En tant que bon représentant de ma génération, être au plus proche de mes lecteurs, de mes abonnés, de ma communauté, me semble primordial. Un certain nombre d’entre vous m’ont fait part de leurs interrogations et de leurs questionnements quant à l’émergence de cette technologie. Faisons un bond en arrière sous le prisme de la monnaie pour y dénicher des éléments de compréhension. 

Un peu d’histoire : de l’étalon-or au change flottant

Si l’étalon-or stricto sensu disparaît en 1930, il n’en demeure pas moins que l’or, à la suite des accords de Bretton Woods de 1944 et de la création du Gold Exchange Standard (GES), sert toujours de référence pour le système monétaire. Dorénavant, seul le dollar est convertible en or, la monnaie américaine devenant ainsi as good as gold. Les monnaies internationales se contentent d’être indexées sur le dollar pendant que sa valeur est garantie par les réserves d’or américaines. Le dollar, par le biais du GES, est une des composantes de la puissance américaine après la Seconde Guerre mondiale. De la même façon qu'Athènes à l’époque de l’antiquité, imposait le drachme à ses alliés de la ligue de Délos comme unité de compte, les Etats-Unis imposent à leur tour le dollar comme monnaie de référence à ses alliés économiques. Mais le couac arrive. 

Avec les fameux accords de Bretton Woods, les USA s’étaient engagés à limiter le montant total de dollars en circulation afin de garantir un niveau de conversion or-dollar. Cet engagement n’a pas été  tenu, et la masse de dollars n’a cessé de croître, à tel point que le président Nixon a mis fin au système de Bretton Woods le 15 août 1971. 

La confiance, la pierre angulaire du système monétaire actuel. 

Désormais, le taux de change entre les monnaies internationales est flottant. L'appréciation ou la dépréciation d’une monnaie est calculée selon l’agrégation de la quantité d’offres et de demandes qui est proposée par les agents économiques. Un tel système demande à ces acteurs un niveau d’abstraction important pour accepter que la monnaie qu'ils utilisent, à travers un billet ou le montant qu’indique le compte en banque d’une application mobile, possède bien la valeur que chacun lui prête alors qu’elle est dépourvue de toute valeur intrinsèque. Ce système repose par conséquent sur un degré de confiance poussé à son paroxysme envers les grandes institutions garantes de la conduite de la politique monétaire à savoir : la réserve fédérale américaine, la banque centrale européenne et la banque populaire de Chine principalement. 

Un système monétaire propice à l’économie libérale

Les échanges commerciaux entre les pays explosent. La fluidité des échanges nécessite des monnaies liquides dans lesquelles tout agent économique peut placer un degré de confiance élevé et dont les transactions doivent être assurées dans un temps court et sécurisé. Le système monétaire est également le reflet de la technologie de notre époque et se nourrit de chaque innovation afin d’améliorer son efficacité : la monnaie est majoritairement scripturale dans les pays développés. Adieu les pièces et les billets. Bonjour le compte en ligne et la carte de crédit dématérialisée. La digitalisation des moyens de paiement va de pair avec l’économie numérique dans son ensemble. L’enjeu est désormais de garantir à moindres frais des transactions fluides et sécurisées de manière digitale. L’analyse historique de l’évolution des moyens d’échanges nous prouve que les systèmes monétaires épousent souvent les traits d’une époque aussi bien d’un point de vue technologique que politique. De la pièce d’argile en 3400 av J-C, à la pièce métallique des cités grecques, aux lettres de crédits de l’ordre des Templiers au Moyen Âge, en passant par l’apparition de la monnaie de crédit par les orfèvres anglais au 17ème siècles, pour arriver à l’étalon-or et au change flottant, le système monétaire n’est pas resté figé au fil du temps. Système monétaire qui va de pair avec le rôle de gouvernance d’un Etat. La blockchain est-elle l'outil innovant du prochain système monétaire ? 

Blockchain : la naissance d’une rupture technologique fondamentale

L'économie mondiale s’inscrit plus que jamais dans une vague de destruction créatrice schumpétérienne déferlant à une vitesse inédite. Nanotechnologie, biotechnologie, intelligence artificielle, technologies cognitives, séquençage du génome, véhicules autonomes… L’innovation est globale et elle dépasse les frontières de la monnaie. De nos jours ce processus est mondialisé : concurrence entre des Etats qui veulent stimuler à grand coups de milliards de dollars l’innovation, et concurrence inter-entreprises qui doivent également innover pour se démarquer. La blockchain s'inscrit dans ce processus d’innovation technologique. 

C’est le doublement régulier de la puissance des microprocesseurs qui a permis l’apparition de la blockchain. L’histoire du Bitcoin en témoigne. Le mathématicien américain David Chaum, dans les années 1990, avait voulu créer une monnaie dématérialisée. Ce qui était concevable intellectuellement ne l’était pas en pratique. Les trop faibles capacités de calcul des ordinateurs et le manque de synergie entre internet et le commerce n’a pas permis l’essor de la blockchain numérique avant le deuxième millénaire. Un jeune ingénieur dénommé Wei Dai avait, à la même époque, mis en lumière le concept de “b-monnaie”. L’ingénieur avait indiqué que, pour qu’une monnaie numérique fonctionne, "une base de données devait enregistrer la valeur des unités monétaires détenues par les utilisateurs et que les données sur la circulation monétaire soient disponibles dans l’ensemble du réseau". Il aura fallu attendre 2008 pour que le mystérieux Satoshi Nakamoto présente le réseau Bitcoin à travers son document (White Paper) : Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System et sa monnaie éponyme. 

