Le secteur de la gestion d'actifs en Europe est en pleine effervescence suite à l'annonce de la reprise par BNP Paribas de la filiale de gestion d'actifs d'Axa pour 5,1 milliards d'euros, avec un partenariat de long terme prévu. Cette acquisition, qui devrait être finalisée mi-2025, a déclenché une série de discussions et de possibles alliances entre d'autres acteurs européens, tels que Natixis et Generali, pour contrer la domination des géants américains tels que BlackRock ou Vanguard.
Generali espère effectivement conclure un accord préliminaire sur les principaux termes d'un accord de gestion d'actifs avec la société de gestion d'investissements Natixis avant sa journée investisseurs du 30 janvier 2025. D’après des sources anonymes recueillis par Bloomberg, les sociétés envisagent de créer une nouvelle entité détenue à parts égales qui combinerait les 650 milliards d'euros d'actifs sous gestion de la compagnie d'assurance italienne détenus par l'intermédiaire de la société de gestion d'actifs Generali Investments et les 1 300 milliards de dollars d'actifs de Natixis détenus par l'intermédiaire de Natixis Investment Managers.
Pendant ce temps-là, les négociations visant à créer un géant européen pesant plus de 2 800 milliards d’euros d’actifs sous gestion sont à l’arrêt entre Amundi et Allianz. Cette transaction qui devait ressembler à celle entre BNPP et Axa a échoué principalement en raison de désaccords sur la structure et le contrôle de la nouvelle entité. Le leader européen souhaitait acquérir Allianz Global Investors (560 milliards d'euros d’actifs sous gestion), mais l’assureur considère sa filiale de gestion d'actifs comme stratégique et performante, et n'est pas prête à céder le contrôle.
Allianz a d'abord refusé la proposition d'Amundi de détenir une participation minoritaire d'environ 30% dans la nouvelle entité, où Amundi aurait été majoritaire avec un peu plus de 50 %, le reste étant du capital flottant. Amundi a ensuite proposé de réduire sa participation à juste en dessous de 50 % pour accorder plus de poids à Allianz, qui a également décliné cette offre. Ce désaccord s'explique par la crainte d'Allianz de perdre en flexibilité concernant sa politique de gestion, tandis qu'Amundi pourrait bénéficier des synergies entre les deux groupes.
Cette opération aurait créé un “super-géant” de la gestion en Europe faisant passer Amundi en cinquième position des gérants, devant Goldman Sachs et JPMorgan Chase. BNPP AM et Natixis IM occupaient fin 2023 la 19ème et la 20ème position de ce classement, largement dominé par les grands groupes américains.
Économies d’échelles
La consolidation du secteur en Europe est motivée par un manque de compétitivité face aux mastodontes américains. Avec des coûts opérationnels plus élevés et moins d’encours sous gestion, les marges s’amoindrissent. Or, ces marges sont d’autant plus faibles que les frais sont constamment revus à la baisse. Ajoutons à cela une diversité de produits limitée par la réglementation européenne, on comprend mieux la nécessité de grossir afin de réaliser des économies d’échelle.
Les gérants européens cherchent donc à atteindre une taille critique (estimée à 1000 milliards d'euros d'encours) afin de réduire les coûts et d’améliorer la rentabilité. Cet environnement touche encore plus durement les sociétés de gestion qui s’adressent à une clientèle institutionnelle (assureurs, fonds de pension). Au cours des 20 dernières années, les frais moyens payés par les investisseurs ont diminué de plus de moitié, passant de 0,87 % en 2004 à 0,36 % en 2023 nous indique Morningstar.
Ajoutons que le secteur a également souffert de la décennie de taux d'intérêt proches de zéro. Pour éviter de nuire davantage à la performance des fonds obligataires, prisés par les investisseurs institutionnels, les gestionnaires ont dû réduire leurs frais. Cependant, la forte hausse des taux directeurs initiée en 2022 par les grandes banques centrales ne leur a pas été bénéfique. Dans un marché hautement concurrentiel, il est difficile de revenir sur les réductions de tarifs accordées ces dernières années. L’exemple d’Axa qui a cédé sa filiale de gestion à BNPP AM est révélateur des faibles marges dans le milieu : 56 % des 859 milliards d'euros gérés le sont pour le compte du groupe et il s'agit en grande partie (47 %) d'encours obligataires, peu rémunérateurs.
