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par Michael Georgy et Ellen Francis

BEYROUTH, 8 août (Reuters) - Quatre jours après l'explosion qui a ravagé le port et plusieurs quartiers de Beyrouth, des milliers de manifestants se sont réunis samedi dans le centre de la capitale libanaise pour exprimer dans un climat de tension leur colère contre le régime.

Les sièges des ministères des Affaires étrangères, de l'Energie et de l'Economie ont été pris d'assaut tandis que les locaux de l'Association des banques libanaises étaient saccagés.

"Nous resterons ici et nous appelons les Libanais à occuper tous les ministères", a déclaré un manifestant. Un portrait du président, Michel Aoun, a été brûlé.

Un policier a été tué en chutant dans une gaine d'ascenseur alors qu'il était pris en chasse par des contestataires, et la Croix-Rouge libanaise a fait état d'au moins 172 blessés, dont 55 ont dû être hospitalisés.

Des policiers ont été touchés par des jets de pierre, un incendie a été allumé sur la place des Martyrs, où de fausses potences en bois ont été érigées, tandis qu'une pancarte réclamait "la démission ou la pendaison".

Les forces de sécurité libanaises ont tiré des gaz lacrymogènes pour tenter de contrôler la situation. Des balles caoutchouc semblent aussi avoir été tirées et des militaires ont été déployés dans le secteur.

LE PREMIER MINISTRE POUR DES ÉLECTIONS ANTICIPÉES

"Le peuple veut la chute du régime", scandaient des manifestants, brandissant des pancartes réclamant le départ des "assassins".

En début de soirée, le Premier ministre, Hassan Diab, a tenté d'apaiser la situation en suggérant que des élections parlementaires anticipées seraient la seule issue à la crise profonde que traverse le Liban.

Il faudra attendre pour voir si l'initiative se concrétise, mais il n'est pas certain qu'un retour anticipé aux urnes calme la colère de Libanais excédés par un régime dont ils réclament la chute.

Certains des slogans entonnés samedi renvoyaient directement aux mouvements du "Printemps arabe" de 2011.

La manifestation est d'une ampleur sans précédent depuis octobre dernier, quand des milliers de personnes étaient descendues dans les rues pour dénoncer la corruption des élites, leur incurie et leur incompétence. Des maux qui, estiment les manifestants de samedi, sont à l'origine de la catastrophe de mardi.

La déflagration de mardi a tué 158 personnes et en a blessé au moins 6.000 autres. On compte toujours 21 disparus, selon le dernier bilan communiqué par les autorités. Elle a aussi ramené la capitale libanaise, aux rues jonchées de gravats, des années en arrière, comme au plus fort de la guerre civile (1975-1990).

Selon le Premier ministre et la présidence libanaise, quelque 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium, un matériau qui entre à la fois dans la composition d'engrais et d'explosifs, ont été stockées pendant six ans dans un hangar du port de Beyrouth sans véritables mesures de sécurités.

"DÉGAGEZ !"

"Vous n'avez pas de conscience, pas de morale. Rentrez chez vous ! Dégagez, démissionnez, ça suffit", a crié un manifestant.

"Nous voulons un avenir, de la dignité, nous ne voulons pas que le sang des victimes de l'explosion soit gâché", avait dit Rose Sirour, croisée dans l'après-midi parmi les manifestants, avant que la situation se tende.

"Nous n'avons aucune confiance en notre gouvernement", commentait Céline Dibo, une étudiante, tout en nettoyant les taches de sang qui souillent les murs de l'immeuble qui abrite son appartement. "J'aimerais tant que les Nations unies prennent le Liban en charge."

Un peu plus loin, Maryse Hayek, une Beyroutine de 48 ans, disait son impression de vivre "à 'ground zero'", comme à New York après les attentats du 11 septembre 2001. "Nos dirigeants ne sont qu'une clique de corrompus", déplorait-elle.

Dans la soirée, l'ambassade des Etats-Unis à Beyrouth a déclaré sur Twitter que Washington soutenait le droit des Libanais à manifester dans le calme et a exhorté toutes les parties impliquées à s'abstenir de toute violence. L'ambassade estime aussi que le peuple libanais "mérite des dirigeants qui l'écoutent et changeront de cap pour répondre aux exigences populaires de transparence et de responsabilité".

Le chef de l'Etat, Michel Aoun, a annoncé vendredi que l'enquête étudierait la piste de la négligence mais aussi celle de l'attentat ou de l'intervention extérieure, écartant au passage la demande d'enquête internationale réclamée jeudi par Emmanuel Macron, son homologue français. Vingt personnes ont pour l'heure été interpellées, a dit le chef d'Etat libanais.

La France co-organisera dimanche une visioconférence réunissant les donateurs afin de coordonner l'aide internationale, a fait savoir l'Elysée ce samedi.

Les dégâts matériels se chiffrent en milliards de dollars - une estimation de 15 milliards a été avancé par les autorités -, un montant que le Liban, qui ploie déjà sous une montagne de dette excédant 150% de son PIB, ne pourra financer seul. (avec Suleiman Al-Khalidi à Amman version française Nicolas Delame et Henri-Pierre André)