Dans un contexte où le cadre macroéconomique semble changer presque chaque semaine, au gré des annonces tarifaires du président américain, il devient très difficile pour les économistes d’établir des prévisions. L’un des points sur lequel l’exercice est le plus compliqué est sans doute l’inflation américaine.

Soft data vs hard data

Le point de départ, c’est une dynamique de désinflation qui a permis à la Fed d’entamer son cycle de baisse de taux en septembre 2024. Mais depuis le début de l’année et le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, tout le monde s’inquiète des conséquences de la politique commerciale du président américain sur les prix. 

Ce que l’on peut dire à ce stade, c’est que les enquêtes montrent que ces craintes sont très présentes chez les consommateurs. Les anticipations d’inflation sont ainsi fortement remontées depuis le début de l’année. Vendredi, l’enquête de confiance de l’Université du Michigan a fait état d’anticipations d’inflation au plus haut depuis 1981, à 7.3%. Un chiffre qu’il faut nuancer en rappelant que l’enquête a été réalisée avant l’annonce de la pause de 90 jours entre les Etats-Unis et la Chine, le 12 avril, qui marque une nette détente dans la guerre commerciale.

En face de la remontée des anticipations d’inflation, les statistiques d’inflation montrent que la tendance de désinflation se poursuit. Les statistiques de la semaine dernière - CPI (prix à la consommation) et PPI (prix à la production) du mois d’avril - ont même été publiées en-dessous des attentes.

Evidemment, ces données concernent le passé et l’impact des droits de douane sur les prix est encore devant nous. Pour autant, il ne faut pas oublier que ce sont les prix des biens qui seront impactés et que l’essentiel de l’indice des prix est composé de services.

Dans les services, on retrouve la composante principale du CPI : le logement, qui compte pour 35% de l’indice. Or, c’est une composante sur laquelle il y a beaucoup d’inertie, et dont les indicateurs avancés – comme la série des nouveaux loyers de la Fed de Cleveland - plaident pour une poursuite de la désinflation.

CPI et composante logement du CPI. Source : Bureau of Labor Statistics

Et si le consommateur commence à ralentir, comme le suggère la baisse de la confiance dans les enquêtes, c’est aussi plutôt des pressions à la baisse sur le reste de la partie services.

Autre élément positif pour la détente de l’inflation : la baisse des prix du pétrole. Ainsi, dans l’indice d’inflation du mois d’avril (CPI), les prix de l’essence sont en baisse de 11.8% sur un an.

Il faudra encore voir comment les entreprises réagiront aux droits de douane. Mais la dernière enquête NFIB, menée auprès des petites entreprises, a montré que la part d’entreprises qui monte actuellement ses prix est tombée à 25% contre 31% en février, tandis que celles qui s’attendent à relever leurs prix dans les trois prochains mois est désormais à 28% contre 30% il y a deux mois.

Pressions politiques

Des entreprises d’autant plus prudentes sur l’augmentation des prix que la Maison Blanche commence à mettre la pression pour que les hausses de droits de douane soient absorbées par les marges des entreprises, et donc n’impactent pas trop les consommateurs, qui sont aussi des électeurs.

C’est ce que l’on a vu ce week-end avec Walmart. Tout commence la semaine dernière, lors des résultats trimestriels du distributeur, qui indique qu’il sera contraint d’augmenter les prix pour compenser l’impact des droits de douane. Un revirement alors que l’entreprise avait précédemment indiqué qu’elle prendrait en charge une bonne partie des surcoûts associés, dans une logique de guerre des prix, et donc de gains de parts de marché.

Le PDG de Walmart, Doug McMillon, a indiqué : "Nous ferons de notre mieux pour maintenir nos prix aussi bas que possible, mais compte tenu de l'ampleur des droits de douane, même aux niveaux réduits annoncés cette semaine, nous ne sommes pas en mesure d'absorber toute la pression compte tenu de la réalité des marges réduites dans le commerce de détail". Dans une interview accordée à CNBC, le directeur financier John David Rainey estimait de son côté que les consommateurs commenceront à voir les prix augmenter à la fin du mois de mai et certainement en juin.

Une annonce qui a fait réagir Donald Trump, qui a publié ce message sur Truth Social : "Walmart doit ARRÊTER de prétendre que les droits de douane sont la raison de la hausse des prix dans toute la chaîne. Walmart a réalisé des MILLIARDS DE DOLLARS de bénéfices l’an dernier, bien plus que prévu".

Pour le président américain ce sont les entreprises qui doivent absorber les hausses de droits de douane dans les marges : "Entre Walmart et la Chine, ils devraient, comme on dit, ‘ABSORBER LES DROITS DE DOUANE’, et ne rien faire payer à leurs précieux clients."

Prudence de la Fed

C’est là qu’est tout l’enjeu : quelle part des droits de douane sera payée par les entreprises, via une baisse des marges, et quelle part sera passée au consommateur. Ce qui est certain, c’est que les entreprises américaines, en particulier les plus grandes feront pression sur leurs fournisseurs chinois pour qu’ils baissent leurs prix, et seront elles-mêmes sous la pression de la Maison-Blanche dès lors qu’elles tenteront d’augmenter les prix.

D’autre part, le niveau définitif des droits de douane n’est toujours pas fixé. Seul un accord avec le Royaume-Uni a été conclu. Mais pour les autres pays, c’est seulement une pause qui a été décrétée – jusqu’au 12 août avec la Chine et au 9 juillet avec les autres pays - et les négociations sont en cours.

Plusieurs éléments plaident donc pour une inflation qui reste contenue. Mais tant qu’il y a des craintes de résurgence de l’inflation, la Fed doit maintenir un discours assez ferme et ne peut pas reprendre les baisses de taux. Car l’objectif c’est de maintenir l’ancrage des anticipations d’inflation. Et plutôt que les enquêtes comme celle du Michigan, la Fed prend davantage en compte des mesures de marché comme le 5 ans dans 5 ans (5-Year, 5-Year Forward Inflation Expectation Rate), qui est certes un peu remonté, mais reste autour de 2.3%.