L'insuline, hormone qui régule le taux de glucose dans le sang, n’est pas produite par les personnes souffrant de diabète (de type 1), ou n’est pas utilisée convenablement par l’organisme de ces derniers, et doit donc être injectée régulièrement aux patients. 

Plusieurs grandes maisons pharmaceutiques se partagent le généreux gâteau des revenus tirés des ventes d’insuline aux patients diabétiques. Parmi elles, le français Sanofi, l’américain Eli Lilly et le danois Novo Nordisk

Un marché en constante croissance 

Cette maladie chronique touchait 537 millions de personnes dans le monde en 2021. Ce chiffre est en constante augmentation, et on estime qu’une personne sur dix sur terre devrait souffrir de diabète à l’horizon 2045. 

Aux Etats-Unis, les autorités de santé avancent que 37,3 millions de personnes souffraient de cette maladie début 2022, soit environ 11% de la population, et qu'une grande partie d’entre elles (8 millions) n’avaient pas encore été diagnostiquées. Par ailleurs, 96 millions d’adultes outre-Atlantique seraient en situation de prédiabète. 

Selon l’OPS (Organisation panaméricaine de la santé), le nombre d'adultes vivant avec le diabète dans les Amériques a plus que triplé au cours des 30 dernières années.

En 2017, l’ADA (American Diabetes Association) évaluait le coût total du diabète diagnostiqué aux Etats-Unis à 327 milliards de dollars, dont 237 milliards de dollars en coûts médicaux directs et 90 milliards de dollars en perte de productivité. Les coûts médicaux excédentaires associés au diabète s'élevaient à 9 601 dollars par personne cette année-là, soit une augmentation de 26 % sur cinq ans.

Des coûts exponentiels

Durant les années 2000 puis 2010, les fabricants de ce traitement ont considérablement augmenté les prix de ce type de produits, beaucoup plus que les prix d’autres médicaments.

Selon une étude du JAMA (Journal of the American Medical Association), le prix du millilitre d’insuline a grimpé de 197% aux Etats-Unis entre 2002 et 2013, faisant ainsi tripler le coût annuel d'un traitement pour chaque patient (de 231 à 736 dollars).

Augmentation des prix de l'insuline par rapport aux autres traitements entre 2002 et 2013

Entre 2010 et 2015 aux Etats-Unis, le prix de l’Humulin d'Ely Lilly a augmenté de 325%, celui du Levemir de Novo Nordisk de 169%, et celui du Lantus de Sanofi de 168%. Les pharma ont toutefois déclaré ne pas avoir perçu la totalité de ces augmentations, en raison des remises importantes accordées aux grossistes ou aux sociétés chargées de gérer les prestations pharmaceutiques. Les laboratoires qui ne se plient pas à cet exercice de négociation avec les prestataires risquent de recevoir une couverture moins favorable de la part des assureurs, selon une déclaration d’un cadre d’Eli Lilly en 2016. 

En 2016, une analyse (de Truven Health Analytics) avançait qu’en 20 ans, Eli Lilly et Novo Nordisk ont augmenté les prix de leurs insulines humaines de 450 % par rapport à l'inflation.

L'augmentation des prix est surtout visible aux Etats-Unis, où la régulation des prix n’est pas aussi intense que dans d’autres pays. En effet, sur la même période, le prix des traitements baissaient en Europe, sous l’effet des négociations avec les autorités de santé. 

L'évolution des prix s'explique par diverses raisons :

