La transition énergétique est déjà engagée, avec le remplacement progressif des énergies fossiles. Cependant, les énergies renouvelables ne sont à l’heure actuelle pas en mesure de répondre à l’accroissement de la demande énergétique . Pour faire le joint entre aujourd’hui et demain, le gaz naturel reste en pole position, pour d’évidentes raisons : beaucoup de ressources, rejette 2x moins de CO2 que le charbon et est relativement bon marché.

Pourquoi parle-t-on particulièrement de gaz naturel liquéfié ? Pour des raisons de transport. Le gaz naturel peut être condensé à l'état liquide (liquéfaction à -162°C). Cette transformation réduit son volume (1/600), on parle alors de Liquefied Natural Gas (LNG). Il est ensuite transporté dans de grands méthaniers (LNG tankers) afin d’être exporté/importé, puis regazéifié. Le géant pétrolier américain ExxonMobil a réalisé cette vidéo afin de mieux comprendre la chaîne de valeur du LNG, de l’extraction de gaz naturel, à sa commercialisation, en passant par sa transformation.

source : ExxonMobil

La production d’énergie à base de gaz naturel, comme pour le charbon et le nucléaire, augmente lorsque les énergies renouvelables connaissent des creux de production. Le graphique ci-dessous datant de décembre 2017 illustre bien cette complémentarité -ou dépendance- avec en vert l’évolution de l’offre de LNG, en bleu la production éolienne et en rouge la production solaire :

source : Royal Dutch Shell

Qui domine le marché du LNG ?

Au total, 19 pays exportent du LNG à travers le monde (ils étaient 10 en 1998). Actuellement, on compte 525 LNG tankers (193 en 2005) et la capacité totale de liquéfaction à travers le monde est de 392.9MTPA (millions de tonnes par an). Il faut ajouter à cela une capacité de 101MTPA en construction.

Plusieurs grands acteurs se partagent le marché, mais grâce au démarrage du projet Ichthys LNG fin 2018 (dont les opérateurs sont INPEX, Total, CPC Corporation, Tokyo Gas holding, Osaka Gas, Kansai Electric Power Company, Jera et Toho Gas), l’Australie a dépassé le Qatar en termes de capacités de liquéfaction avec un total de 72.9MTPA.

Lorsque l’on s’intéresse auxquantités exportées en 2018, le Qatar domine toujours avec 78.7MT (millions de tonnes) de LNG exportés sur l’année (Qatargas, filiale de Qatar Petroleum est le plus grand producteur mondial). L’Australie, toujours deuxième, se rapproche avec 68.6MT exportés ; suivent ensuite la Malaisie (24.5MT) et les Etats-Unis (21.1MT). Le graphique ci-dessous illustre cette répartition :

source : Zonebourse, BP

La Russie n’est que 5ème dans la mesure où elle est connue pour être le plus grand exportateur mondial de gaz naturel, par le biais de ses pipelines et non par la méthode liquéfaction-regazéification.

Lorsque l’on s’intéresse à lacroissance des exportations entre 2017 et 2018, le Qatar est en perte de vitesse (seulement +2MT par rapport à 2017), tout comme la Malaisie (-2MT). La grande expansion se trouve du côté de l’Australie (+12MT vs 2017) et des Etats-Unis (+8.2MT) qui ont représenté 72% de la nouvelle offre sur l’année 2018. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, l’Australie devrait dépasser le Qatar en 2022 et les Etats-Unis dépasseront le Qatar et l’Australie en 2023 pour devenir le premier exportateur mondial de LNG, grâce notamment à l’exploitation du gaz de schiste. 

En résumé, le Qatar est toujours le plus grand exportateur, mais l’Australie et les Etats-Unis sont à l’affût et devraient le dépasser au cours des prochaines années.

Vers qui les producteurs exportent-ils ?

Globalement, la demande de LNG devrait croître à un rythme de 3.6% par an d’ici à 2035 et le continent asiatique comptera pour 95% de cette croissance. Une demande notamment portée par le développement du secteur industriel.  

En 2018, la Chine est devenue le premier importateur mondial de gaz (en incluant l’approvisionnement par gazoducs) et devrait dépasser le Japon en termes d’importations de LNG d’ici 2022. Actuellement, le gaz naturel ne représente que 6 à 8% de l'énergie consommée en Chine, la marge de progression est donc élevée.

Un véritable revirement est en cours et le déclin de la demande japonaise s’explique en partie par sa démographie. La population du pays est en baisse depuis de nombreuses années, les besoins énergétiques supplémentaires sont donc faibles, voire inexistants. Selon Wood Mackenzie, les importations japonaises de LNG devraient chuter de 12% au cours des trois prochaines années.

