Régulièrement primée depuis de très nombreuses années pour sa surperformance sur le long terme, l’équipe de gérants de William Higgons s’intéresse aux petites capitalisations mal valorisées, sans compromis sur la qualité. Une approche « Quality Value » qui a permis au fonds historique Indépendance et Expansion France Small de dégager une performance annuelle de 13.2% depuis 1994, contre 7.2% pour son indice de référence. Son équivalent Européen, lancé fin 2018, s’en sort bien en ce début d’année puisqu’il affiche un repli inférieur à 10% contre plus de 20% pour son indice de référence (au 7/7/22). Après ce début d’année compliqué pour les marchés et surtout les petites valeurs, nous avons souhaité interroger un des meilleurs gérants de la place. 

William Higgons, la version européenne du fonds I&E France qui a fait votre réputation s’en sort très bien dans ces marchés difficiles. Qu’est ce qui différencie les deux fonds ? 

" Nous avons la même approche méthodologique et la moitié des valeurs dans lesquelles nous sommes investis sont présentes dans les deux fonds. Le fonds Europe est un peu moins concentré car sa gestion est plus collégiale et son univers de valeurs « investissables » trois fois plus vaste (environ 300 valeurs, contre une centaine en France). De plus, nous avons tendance à nous laisser porter sur les dossiers surperformant, ce qui explique que le fonds historique ait des positions un peu plus lourdes comme SII que nous avons entré il y a 16 ans et qui pèse 7% de notre fonds France. Enfin, la capitalisation médiane est plus élevée dans le fonds France compte tenu de la présence de quelques capitalisations plus conséquentes du secteur des médias entrées en portefeuille en 2020 par opportunisme : Publicis, TF1, M6 ou encore Ipsos. Dassault Aviation et ses 13 milliards de capitalisation boursière est notre plus grosse capitalisation en portefeuille. 

Concernant la performance, nos deux fonds sont parmi les mieux classés cette année grâce au retour de l’intérêt porté aux valorisations début 2022. De plus, et c’est particulièrement vrai pour le fonds Europe, nous étions bien positionné dès 2021 sur des thèmes qui ont très bien fonctionné : la défense avec le fabriquant allemand d’équipements Rheinmetall (véhicules blindés, systèmes de défense…), l’énergie bois avec Moulinvest et Poujoulat, ou encore la plaisance avec Catana et Fountaine Pajot qui amorti la baisse, même si c’est moins vrai depuis quelques semaines avec les anticipations de récession qui détournent massivement les investisseurs des valeurs réputées cycliques. " 

Performance du fonds I&E France : point bleu sur le graphique de droite (Source : Quantalys) 

Ces périodes de consolidation prononcée sont l’occasion de saisir des opportunités. Y a-t-il des dossiers que l’on peut considérer comme massacrés dans votre fonds ? 

" Considérant que nous ne pouvons pas mieux prévoir que les autres les retournements de cycle économique et de marché, nous sommes totalement investis en permanence. Statistiquement, les études montrent que c’est la meilleure chose à faire. Cela étant dit, il est clair que la période actuelle est particulièrement intéressante pour investir en Bourse dans des valeurs bien choisies. Cela se traduit dans nos PER médians et moyens pondérés qui s’élèvent à 8x dans le fonds France et 9-10x dans le fonds Europe, soit une décote de respectivement 50 et 35% par rapport au marché.  Cela s’explique par la chute des valorisations de la plupart des valeurs et des cycliques en particulier, le marché considérant que la récession est certaine et les analystes ont du retard dans leurs prévisions. Il est toujours difficile pour un analyste d’être le premier à contredire un management confiant, nous pensons cependant que les investisseurs vont au plus simple en arbitrant les valeurs affectées au profit des valeurs relativement épargnées par un retournement de cycle. Notre travail chez Indépendance et Expansion consiste surtout à nous intéresser à la juste valorisation des dossiers en portefeuille. Cela nous amène à conserver la plupart de nos dossiers cycliques : leurs ratios sont tellement bas que même en divisant par deux ou trois les résultats attendus en 2022, leur valorisation reste raisonnable ! Je pense à Jacquet Metals qui se paie 3x les résultats attendus cette année, à TF1 ou encore à Herige et Samse qui, dans un secteur de la construction sur lequel nous sommes pessimistes, devraient tirer leur épingle du jeu pour une valorisation nettement inférieure à 10x les résultats attendus. Sur ce type de valeurs sensibles aux cycles économiques, et je pense aussi à l’intérim, il convient de raisonner sur des résultats moyens à travers le cycle. Les actions restent le meilleur placement dans un univers durablement inflationniste parce que ce sont des actifs réels en outre les taux d’intérêt réels sont bas." 

