Sébastien Faijean, quel bilan dressez-vous de l’année boursière 2024 ?

 " 2024, c’était deux salles, deux ambiances. Aux Etats-Unis, les marchés sont en pleine euphorie… ce qui marque souvent la fin d’un bull market. En Europe et en France en particulier, l’atmosphère est nettement plus morose. Le Stoxx 600 a certes fini l’année dans le vert mais sous-performe de plus de 17 points le S&P 500. La croissance est très faible et l’Allemagne est même en récession pour la 2ème année consécutive. En retard dans les nouvelles technologies, le Vieux Continent souffre du déclin de ses industries traditionnelles comme l’automobile. En France, à la croissance atone se sont ajoutées une crise institutionnelle, après la dissolution surprise en juin, et une crise budgétaire. Conséquence, le CAC 40 est le seul grand indice mondial à terminer l’année en baisse (-2%), plombé également par le ralentissement du secteur du luxe… "

Quel est votre regard sur les plus petites capitalisations, votre domaine de prédilection ?

" On note une sous-performance généralisée des petites valeurs dans tous les pays européens et aux Etats-Unis (le Russell 2000 n’a battu le S&P 500 qu’une fois depuis 8 ans, et encore d’une très courte tête en 2020). Les raisons sont à la fois économiques, financières et techniques : moindre pricing power, sensibilité à la hausse de taux souvent plus élevés et plus variables que pour les grandes capitalisations, incertitudes géopolitiques (le « flight to quality and liquidity » est devenu la règle), essor du private equity, boom de la gestion passive et phénomène du « winner takes all ». En France, est venu s’ajouter le phénomène de déclassement du pays, ce qui s’est traduit par une baisse de -8% pour le CAC Small qui a enregistré une des pires performances parmi toutes les classes d’actifs en 2024. La mauvaise performance du CAC 40 a permis de réduire la sous-performance des Smidcaps qui n’est « que » de 6 points en France alors qu’en Allemagne, elle atteint 20 points. Pourtant, les sociétés n’ont pas démérité : leur chiffre d’affaires est en progression sur 9 mois et les marges ont tenu au S1. En conséquence, la décote par rapport aux large caps et au non coté n’a jamais été aussi forte (près de 30%). Pour terminer sur une note d’optimisme : deux smallcaps ont réussi leur IPO en fin d’année et la CDC va lancer un fonds de fonds de 500M€ avec les 3 premiers mandats qui ont été attribués mi-décembre dont l’effet a été perceptible en fin d’année sur quelques valeurs comme Assystem par exemple. Par ailleurs, le recul de l’inflation et la baisse des taux d’intérêt pourraient recréer un contexte plus favorable économiquement aux petites valeurs, sous réserve que cela ne s’accompagne pas d’une violente récession…"

Vous évoquez une décote historique des valorisations de cette classe d’actif en France. Cela fait déjà quelques années que cela dure, où en sommes-nous en ce début 2025 ?

" Dans la mesure où leurs résultats ne s’effondrent pas (pour le moment au moins), les small et midcaps françaises cotées affichent des multiples de valorisation historiquement bas : en relatif par rapport aux autres classes d’actifs comme par rapport au niveau historique enchaînant donc une 4ème année de sous-performance ce qui est inédit. Par exemple, par rapport aux CAC 40 hors banques-assurances-foncières, le Cac Small décotait de 22% en moyenne sur la période 2009-2016 (décote de 15% à fin 2017) contre 37% de décote en moyenne depuis 2017 et encore 32% à fin 2024e. En Europe, l’EuroStoxx Small est valorisé autour de 8x en VE/EBE fin 2024e soit une décote là aussi proche de 30% par rapport à l’EuroStoxx 50 qui affiche un multiple de plus de 11x (source : Bloomberg). Enfin, les PME et ETI décotent par rapport à leurs semblable non cotées. Alors que les multiples étaient alignés jusqu’en 2017, on constate 30% de décote depuis 2018 et encore 31% à fin 2024e  (source IdMidcaps, Argos Mid-Market). D’où des sorties de cotes nombreuses depuis 4 ans moyennant des primes spots de près de 40%. "

 

      

Multiples VE/EBE de fin d’année (à gauche) et primes spot d’OPA ( à droite, source IdMidcaps)

Comment s’est comportée votre liste de valeurs à l’Achat en 2024 ? Quelles sont vos valeurs favorites actuellement ?

" Notre buy list a été devant l’indice pendant toute l’année. Elle affichait même une progression de plus de 16% avant la dissolution. Elle a souffert ensuite comme tout le marché, avant de bien rebondir en fin d’année grâce à Bilendi (acquisition majeure), Hexaom (valorisation basse alors que le point bas semble passé + quelques petites acquisitions), Fnac Darty (acquisition d’Unieuro et relèvement des guidances) ainsi que Fountaine Pajot (excellents résultats annuels et valorisation ridicule). Nous avons peu fait évoluer la liste au cours de l’année, car il était difficile de trouver des valeurs conjuguant qualité, multiples bas et surtout newsflow positif. Nous avons tout de même réussi à sortir de plusieurs dossiers à temps: Ipsos en début d’année, Exel Industries à l’été ou Mersen en octobre. Les principaux contributeurs ont été : ID Logistics jusqu’à sa sortie à l’été, Hexaom, Bilendi et Stef. Manitou est la valeur qui a le plus pesé sur la performance. Nous entamons l’année 2025 avec la liste suivante Bilendi, Fnac Darty, Fountaine Pajot, Hexaom, Lisi, Jacquet Metals, Manitou, Infotel, Stef et Sword. Nous avons retenu ces sociétés pour la qualité de leurs fondamentaux et leur faible valorisation (potentiel de revalorisation supérieur à 30% à l’exception de Bilendi après la hausse récente). Cependant, compte tenu du cruel manque de visibilité sur la marche de leurs affaires et de la désaffection actuelle pour les petites valeurs, il est fort possible que ces sociétés restent faiblement valorisées ! En revanche, pour qui a un horizon d’investissement long, il y a d’excellentes affaires à faire en ce moment. "