Naviguer dans l'univers des marchés financiers est un véritable casse-tête. D’un côté, il faut comprendre la macroéconomie : la croissance, l’inflation, la politique monétaire. Et de l’autre côté, il faut se plonger dans l’actualité des entreprises ; entre chiffre d’affaires, marge d’EBITDA, Capex, et autres free cash-flow. Et comme cela n’est pas encore assez compliqué, il faut en plus être un spécialiste de l’ornithologie, puisqu’on entend parler à longueur de journées de deux espèces en particulier : les faucons et les colombes.
Lorsque vous entendez ces termes dans le monde financier, c’est qu’on parle de politique monétaire. Les faucons et les colombes – hawks et doves en version originale - désignent les gouverneurs des banques centrales. Les colombes ont une vue davantage pro croissance et sont donc plus prompts à baisser les taux tandis que les faucons sont davantage concernés par le risque inflationniste, avec donc une vision plus stricte du mandat et in fine sont plus prudents à l’égard des baisses de taux. A ce stade, il faut préciser qu’au-delà de la politique monétaire, ce sont des termes que l’on retrouve également dans le champ politique, notamment lorsqu’on parle de politique étrangère.
Un consensus à trouver
Cette plongée dans la sémantique des marchés est l’occasion de rappeler comment sont prises les décisions au sein des banques centrales. Si chaque institution monétaire a une figure de proue, les décisions ne sont pas dans les mains d’une seule personne. C’est à chaque fois un collège de gouverneurs qui prend les décisions, et tous n’ont évidemment pas les mêmes vues quant à la conduite de la politique monétaire. D’où cette opposition entre faucons et colombes.
Tout le travail de Jerome Powell ou de Christine Lagarde consiste alors à faire émerger des décisions qui soient les plus consensuelles possibles. Les plus expérimentés d’entre nous se souviennent de l’ancien président de la BCE, Mario Draghi, dont le talent en la matière n’est plus à démontrer. Une capacité à créer du consensus qui lui a par la suite ouvert les portes de la présidence du conseil italien.
Et il faut dire que la présidence de la BCE n’est de ce point de vue pas simple. Au sein de l’institution de Francfort, les décisions sont prises par le Conseil des gouverneurs, composé des 6 membres du directoire - désignés par les chefs d’états et de gouvernement pour un mandat non renouvelable de huit ans - et des 20 gouverneurs des banques centrales nationales, soit un par pays membre de la zone euro. Il faut donc faire la synthèse entre des personnalités de vingt nationalités différentes. Et on connaît la traditionnelle opposition entre les pays dits frugaux (Allemagne, Autriche, Pays-Bas), fer de lance des faucons et les pays du sud de l’Europe, représentant le camp des colombes.
Equilibre instable
Les faucons et les colombes représentent donc les deux grands courants de pensée au sein des banques centrales. Mais pour comprendre comment le rapport de forces évolue au sein des ces institutions, il faut ensuite faire le distinguo entre les membres votants et non votants. En effet, les deux principales banques centrales de ce monde, la Fed et la BCE, ont un système de rotation des votes ; ce qui signifie donc que tous les membres participent aux discussions mais que tous ne tranchent pas les décisions.
Du côté de la Fed, l’organe qui prend les décisions de politique monétaire, le FOMC - Federal Open Market Committee - est composé de 19 membres : d’un coté, 7 gouverneurs nommés pour un mandat non renouvelable de 14 ans, et de l’autre les 12 présidents des Fed régionales. Mais seulement 12 personnes votent : les 7 gouverneurs et le président de la Fed de New York d’une part, et 4 membres parmi les 11 présidents de Fed régionales restants, d’autre part, selon un système de rotation annuelle.
Source : Federal Reserve Bank of Atlanta
Pour la BCE, conformément aux traités de l’Union européenne, le système de rotation a été mis en œuvre dès que le nombre de gouverneurs a dépassé dix-huit, ce qui s’est produit le 1er janvier 2015 avec l’adhésion de la Lituanie à la zone euro. Cette règle avait été mise en place pour permettre au Conseil des gouverneurs de conserver sa capacité décisionnelle malgré l’augmentation progressive du nombre de pays participant à la zone euro.
Dans cette nouvelle mouture, les six membres du directoire conservent leur droit de vote permanent. Ensuite, l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas se partagent quatre droits de vote et les 15 autres pays disposent de 11 droits de vote. A partir de là, les gouverneurs votent à tour de rôle, selon une rotation qui est cette fois mensuelle.
C'est l'ensemble de ces éléments qu'il faut avoir en tête pour pouvoir suivre l'évolution du rapport de force entre faucons et colombes et donc l'évolution des politiques des banques centrales.