Début mars, nous parlions des conséquences de la guerre en Ukraine dans ce papier. J’émettais des projections sur les secteurs et acteurs favorablement impactés par le conflit russo-ukrainien, notamment concernant les prix des matières premières, des engrais, des métaux, du pétrole et l’industrie de l’armement. Regardons aujourd’hui plus en détail l’impact sur l’industrie des engrais.

L’impact de la situation sur les prix des engrais 

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a entraîné des sanctions de la part des pays occidentaux. En conséquence, les exportations de matières premières seront fortement impactées. Les médias traditionnels parlent souvent du pétrole et du gaz mais beaucoup moins des engrais. 

La Russie, la Biélorussie (très proche du gouvernement russe) et l’Ukraine représentent à eux trois 38% de l’approvisionnement mondial en potasse, 11% en ammoniac et 7% en phosphate. Si les producteurs russes sont confrontés à de multiples contraintes (des défis logistiques, des sanctions des occidentaux et une interdiction d’exporter par le gouvernement russe lui-même), c’est les acteurs américains qui récupèrent tout le gras du jambon. Et c’est bien ce qu’anticipe le marché. Les acteurs tels que The Mosaic Company (+50%) ou CF Industries (+35%) en ont bien profité depuis le début de l’année et la tendance risque de continuer dans ce sens tant que le scénario actuel ne change pas. 

La production d'engrais azotés (ammoniac) pourrait être impactée au-delà de la Russie et l’Ukraine en raison de la flambée des prix du gaz naturel en Europe. Cela a considérablement augmenté le coût de production des engrais azotés en Europe, ce qui signifie que les producteurs réalisent d'importantes marges négatives aux prix au comptant. Les analystes de Bank of America pensent que les prix des engrais azotés devraient encore grimper pour compenser le grignotage des marges et rétablir des marges positives pour les acteurs européens. 

Une conséquence inévitable sur les récoltes 

Il existe une relation claire à court terme entre l’application d’engrais sur les terres agricoles et les rendements des cultures (en particulier les céréales dont le blé). Ainsi une diminution à court terme de 10% de l’utilisation d’engrais pourrait entraîner une diminution de 8% des rendements céréaliers. Il est difficile de mesurer l’influence de chaque élément nutritif primaire des engrais (azote, potassium et phosphate) sur les rendements agricoles (même si plusieurs études estiment que l’azote est le plus influent).

Source : Bank of America - Traduction Zonebourse

Malheureusement, tous les pays n’ont pas la même organisation en matière de politique d'approvisionnement en engrais et c’est souvent les pays émergents qui en souffrent le plus. Les pays les plus pauvres ont tendance à utiliser moins d’engrais et se situent donc plus en bas sur la courbe d’engrais/rendement (voir la figure 16). 

Source : Bank of America  - Traduction Zonebourse

Cette situation relativement inquiétante pourrait entraîner une famine dans les pays très dépendant des engrais et des céréales russes (je pense notamment à certains pays d’Afrique comme l’Egypte). 

Que se passera-t-il lorsque ces peuples manqueront cruellement de quoi se nourrir ? Comment choisiront-ils d’inverser le rapport de force pour accéder à ces matières premières essentielles ? Il faut se rappeler que de nombreux pays développés se fournissent en matières premières en Afrique : le cuivre (la République démocratique du Congo au premier rang avec 18,1 milliards de dollars d'exportations en 2020, contre 15,5 milliards en 2019) ; le cacao (la Côte d'Ivoire et le Ghana en tête, suivis du Cameroun) ; le café (dominé par le Kenya) ; l'aluminium (avec l'Afrique du Sud, le Mozambique, l'Egypte, le Maroc et la Cameroun dans le top cinq) ; le bois (Cameroun, Gabon, Afrique du Sud, Congo, Ghana). Le coût de ces matières premières pourraient continuer à augmenter afin de permettre à ces pays d’acheter du blé et des engrais devenus plus chers. Tout ça ne sont que des hypothèses mais à garder dans un coin de la tête.