Kennedy a justifié sa décision en invoquant la nécessité de "restaurer la confiance du public", assurant qu'il ne s'agissait "ni de promouvoir ni de combattre les vaccins", mais de renforcer la crédibilité des institutions.
Vives réactions de la communauté scientifique
L'annonce a été rapidement condamnée par des experts. Jesse Goodman, ancien scientifique en chef de la FDA, a qualifié l'initiative de "tragédie", estimant qu'une telle ingérence politique "affaiblira la confiance plutôt que de la renforcer". Bien que purement consultatif, l'ACIP joue un rôle déterminant dans l'élaboration des recommandations du CDC, lesquelles influencent l'accessibilité des vaccins et leur prise en charge par les assurances.
L'organisation PhRMA, qui représente les industriels pharmaceutiques, a dénoncé une décision génératrice d'incertitude et de scepticisme vaccinal. Les marchés ont immédiatement réagi : les actions de Moderna et BioNTech ont perdu plus de 1% dans les échanges après la clôture, et Pfizer a enregistré un léger repli.
Des soupçons de conflits d'intérêts non étayés
Kennedy estime que le comité était gangrené par des conflits d'intérêts, accusant ses membres de liens financiers avec l'industrie pharmaceutique. Aucun élément concret n'a toutefois été présenté. Conformément aux règles en vigueur, les membres sont tenus de déclarer leurs affiliations professionnelles, et les archives disponibles n'indiquent que des cas isolés de récusation liés à des essais cliniques.
L'administration n'a pas non plus démontré l'accusation selon laquelle l'ACIP n'aurait jamais rejeté un vaccin, alors même que sa mission n'est pas d'approuver les vaccins, mais d'émettre des recommandations après leur autorisation par la FDA.
Tous les membres évincés avaient été nommés sous le mandat de Joe Biden, dont treize en 2024. Leur révocation donne à l'administration Trump, reconduite après l'élection de 2024, l'opportunité de remodeler ce comité bien avant la fin du mandat en 2028.
"Ce comité n'a jamais été politique, encore moins partisan", a rappelé Dorit Reiss, juriste spécialisée dans la politique vaccinale. Elle a souligné que, historiquement, les présidents s'étaient toujours abstenus d'intervenir dans sa composition.
La prochaine réunion de l'ACIP est prévue du 25 au 27 juin au siège du CDC à Atlanta. Les experts doutent qu'un nouveau comité opérationnel soit en place d'ici là, à moins que des candidats aient déjà été discrètement identifiés et évalués.
Une politique vaccinale de plus en plus déstabilisante
La ligne adoptée par Kennedy en matière de vaccination continue de semer le trouble. Sa prise de position hésitante en faveur du vaccin contre la rougeole, alors qu'une épidémie meurtrière sévit, a été vivement critiquée. Récemment, il a court-circuité les procédures habituelles pour annuler la recommandation de vaccination contre le COVID-19 chez les enfants en bonne santé et les femmes enceintes.
Le sénateur Bill Cassidy, médecin et républicain ayant soutenu la nomination de Kennedy malgré ses réserves initiales, a exprimé ses craintes : "On redoute maintenant un comité composé de personnes qui ne connaissent des vaccins que leur suspicion", a-t-il publié sur X, après avoir échangé directement avec Kennedy.
Le rôle traditionnel de l'ACIP, qui influe notamment sur le déploiement vaccinal et les modalités de remboursement dans le cadre de lois comme l'Affordable Care Act, confère à cette réorganisation une portée considérable. Reste à savoir si cette rupture renforcera, comme Kennedy l'espère, la confiance du public, ou si elle aggravera les divisions existantes.
Un signal d'alarme pour l'industrie pharmaceutique
Cette décision intervient peu après la démission, en avril, de Peter Marks, directeur du Centre d'évaluation des produits biologiques à la FDA. Figure centrale de l'opération Warp Speed pendant la pandémie de Covid, Marks était considéré comme une référence scientifique fiable au sein de l'agence.
Dans sa lettre de départ, il a accusé Kennedy de ne pas rechercher la vérité, mais "une validation de ses désinformations et mensonges". Ce départ, couplé aux derniers choix politiques, marque un tournant pour les grands laboratoires pharmaceutiques. Les investisseurs en prennent note : les actions des biotechs fléchissent, et les analystes de Cantor Fitzgerald parlent d'une dérive "dangereuse" pour le pays.
Le secteur pharmaceutique américain affronte par ailleurs un climat d'incertitude croissante sous l'administration Trump. À la clé : possibles droits de douane, coupes budgétaires au ministère de la Santé (HHS) et pressions pour faire baisser les prix des médicaments.
Selon ING, ces politiques pourraient freiner l'innovation pharmaceutique. Une coupe proposée de 33 milliards de dollars, soit 26% du budget du HHS, incluant les Instituts nationaux de la santé (NIH), menace de réduire la recherche fondamentale et non commerciale, affaiblissant la position des États-Unis dans le développement mondial de médicaments.
Face à cette instabilité financière et réglementaire, certains groupes pourraient réduire leurs investissements en R&D, d'autant que l'augmentation des coûts ne peut être entièrement répercutée sur les consommateurs. Cette contraction de l'innovation pourrait profiter à la concurrence internationale, notamment chinoise, dont la part dans le pipeline mondial de médicaments est passée de 4% en 2014 à 27% en 2024.
Les grandes valeurs pharmaceutiques américaines sont déjà en recul depuis le début du second mandat de Trump, et les investisseurs auraient tout intérêt à faire preuve de prudence pour la suite.