par Patrick Vignal

PARIS, 20 mai (Reuters) - L'Europe n'a d'autre choix que de serrer les rangs et de mutualiser sa dette si elle veut résister à la crise du coronavirus, estime Nicolas Forest, directeur de la gestion obligataire chez Candriam.

Les déficits publics sont appelés à exploser et les écarts budgétaires déjà considérables entre les différents pays de la zone euro devraient se creuser encore, menaçant la cohésion de l'union monétaire, prévient-il dans un entretien accordé à Reuters.

"Il y avait déjà des écarts importants au sein de la zone euro mais cette crise a affecté surtout les pays du Sud - l'Italie, l'Espagne et aussi la France", dit-il.

"Ce sont eux qui ont été les plus touchés, qui ont mis en place le plus de mesures de confinement et qui sont les plus lents dans la sortie de ce confinement."

"Après la crise, la situation va s'accélérer", ajoute-t-il avant de brandir la perspective d'un écart de 100% entre la dette italienne et la dette allemande.

Un pas vers davantage de solidarité a été franchi lorsque Paris et Berlin ont proposé lundi que le plan de relance européen en préparation à Bruxelles soit doté de 500 milliards d'euros en dépenses budgétaires pour les pays du bloc les plus touchés par la pandémie, qui a quasiment paralysé l'activité économique du continent.

Cette proposition constitue un tournant dans la position de l'Allemagne qui était jusqu'à présent ouvertement opposée à l'idée de l'émission d'une dette commune ("eurobonds ou "coronabonds"), défendue avec force ces dernières semaines par Paris et Rome au nom de la cohésion européenne.

"LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE DOIT ÊTRE AUX COMMANDES"

"Pour la première fois depuis des années, la France et l'Allemagne viennent avec un plan commun, avec une vraie solidarité européenne puisque l'on est prêt à donner de l'argent pour des projets pour des pays qui sont dans le besoin avec une garantie partagée par l'ensemble des Etats", souligne Nicolas Forest.

"Il y a aujourd'hui, et la réponse d'Angela Merkel va dans ce sens, une compréhension que la politique monétaire ne peut pas tout, même si elle fait un travail extraordinaire, que la politique budgétaire doit être aux commandes et que la dette européenne doit être mutualisée. Le message clé est que si l'on fait payer aux plus pauvres le coût de la crise, le système explosera. On ne peut pas faire payer aux Italiens le fait d'avoir été sévèrement contaminés par le Covid-19."

Tout est cependant loin d'être réglé puisque qu'il s'agit d'un projet au niveau de l'Union européenne nécessitant une unanimité au sein des 27 et appelé à être adapté.

La Commission européenne ne reprendra pas telle quelle l'idée franco-allemande dans ses propres recommandations, attendues la semaine prochaine, mais elle proposera de panacher prêts et subventions, a déclaré mardi son porte-parole.

"Cela pourrait être compliqué parce que l'on se souvient que le budget européen a déjà été bloqué par des pays comme la Pologne", rappelle Nicolas Forest. "Cela va sans doute créer pas mal de débats mais les pays européens sont soumis à une pression importante et ont la nécessité d'avancer. En Europe, il y a toujours des risques de fragmentation mais je veux être optimiste."

LES POPULISMES MENACENT LA COHÉSION EUROPÉENNE

Les menaces sur la cohésion de la zone euro, illustrées le 5 mai dernier par une décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe menaçant d'interdire à la banque centrale allemande d'acheter des emprunts d'Etats de la zone euro pour le compte de la Banque centrale européenne (BCE), restent bien présentes avec en outre la montée un peu partout des populismes, résultant d'inégalités qu'il est urgent de traiter, prolonge Nicolas Forest.

"Si Angela Merkel vient avec un plan aujourd'hui, c'est une réponse à l'arrêt de la cour de Karlsruhe mais aussi à la montée des nationalismes et de l'AfD (parti d'extrême droite, ndlr) en Allemagne" dit-il.

"Les populismes sont partout avec des solutions de fermeture de frontières, de démondialisation, d'augmentation des tarifs. Si ces solutions étaient retenues, l'investisseur obligataire ne serait pas certain de récupérer son argent."

Avec une solidarité budgétaire qui se dessine et viendra compléter les mesures de soutien spectaculaires déjà mises en place par la BCE, l'Europe a désormais les moyens de faire face à la crise, à la condition de rester unie, ajoute le directeur de la gestion obligataire de Candriam.

"Avec l'action de la BCE et le plan de relance proposé par Angela Merkel et Emmanuel Macron, l'Europe a la solution à la crise, ce qui ne résout pas le problème structurel, qui reviendra dans les prochaines années et nécessitera sans doute un nouveau traité en Europe", dit-il.

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