De son côté, la demande chinoise est toujours en expansion. Elle a connu un nouvel essor en 2018 grâce au plan "Blue Sky" qui vise à réduire la pollution du pays, devenue comme pour une grande partie des pays asiatiques, désastreuse. Le graphique ci-dessous illustre la répartition des importations à travers le monde :

source : Zonebourse, BP

Les facteurs de risque

Dans le cas du marché du LNG, la dépendance à une seule zone géographique -l’Asie- peut être dangereuse. Il est nécessaire de prendre du recul quant à cette situation, d’autant plus qu’au regard de certains éléments, il y a de quoi s’interroger.

D’une part, la Chine inquiète car sa croissance ralentit (ou se stabilise). Au troisième trimestre de cette année, son taux de croissance a été le plus faible depuis plusieurs décennies. La perte de vitesse économique du pays commence à alerter les autorités, au grand regret de l’enjeu énergétique qui pourrait être relégué au second plan. Le graphique ci-dessous permet de mettre en évidence la corrélation entre le taux de croissance de l’économie chinoise et l’évolution du prix du LNG* :  

source : Bloomberg

Evidemment, l’évolution des prix ne s’explique pas uniquement par la demande chinoise. Le marché du LNG n’échappe pas à la loi de l’offre et de la demande. Par exemple, le LNG ne peut pas être stocké dans un méthanier pendant plus de deux mois, en raison de l’évaporation naturelle du gaz. Si plusieurs méthaniers remplis de gaz naturel liquéfié attendent, disons plus d’un mois et demi avant d’être exportés, les opérateurs devront forcément écouler leur production à des prix moins élevés, dans la mesure où la quantité de gaz présente dans les tankers est plus faible. Ce phénomène a déjà impacté les prix par le passé, notamment en octobre cette année où le nombre de méthaniers dans l’attente d’être exportés est passé de 19 à 28 en l’espace d’une semaine. 

D’autre part, toujours concernant la Chine, la quantité de LNG importée en octobre 2019 a été plus faible qu’en octobre 2018. Cela n’était pas arrivé depuis juillet 2016. La baisse du taux de croissance du PIB explique la baisse des importations, tout comme le nouveau pipeline de gaz en provenance de Russie (ligne Sibérie de 2 600km de long), qui est venu bousculer le schéma d’approvisionnement actuel du pays :

Evolution mensuelle par rapport à l’année précédente des importations de LNG en Chine

Dans un secteur dominé par les entreprises d’Etat, il est tout de même possible d’investir dans des sociétés cotées en bourse. Certaines d’entre elles sont positionnées sur un segment de la chaîne de valeur du LNG, comme GasLog Partners LP, qui acquiert et exploite des méthaniers (elle en possède 14), ou Golar LNG Limited et la société norvégienne Höegh LNG Holdings LTD, qui détient des terminaux flottants d’importations, de stockage et de regazéification. D’autres se sont spécialisées dans la location de méthaniers, comme Qatar Gas Transport Company (25 méthaniers en propriété exclusive) ou la conception de systèmes de confinement telle que l’entreprise française GTT. Des entreprises plus globalisées opèrent aussi, comme le numéro un américain Cheniere Energy, Inc. et ses 22.5mpta de capacités de production ou l’entreprise malaisienne Petronas Gas Bhd. De l’autre côté, des supermajors pétroliers sont extrêmement bien positionnés dans le domaine, en commençant par Royal Dutch Shell, leader mondial parmi les pétroliers avec 41mtpa de capacités, boosté par l’acquisition de BG Group en 2016, suivi par Exxon Mobil Corporation (22mtpa), Total (20mtpa), Chevron (15.8mtpa), BP , Eni, OMV, Equinor, Repsol… toutes les options peuvent être intéressantes. 

Le marché du LNG connait depuis plusieurs années une croissance extraordinaire pour une énergie fossile. Le développement des infrastructures est sans précédent et les échanges ont atteint un pic en 2018. Même si rien ne semble freiner son expansion, le gaz naturel liquéfié dépend d’une zone géographique, l’Asie. Si le déclin progressif des importations japonaises invite à une certaine prudence, le LNG a encore de belles années devant lui.

*Prix asiatiques de référence pour le LNG : moyenne des prix mensuels au comptant (SPOT) des importations de LNG au Japon. Le dernier prix connu est celui du 31 octobre 2019. Il est toujours exprimé en million British thermal units (mmBtu).