Un marché disrupté… mais en très bonne santé
Si la situation est tendue pour les gestionnaires, le marché de la gestion d'actifs ne s’est pourtant jamais porté aussi bien. Le souhait de se diversifier et de rechercher des actifs plus rémunérateurs - souvent pour contrer une taxation excessive, il faut le reconnaître - voit les encours croître de manière assez constante avec une tendance à l'accélération post-pandémie. La hausse devrait se poursuivre dans les années à suivre.
Il faut relever que la démocratisation des ETF (Exchange Traded Funds) a joué un rôle crucial dans la dynamique actuelle de la gestion d'actifs, exerçant une pression significative sur les sociétés de gestion traditionnelles. Ces fonds, dits indiciels, qui répliquent la performance d'un panier de titres, ont gagné en popularité en raison de leurs faibles coûts et de leur transparence. Ils ont tendance à réduire les frais que les gestionnaires d'actifs peuvent facturer, car les investisseurs se tournent de plus en plus vers ces produits à bas coût. Cette tendance force les sociétés de gestion à chercher des moyens de réduire leurs coûts et d'améliorer leur rentabilité, justifiant encore les fusions et acquisitions pour atteindre une taille critique.
L'essor des ETF pousse également les gestionnaires d'actifs à diversifier leurs offres et à investir au-delà des simples marchés financiers - les marchés publics d'actions et de dettes. Les groupes de gestion d'actifs se tournent désormais vers les fonds privés, qui sont opaques mais potentiellement très lucratifs. Les grands acteurs du secteur, tels que BlackRock, KKR, et Carlyle Group aux États-Unis, ainsi qu'Amundi, Legal & General, Janus Henderson, et Schroders en Europe, mènent cette transition vers les actifs non cotés et le capital investissement.
Ces fonds privés offrent la possibilité de percevoir des frais plus élevés que ceux des fonds de marché public, mais ils comportent également de nouveaux risques pour les clients, notamment en raison de la difficulté à évaluer les actifs qui ne sont pas échangés quotidiennement sur les marchés publics. Les fonds privés offrent généralement une liquidité limitée, ce qui peut protéger les investisseurs contre des vagues de retraits massifs en période de panique, mais cela reste un obstacle majeur pour de nombreux investisseurs.
Une série de fusions déjà longue
La création de grands groupes de gestion d'actifs est perçue comme moins complexe que les fusions bancaires à l'échelle de groupes entiers, qui rencontrent souvent des obstacles politiques et économiques - à en juger par la complexité des affaires autour d’UniCrédit. La consolidation dans la gestion d'actifs offre des économies d'échelle significatives et est donc considérée comme une stratégie plus viable et bénéfique pour les actionnaires.
Amundi s'est par ailleurs construit à coups d'acquisitions pour devenir le numéro un européen de la gestion d'actifs, avec 2 192 milliards d'euros d'encours à fin septembre. Né en 2010 du rapprochement des pôles de gestion de Crédit Agricole et de Société Générale, Amundi a racheté Pioneer Investments, filiale d'UniCredit, en 2017, puis Lyxor AM à la Société Générale, en 2021. Il est le principal émetteur d’ETF en Europe et poursuit une dynamique de croissance: la filiale du Crédit Agricole a mené trois opérations cette année en achetant le gestionnaire d'actifs suisse Alpha Associates en février et la fintech allemande Aixigo en novembre, et en mettant en place un partenariat stratégique avec l'américain Victory Capital en avril.
D'autres grosses opérations ont eu lieu ces dernières années : la Banque Postale a transféré en 2020 sa gestion obligataire, principalement destinée à sa filiale CNP Assurances, à Ostrum AM. Puis, en 2022, l'assureur néerlandais NN Groupa cédé sa filiale NN Investment Partners à Goldman Sachs. La fusion des entités d'asset management de Credit Suisse et d'UBS est encore en pourparlers, les deux groupes se faisant concurrence sur le marché suisse.
Cette année, une consolidation se manifeste également parmi les acteurs plus modestes, qui sont rachetés par de grands groupes :
- Groupama AM rachète Inocap Gestion et se diversifie vers les CGP
- La Française AM s’allient à Crédit Mutuel AM
Ou se consolident entre eux :