils peuvent livrer des fusils d'assaut du genre de ceux
qui ont été utilisés dans les attentats du 13 novembre à Paris.
Il évoque les armes qui circulent dans les Balkans, héritage
de l'armée yougoslave.
Autrefois, la principale menace djihadiste pour l'Europe,
c'était la bombe. Puis, depuis un an environ, avec les attaques
menées par les djihadistes français et belges revenus de Syrie
l'attention s'est portée sur les armes et leur acheminement vers
le coeur de l'Europe. C'est le domaine des gangsters des Balkans
qui fournissent le grand banditisme en Europe occidentale.
La provenance de la totalité des armes utilisées dans les
attentats de Paris n'est pas connue avec certitude, mais on a
appris samedi qu'une partie, notamment des M70, provenait d'un
lot fabriqué à Belgrade à la fin des années 80.
Ce qui est clair en revanche, c'est que les armes se
retrouvent de plus en plus entre les mains des extrémistes.
"Il y a plein de coins et recoins dans une voiture ou un
camion où on peut cacher une arme démontée", explique Nemac,
dont le nom de guerre signifie "l'Allemand". "Les gens les
cachent dans le réservoir."
UN VIEIL ACCORDÉON
Son associé Milan présente la liste des prix pour les armes
volées dans les arsenaux d'Albanie et des pays de
l'ex-Yougoslavie : 700 euros pour un AK-47 (Kalachnikov) de
fabrication yougoslave; un peu moins pour les modèles albanais
et les versions chinoises.
"Les pistolets ne sont pas encore trop chers, environ 150
euros pièce", ajoute Milan.
La semaine dernière, le directeur d'Europol, le Britannique
Rob Wainwright, a expliqué au Parlement européen qu'il pourrait
y avoir d'autres attentats utilisant des armes vendues par les
réseaux criminels des Balkans.
En mai 2014, le Français Mehdi Nemmouche, 29 ans, de retour
de Syrie, avait utilisé un AK-47 pour abattre quatre personnes
au Musée juif de Bruxelles.
Des Kalachnikov ont également été utilisées dans l'attaque
de Charlie Hebdo et contre un hypermarché cacher en janvier
dernier. Certaines ont été acquises en Belgique comme celle du
tireur du Thalys en août.
L'Union européenne a décidé de renforcer le contrôle à ses
frontières ainsi que sa législation sur les armes, mais Nemac,
Milan ou ce policier serbe blasé estiment que cela n'arrêtera
pas le trafic.
Selon le policier serbe, les enquêteurs ne découvrent au
mieux qu'un tiers des livraisons. Le problème, dit-il, c'est le
faible volume des armes. Et de raconter l'histoire de cet homme
qui avait déclaré aux douaniers à la frontière serbe avec l'UE
qu'il était musicien et n'avait rien à déclarer qu'un vieil
accordéon. Sa voiture a été inspectée. Il y avait un trou obturé
avec du ruban adhésif au niveau du réservoir. A l'intérieur, se
trouvaient 20 armes de poing.
CACHÉE DANS UN SANDWICH
Une autre fois, une arme a été découverte dans un sac
comprenant des couennes de porc et une autre cachée dans un
sandwich.
Le problème n'est pas tant les 80 millions d'armes à feu qui
circulent au sein de l'Union européenne. Elles sont soit
propriété de l'Etat ou alors elles font l'objet d'un port d'arme
très strict. Le problème, c'est essentiellement le vieux
matériel militaire vendu au marché noir dans les Balkans.
"On ne sait pas où sont ces armes, qui les détient et
comment elles sont utilisées", explique Ivan Zverzhanovski qui
travaille à la Clearinghouse for the Control of Small Arms and
Light Weapons, organisme de surveillance de la prolifération
basé à Belgrade.
Une semaine avant les attentats de Paris, la Serbie avait
annoncé l'arrestation, conjointement avec la France, d'une bande
importante faisant le trafic des armes entre les deux pays. Peu
de journaux s'en sont fait l'écho.
Pratiquement au même moment, la police allemande a arrêté
une Golf conduite par un homme originaire du Monténégro, pays
voisin de la Serbie. Huit Kalachnikov AK-47 ont été retrouvées
dans le véhicule ainsi que des armes de poing et des explosifs.
Son système de navigation montrait qu'il se rendait à Paris.
Aucun lien direct n'a été établi vec les attentats de Paris,
mais son cas n'est pas isolé.
ENTRER DANS L'ESPACE SCHENGEN
"Si tu as 500 à 1.000 euros, tu peux obtenir une arme en une
demi-heure", explique Bilal Benyaich, spécialiste de l'islam
radical pour le groupe Itinera basé à Bruxelles.
"C'est ce qui fait que Bruxelles ressemble à une grande
ville des Etats-Unis", ajoute-t-il.
"Une fois l'accord conclu, les vendeurs locaux démontent les
armes et les livrent", explique Milan. "La principale difficulté
est d'entrer dans l'espace Schengen, c'est-à-dire en Hongrie,
sans se faire prendre. Une fois dans Schengen, un homme sage
changera de véhicule deux ou trois fois."
"Cela veut dire qu'il te faut un réseau. Et le plus de gens
sont impliqués, plus la probabilité d'une fuite à la police est
grande."
L'UE a décidé de mettre en place un système de marquage et
d'enregistrement pour les armes ainsi que des normes pour leur
désactivation. Un AK-47 ayant servi dans l'attaque contre
Charlie Hebdo avait été acheté légalement comme une arme de
collection désactivée en Slovaquie, pays membre de l'UE.
Ce qui justifie l'idée de renforcer les contrôles dans les
Balkans, même si des armes illicites viennent aussi de Libye et
de l'est de l'Ukraine.
D'autres difficultés restent à résoudre. Si des armes
peuvent être dissimulées dans des sandwiches, elles sont aussi
de plus en plus échangées en ligne sur le "dark net" ou
assemblées à partir de pièces acquises séparément, certaines en
ligne, légalement. Et les progrès de la technologie sont source
de nouveaux dangers.
Ainsi, des imprimantes 3D ont-elles pu être utilisées pour
fabriquer des armes. La France a appelé à une interdiction des
logiciels pour les fabriquer au sein de l'UE.
(Avec Andrew Chung à Paris, Benet Koleka à Tirana, Petar
Komnenic à Podgorica, Alastair Macdonald à Bruxelles et Maja
Zuvela à Sarajevo; Danielle Rouquié pour le service français,
édité par Pierre Sérisier)