  • Les investissements en recherche et développement sont à mentionner bien sûr. 
  • La complexité du produit entre en jeu :  l'insuline est une molécule complexe et de grande taille qui ne peut pas être facilement transformée en pilule comme un générique traditionnel. Elle nécessite un processus coûteux faisant appel à des cellules vivantes et à un bioréacteur.
  • Les améliorations progressives au produit ont généré de nouveaux brevets, créant ainsi une famille d'insulines modernes, véritable manne pour les détenteurs des brevets. Certains observateurs estiment aujourd’hui que les avantages médicaux de ces nouveaux produits brevetés sont discutables. 
  • L'arrivée d'insulines analogues, de nouvelle génération, qui coûtent plus cher que les insulines classiques, mais qui sont plus efficaces pour les patients, ont poussé les prix à la hausse.
  • L’effet “alignement sur les hausses des concurrents” a aussi contribué à l’augmentation. Par exemple, en mai 2014, le prix d'un flacon de Lantus a augmenté de 16,1 %. Dès le lendemain, son concurrent direct, le Levemir, a également enregistré une hausse de prix de 16,1 %. Six mois plus tard, le médicament de Sanofi a de nouveau grimpé de 11,9 % et celui de Novo Nordisk s'est encore aligné sur cette hausse. (Par la suite, Sanofi a baissé le prix de son produit phare de près de 14% courant 2015). 
Traitements pour diabète qui affichent des hausses significatives de prix sur 5 ans

 

Une réduction exigée par les tiers

Les patients, les législateurs et les mutuelles ont commencé à faire pression sur les fabricants et les autorités de santé pour qu’ils revoient les prix pratiqués outre-Atlantique. 

D'abord, la loi sur la réduction de l'inflation a plafonné le coût de l'insuline à 35 dollars par mois pour les bénéficiaires de Medicare. Mais tous les américains n’ayant pas accès à cette couverture médicale, Joe Biden a déclaré le 7 février dernier son intention de fixer le prix de l’insuline à 35 dollars pour tous les patients. 

Les fabricants ont donc cédé aux demandes du gouvernement. 

Au début du mois de mars, Eli Lilly a déclaré qu'elle prévoyait de réduire de 70 % les prix de ses insulines les plus couramment prescrites, à partir du quatrième trimestre 2023. Le fabricant américain prévoit également d'étendre un plafond mensuel de 35 dollars sur les frais à la charge des patients.

Novo a déclaré cette semaine qu'il réduirait de 75 % le prix de son insuline NovoLog et de 65 % celui de Novolin et de Levemir, à partir de janvier 2024. L'entreprise prévoit également de réduire les prix de ses produits d'insuline sans marque afin de s'aligner sur les prix plus bas des marques correspondantes.

Dans la foulée, Sanofi a déclaré réduire de 78 % le prix de Lantus, l'insuline la plus utilisée aux États-Unis, et de 70 % le prix de son produit Apidra à partir de janvier 2024. Le groupe français a aussi pris des mesures pour rendre ses insulines plus abordables, notamment en lançant une version sans marque de Lantus avec un rabais de 60 %, et indiqué plafonner à 35 dollars le coût mensuel à la charge des patients non assurés pour toutes ses insulines. 

Source : Statista

Quelles conséquences pour les fabricants ?

Les changements de prix ne devraient pas affecter les fabricants de médicaments de manière immédiate. Entre les accords de prix conclus avec les prestataires et les quote-parts mensuelles fixes payées par les patients assurés, il y aura un délai de normalisation. 

Mais à plus long terme, les 3 groupes dont nous avons parlé, qui détiennent à eux seuls près de 90% des parts de marché du diabète, seront affectés, car chacun d’eux tire une part non négligeable de ses revenus des produits liés au diabète. 

Pour le français Sanofi, en 2021, les ventes liées au diabète ont compté pour plus de 12% du chiffre d’affaires (soit 4,535 milliards d’euros sur 37.761 milliards au total). Les ventes liées au diabète représentent près de 10% des ventes du groupe français aux Etats-Unis. 

Pour Novo Nordisk, les ventes liées au diabète représentaient 79% des revenus du danois en 2022, dans le monde comme aux Etats-Unis (66.8 milliards de ventes liées au diabète sur 84.6 milliards de dollars de ventes totales dans ce pays). En 2022, dans le segment diabète, le groupe a augmenté sa part de marché en valeur de 1,8 point de pourcentage pour atteindre 31,9 %. 

En 2021, Eli Lilly a tiré 45.6% de ses revenus mondiaux de ses produits liés au diabète. Les différents traitements de la pharma dans ce segment (Basaglar, Humalog, Humulin, Jardiance, Trajenta, Trulicity) ont rapporté 12,9 milliards de dollars sur 28.3 milliards. Aux Etats-Unis, le segment diabète représente plus de la moitié des ventes totales du groupe.