Depuis le 20 janvier, le feuilleton des droits de douane anime nos semaines au gré des revirements, retournements de veste et autres changements de pieds de l’administration de Trump. Un flou artistique dont il est difficile de comprendre la logique.  

Ce que l’on constate d’abord, c’est que les pays visés en premier – Mexique et Canada - sont aussi les plus proches partenaires économiques des Etats-Unis. Les chaînes de valeurs entre ces 3 pays sont très intégrées. Donc des droits de douane seraient douloureux pour de nombreuses entreprises américaines. A commencer par le secteur automobile, où le processus de production fait que certaines pièces traversent plusieurs fois la frontière avec le Mexique. Taxer à 25% chaque passage de la frontière n’aurait donc aucun sens. 

Une fois qu’on a dit cela, on aurait tendance à conclure comme nos confrères du Wall Street Journal que cette guerre commerciale est « la plus stupide de l’histoire ». Mais est-ce vraiment une guerre commerciale ? Si l’on écoute la communication des membres de l’administration Trump ces dernières semaines, les droits de douane s’inscrivent dans une « guerre contre la drogue », et non dans une guerre commerciale. C’est encore ce que rappelait le Secrétaire au commerce, Howard Lutnick, dans une interview accordée à Bloomberg, la semaine dernière.  

Déclin de l’Amérique 

A première vue, cette communication ressemble à une énième obsession d’une administration dont on ne comprend pas vraiment la stratégie. Mais n’y a-t-il pas un vrai sujet derrière cela ? Si l’accent est mis sur la lutte contre la drogue et en particulier sur le fentanyl, c’est parce que c’est devenu un problème majeur aux Etats-Unis. Le fentanyl, c’est un opioïde de synthèse, cinquante fois plus puissant que l'héroïne. Et désormais, c’est la principale cause de décès chez les 18-45 ans. 

Et c’est un peu l’emblème d’une population malade. Car entre le fentanyl et plus largement les opioïdes, d’une part, l’obésité et toutes les maladies chroniques qui en découlent, d’autre part, la population américaine n’est pas en bonne santé. Un indicateur traduit cela : l’espérance de vie, qui a atteint son pic en 2014. Depuis, l’espérance de vie a stagné, avec une baisse en 2020 et 2021, conséquence de la pandémie de Covid. Il n’empêche qu’il y a un léger décrochage par rapport aux autres pays occidentaux. Surtout, la dynamique de hausse est cassée. Et avec elle, c’est tout le narratif sur la hausse continue de l’espérance de vie, portée par l’amélioration des conditions de vie et les progrès de la médecine, qui s’effondre. 

Et cela vient renforcer une peur du déclin qui traverse les Etats-Unis. Et c’est exactement à cela que répond Donald Trump. Si nous autres observateurs essayons toujours de comprendre pourquoi une majorité d’Américains a voté pour un candidat dont le programme semble manquer de cohérence, c’est parce que la logique est ailleurs. Ce n’est pas tant le programme de Donald Trump qui fait son succès mais l’idée que l’Amérique est en déclin et qu’il faut que quelqu’un fasse quelque chose. Quoi ? On ne sait pas précisément. Mais lui en tout cas promet de renverser la table. C’est donc qu’il prend la mesure du problème. 

Risque pour la croissance 

Donc sous la surface de l’exceptionnalisme américain, de cette économie au dynamisme que l’on envie tant vu d’Europe, il ne faut pas oublier qu’il y a des difficultés sociales, des territoires marqués par la désindustrialisation et de grandes inégalités dans l’accès aux soins. 

Enfin, une population en mauvaise santé se traduit dans un indicateur très suivi du marché de l’emploi : le taux de participation à la population active, que l’on peut définir comme la proportion de la population en âge de travailler qui est employée ou en recherche d’emploi. Or, depuis 1990, les Etats-Unis sont le seul pays du G7 à voir le taux de participation à la population active baisser. Ce qui peut, à terme, poser un vrai problème pour la croissance. Car cette économie dynamique a d’importants besoins de main d’œuvre. Jusqu’ici c’est, pour une part importante, l’immigration qui permettait d’y répondre. Mais cet afflux pourrait se tarir dans les prochaines années. C’est en tout cas la volonté de l’administration actuelle. 

Taux de participation à la population active

Source : Banque mondiale