Examinons les performances de trois grandes chaînes de supermarchés au cours des dix derniers exercices : Tesco (Grande-Bretagne), Carrefour (France) et Walmart (États-Unis).

Tesco et Carrefour ont des valorisations comparables, autour des 30 milliards d'euros, dette comprise. Tous deux ont une structure de capital similaire (ratio dette/fonds propres), bien que Tesco soit légèrement moins endetté.

En matière de chiffres d’affaires, la chaîne de supermarchés britannique est passée de 63 à 60 milliards de livres sterling au cours de la décennie, tandis que Carrefour est passé de 75 à 72 milliards d'euros. L'évolution est donc comparable et s'explique, entre autres, par une concurrence accrue et une rationalisation de l'empreinte géographique des deux distributeurs. Nous sommes donc face à des entreprises matures qui sont en léger déclin. Walmart n'est pas confronté à ce problème, puisque ses ventes sont passées de 446 à 573 milliards de dollars !

Situation bilantielle de Tesco - Source : Zonebourse
Situation bilantielle de Carrefour - Source : Zonebourse
Situation bilantielle de Walmart - Source : Zonebourse

En ce qui concerne les marges opérationnelles, Tesco fait presque aussi bien que WalMart, avec 4-5% en moyenne, tandis que Carrefour reste à 3%. Cependant, le marché français de la distribution est exceptionnellement compétitif, bien plus que le marché britannique. WalMart, quant à lui, a l'avantage d'une envergure peu commune sur le plus grand marché de consommation du monde... ainsi qu'une position dominante dans plusieurs États du Sud et du Midwest.

Le capital social de Tesco est passé de 6,3 milliards à 7,7 milliards sur la période, tandis que celui de Carrefour est passé de 659 millions à 791 millions. L'évolution est donc similaire, plus ou moins +20%. En revanche, WalMart est un "cannibale" qui rachète agressivement ses actions et a donc vu son nombre d'actions en circulation diminuer de 3,6 milliards à 2,8 milliards.

L'impact des rachats d'actions

Le bénéfice par action de Tesco est erratique, mais l'augmentation du nombre d'actions couplée à une baisse des marges opérationnelles sur le cycle donne un BPA moyen de 0,1 £ et un cumul de 1,16 £ sur les dix années combinées. Chez Carrefour, nous avons un BPA moyen de 0,95 € et un agrégat de 10 €. Si l'on rapporte ces moyennes à leurs cours actuels, les actions Tesco se négocient à près de x25 leur BPA moyen sur le dernier cycle, contre x16 pour Carrefour. Le BPA moyen de WalMart de 4,4 $ sur le cycle, au cours actuel de l'action, est de x33 !

Walmart parvient à maintenir un BPA à peu près constant grâce aux rachats d'actions, car ses marges opérationnelles diminuent sur le cycle en raison d'une pression concurrentielle qui s'est accrue aux États-Unis ces dix dernières années avec l'émergence du segment des " épiceries premium " et la stratégie de développement très intelligente de Target dans les banlieues. On voit ici comment, dans une entreprise mature, les rachats d'actions peuvent servir de " béquille ".

En termes de bilans, Tesco et Carrefour sont à peu près à égalité, avec environ 12 milliards d'euros de dette nette chacun et 30-35 milliards d'euros d'actifs corporels. Pour le reste, la dette nette de Tesco représente 4 ans de bénéfice d'exploitation (EBIT), celle de Carrefour 5 ou 6 ans, l'avantage va donc ici à Tesco. Chez Walmart, nous sommes sur un ratio dette nette/EBIT de 2.

Le ROE moyen chez Tesco est de 8% sur le cycle, ce qui est légèrement supérieur à Carrefour malgré un levier plus faible. Donc là encore, c'est la chaîne britannique qui gagne. Et une fois encore, Walmart se situe dans une autre sphère avec un ROE solidement ancré à 18% en moyenne.

Walmart dans une autre ligue

Que nous disent les flux de trésorerie ? Tesco a généré un total de 13 milliards de livres en FCF (Free Cash Flow) au cours de la dernière décennie, soit 1,3 milliard de livres par an en moyenne. Il en a versé les 2/3 en dividendes. De son côté, Carrefour a généré 11,2 milliards d'euros, soit 1,1 milliard d'euros en moyenne par exercice. En somme, c'est assez similaire. Le groupe français, en revanche, n'a pu verser que 2,7 milliards d'euros de dividendes à ses actionnaires, car il s'est surtout attaché à réduire sa dette, qui avait atteint un niveau critique il y a une dizaine d'années. WalMart a généré 180 milliards de dollars de FCF au cours du cycle, soit 18 milliards de dollars par an en moyenne. Sur ce montant, 130 milliards ont été reversés aux actionnaires, pour moitié en dividendes et pour moitié en rachats d'actions.

Il est bon de regarder en arrière, car cela nous permet de savoir d'où nous venons et quelle était la dynamique, mais il est aussi essentiel de regarder vers l'avenir. Tesco a un rendement en dividendes de 4,3 % et un PER à terme de x13. Carrefour a un rendement de 3,5 % et un PER à terme de x12. WalMart est encore dans une autre ligue, avec un PER à terme deux à trois fois plus élevé (ajusté pour les éléments exceptionnels de l'année en cours) et un rendement de 1,56%.

Evolution du compte de résultat de Tesco - Source : Zonebourse
Evolution du compte de résultat de Carrefour - Source : Zonebourse
Evolution du compte de résultat de Walmart - Source : Zonebourse

Globalement, ces supermarchés ne sont peut-être pas le meilleur choix d’investissement en ce moment. L'inflation a durement touché leurs bénéfices l'année dernière, Tesco affichant un bénéfice d'exploitation en baisse de 10 % lorsqu'il a dévoilé ses résultats intermédiaires pour 2022. Cependant, Tesco reste nettement plus intéressant que Carrefour, même si tous deux font face à de forts vents contraires, ont une faible rentabilité et sont encore très endettés. Quant à WalMart, bien qu'il s'agisse de la plus grande entreprise au monde en termes de revenus, du point de vue de la valeur, elle reste trop chère.