Un processus de sélection de valeurs de qualité à prix attractif 

A propos d’intérim, vous êtes actionnaire de Synergie et Crit, mais également d’ESN dont les ratios sont bien plus élevés ? 

" Il est vrai que les sociétés de services informatiques restent chères dans l’absolu et historiquement. Cependant, leur marché semble durablement soutenu par la digitalisation des économies et les problèmes d’inflation et de pénurie sont bien gérés, surtout par les meilleurs acteurs du marché. Avec SII et Aubay, nous avons là des acteurs de grande qualité très confiants sur la solidité de la demande de leurs clients dans la quasi-totalité des secteurs. Pour SII, comme pour Alten, le rachat d’Altran et Akka ont favorisé la prise de part de marché en R&D externalisée. Dans l’intérim, Crit bénéficie du retour à la normale de l’aéroportuaire, qui pesait 30% de son CA en 2019, et Synergie a fait preuve d’une grande consistance malgré les aléas conjoncturels de ces dernières années. En outre, le marché du travail reste tendu et le statut d’intérimaire est favorable au niveau de rémunération des travailleurs. Enfin, ces deux sociétés disposent d’un matelas de trésorerie qui à court terme sert de matelas à la valorisation et à terme pourrait être employé intelligemment par les familles actionnaires. " 

Dans le nautisme, votre préférence va à Catana malgré une valorisation plus élevée en instantané… 

" Catana a l’avantage d’être un acteur 100% positionné sur le créneau particulièrement porteur des catamarans sur lequel son modèle Bali fait la différence face à la concurrence. La très forte demande de Bali leur confère un carnet de commandes sans garantie de prix qu’ils devraient pouvoir honorer grâce à une bonne campagne de recrutement en France et en Tunisie. Nous sommes également actionnaires de Fountaine Pajot dont la valorisation est très attractive mais qui reste pénalisée par la reprise du chantier de monocoques Dufour, en perte et plus sensible aux cycles économiques. Enfin, la situation est plus difficile à lire pour Beneteau compte tenu d’un portefeuille d’activité plus varié, avec une exposition plus faible au marché des catamarans et un départ à la direction qui pose forcément question. Mais sa valorisation a beaucoup baissé et nous surveillons le dossier. Dans un secteur proche, le leader européen des véhicules de loisir Trigano nous paraît très injustement valorisé. " 

Avez-vous dû repositionner le portefeuille compte tenu de l’environnement particulièrement volatil et incertain de ces derniers mois ? 

" Nous avons peu bougé depuis deux mois après avoir fortement réduit notre exposition début 2022 au secteur de la construction compte tenu de la hausse des taux, des coûts de construction et de la baisse des permis de construire. Nous avons en effet sorti Vicat qui subit une hausse des prix de l’énergie, Hexaom et Kaufman & Broad. Dans le même esprit, nous avons pris nos bénéfices sur Rothschild & Co compte tenu du retournement de cycle qui se profile sur le secteur du M&A et des multiples de valorisation dans le capital investissement qui risquent de baisser. Plus récemment, nous avons sensiblement allégé Derichebourg. En effet, en dépit d’une valorisation à la casse sur son cœur d’activité de recyclage de ferraille, la prise de participation dans Elior nous inquiète. Nous avons également allégé notre position en Exel Industries. La dernière publication nous a surpris : nous ne nous attendions pas à une telle dégradation des marges alors que la réorganisation laissait espérer une bonne résistance de la rentabilité. Le spécialiste des pulvérisateurs destinés aux marchés agricole, industriel, et au grand public a eu du mal à répercuter les hausses de coûts, et subi un pincement de marge. En outre la diversification dans le nautisme ne nous semble pas pertinente. 

Nous avons renforcé Dekuple et Technip Energies. La première est une entreprise de Data Marketing qui dispose d’une croissance régulière et solide sur les dernières années, avec une valorisation attractive. Technip Energies, spécialiste français du gaz naturel liquéfié (GNL) bénéficiera de la volonté des états européens de se passer du gaz russe et sa valorisation reste attractive, à moins de 10 fois les résultats. " 

Quelle est votre approche de l’analyse ESG ? 

" Nous avons nos propres critères en la matière et avons toujours porté une attention particulière à la gouvernance, à la rémunération des dirigeants, aux risques environnementaux et aux conditions de travail. Cet aspect de l’évaluation des entreprises améliore indéniablement la connaissance des sociétés. Nous sommes en revanche très circonspects sur les critères d’exclusion de certains secteurs comme les énergies fossiles ou l’armement. L’actualité récente tend à nous conforter en ce sens. " 

Principales positions du fonds I&E Europe à fin juin 2022