Bitcoin : anarchisme et libertarianisme 

Bitcoin et la technologie de la blockchain qui l’alimente sont souvent confondus, car souvent mal compris. Il faut voir la blockchain comme une innovation telle que internet, et Bitcoin comme une entité utilisant la blockchain. Par analogie, si Bitcoin utilise une blockchain, alors Facebook utilise internet au même titre qu'Amazon utilise internet. La blockchain est le fruit de l’histoire entre la monnaie et la technologie. Une histoire faite de ruptures et de continuité, où l'innovation en chasse une autre. En revanche, la blockchain renverse le processus historique dont j’ai décrit les esquisses précédemment. En proposant une infrastructure complètement décentralisée et fiable, permettant la création de nouveaux moyens d’échange en se passant de tiers de confiance, alors, l’horizontalité qu’implique le système monétaire actuel peut-être remise en cause. Mais loin de moi l’idée que nous pouvons sacrifier l’Etat en tant qu’administrateur central dans le rôle de la gouvernance d’une nation à l’heure actuelle. 

Centralisation vs Décentralisation
Source : slideplayer.fr

Le Bitcoin fait partie de ces technologies qui ont pour but de protéger la vie privée et de la rendre invisible aux yeux des entreprises et des pouvoirs publics. Autrement dit, à contre-courant de la tendance actuelle. Des sociétés championnes de la commercialisation des données personnelles d’un côté, et d’un autre côté, des Etats, à l’image de la Chine, en quête du traçage de ses citoyens. Si les autorités de contrôle l’ont d’abord dédaigné et mal compris, elles s'inquiètent désormais et nous avons fort à parier qu’elles ne laisseront pas le pouvoir de la monnaie s’échapper aussi rapidement.

Source : Bitpanda.fr

Nous ne pouvons pas réduire la technologie de la blockchain au Bitcoin ou tout autre cryptomonnaie. Si d’une manière philosophique, il est désormais possible de refaçonner le monde de manière décentralisée, d’une manière conceptuelle, elle ouvre la voie à de nouveaux business model ou moyens d’échange centrés sur l’utilisateur. Pour ses détracteurs, comme souvent pour toute innovation de rupture, à l’image d’internet, la blockchain est associée au financement du terrorisme et au blanchiment d’argent entre autres. Une technologie de la transparence qui souffre d’un paradoxe : dépeinte comme obscure alors qu’elle est censée être claire comme de l’eau de roche. 

Blockchain et cryptomonnaie ? 

Définir la blockchain n’est pas simple. La plupart des définitions se limitent aux caractéristiques techniques de la technologie, elles-mêmes souvent abstraites pour beaucoup d’entre nous : “technologie de stockage”, “liste d’enregistrement”, “système peer-to-peer”, “noeuds de stockage”, “cryptographie”, “algorithme de consensus", “réseau décentralisé”... Un langage d’initié exclut ceux qui ne le maîtrise pas. Or, d’après moi, c’est aux initiés de faire un pas pédagogique vers le plus grand nombre et non au grand nombre de se mettre au niveau des initiés. Nous pouvons tous décrire des technologies bien implantées aujourd’hui : une voiture, une station spatiale, une fusée, une enceinte bluetooth… La compréhension technique des objets technologiques passe après leur compréhension conceptuelle et utilitaire. Rares sont ceux qui décrivent une voiture comme étant : un châssis métallique constitué d’un moteur à combustion fonctionnant avec une source d’énergie fossile ou non fossile. La blockchain en est à ce stade. 

Les cryptomonnaies sont définies comme des “actifs numériques” par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), donc des véhicules d’investissement. En tant qu’investisseur, il me semble indispensable et même impensable d’investir sur ces actifs sans maîtriser la technologie sous-jacente. S'il s’agit d’une révolution technologique monétaire, pouvons-nous entrevoir ses fondements aujourd’hui ? En partie, avec le développement des monnaies numériques de banques centrales (MNBC) déployées sur la base de la technologie de la blockchain. A titre d’exemple, la Chine, même si elle considère être à une étape pilote a déjà lancé son e-yuan (MNBC chinoise). Au 30 juin 2021, près de 70 millions de wallets avaient été ouverts avec lesquels plus de 70 millions de transactions ont été effectuées pour une valeur de 35 milliards de yuans (environ 5,3 milliards de dollars). Quatre mois plus tard, le nombre de wallets numériques a doublé et la valeur des transactions frôle les 10 milliards de dollars. Vous vous rappelez quand je mentionnais un peu plus haut que “Le système monétaire n’est pas resté figé à travers le temps. Système monétaire qui va de pair avec le rôle de gouvernance d’un Etat.” Sommes-nous à l’aube d’une rupture du système monétaire? Seul l’avenir nous le confirmera.

L’adoption du Bitcoin comme monnaie légale par certains pays, est-il le message d’un changement de paradigme monétaire? Le développement de projets crypto-actifs par un grand nombre de sociétés, à l’image de Meta, ex-Facebook, avec son projet Diem, est-il un signe d’adoption future par les entreprises de la blockchain ? Si c'était réellement le cas, n’aimeriez-vous pas être en mesure d’avoir les éléments de compréhension pour au mieux appréhender cette technologie?

Accrochez-vous, le voyage dans le réseau de la blockchain va être tumultueux. Blockchains publiques, privées, permissionnées, smart contract, applications décentralisées, preuve de travail, minage, Ethereum, arbre de Merkle… Le tout, dans la mesure du possible, associé à des cas concrets d’utilisation. Vous l’avez compris, la blockchain couvre un grand nombre de caractéristiques, qui plus est, peuvent être modifiées. Si les deux premiers épisodes ont fait guise de prologue, lançons nous dans le cœur de la saga en décortiquant sous toutes ses coutures la blockchain, avec en toile de fond, les répercussions qu’elle pourrait engendrer sur ce fameux Web3.

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