PARIS, 28 février (Reuters) - Toute l'équipe du film de Roman Polanski "J'accuse" a décidé de ne pas assister vendredi soir à la cérémonie des César du cinéma français, dénonçant un "tribunal d'opinion" contre l'oeuvre 12 fois nommée et son auteur soupçonné d'abus sexuels.

Dans une lettre transmise à Reuters, le producteur du film vu par un million et demi de spectateurs explique ce choix en déplorant les propos du ministre de la Culture, Franck Riester, pour qui récompenser Roman Polanski serait un "symbole mauvais".

Le ministre, "représentant l’autorité de l’État, s’est autorisé une déclaration condamnant par avance et sans le connaître le résultat d’un vote professionnel, indépendant et secret", écrit Alain Goldman. "Nous ne pouvons accepter que le vote démocratique des 4.313 membres de l'Académie soit remis en cause par un tribunal d’opinion, parce que ses juges autoproclamés n’approuvent pas ces résultats."

"Pour toutes ces raisons, nous avons donc décidé de ne pas être présents à la cérémonie des César 2020", conclut le producteur à quelques heures de l'ouverture de la cérémonie salle Pleyel à Paris.

Des militantes féministes ont prévu de manifester sur place pour dénoncer le sexisme dans le milieu du cinéma français.

Roman Polanski avait annoncé dès jeudi son absence à cette 45e soirée annuelle de récompenses du septième art par refus d'un "lynchage public".

Dans un communiqué adressé à Reuters, le réalisateur franco-polonais de 86 ans dit avoir pris "avec regret" cette décision, pour "ne pas affronter un tribunal d'opinion autoproclamé prêt à fouler au pied les principes de l'Etat de droit pour que l'irrationnel triomphe à nouveau sans partage".

"J'ACCUSE" EN TÊTE DES NOMINATIONS

Présent dans douze catégories, "J'accuse" est en tête des nominations et concourra notamment pour les récompenses les plus prestigieuses, dont celles du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur acteur.

Sa venue potentielle a ravivé la polémique sur les égards réservés par le monde du cinéma au réalisateur, accusé d'agressions sexuelles par plusieurs femmes. Roman Polanski a toujours contesté ces accusations.

Franck Riester a déclaré vendredi matin sur franceinfo qu'accorder à Roman Polanski le César du meilleur réalisateur "serait un symbole mauvais par rapport à la nécessaire prise de conscience que nous devons tous avoir dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes".

Dans une récente interview au New York Times, l'actrice française Adèle Haenel, qui a raconté avoir subi des abus dans le milieu du cinéma à l'âge de 12 ans, a estimé que récompenser Roman Polanski s'apparenterait à un "crachat" pour les victimes d'agressions sexuelles.

Adèle Haenel est en compétition pour le César de la meilleure actrice pour son interprétation dans le film "Portrait de la jeune fille en feu" de Céline Sciamma, qui a elle aussi dénoncé le mauvais traitement réservé aux femmes dans le milieu du cinéma. (Elizabeth Pineau, édité par Jean-Stéphane Brosse)