Bon allez, un chiffre quand même, mais pas celui qui a le plus circulé : l'entreprise publique saoudienne est celle qui a émis le plus de CO2 et de méthane au monde avec la combustion de ses produits entre 1965 et 2017. En d'autres termes, c'est l'acteur du compartiment pétrolier, gazier et charbonnier le plus polluant du monde sur une demi-siècle. Les travaux du Climate Accountability Institute montrent que Saudi Aramco est à l'origine de 4,38% des émissions sur la période, devant Chevron (3,2%) et Gazprom (3,19%). Sur un laps de temps plus court, le géant saoudien est certes dépassé par China Coal (14,2% des émissions de CO2 sur la période 1988 à 2015, selon The Carbon Majors Database !), mais il reste terriblement constant (4,5% des émissions depuis 1988).

J'en vois déjà qui trouvent que c'est un peu fort et, qu'après tout, cette pollution n'est que le reflet de notre société de consommation occidentale, du carburant dont il faut abreuver nos SUV ou du plastique qui emballe nos aliments et qui protège nos smartphones. Ou que les Saoudiens ont bon dos pendant que les Etats-Unis fracturent à tire-larigot et que la Chine est alimentée à 60% au charbon. C'est vrai. Je pourrais même ajouter que les Français n'ont pas vraiment de leçons à donner avec Total qui figure en bonne place dans le classement du CAI (17ème avec 0,91% des émissions estimées de CO2 entre 1965 et 2017). Mais ce n'est pas parce qu'on a fermé les yeux jusque-là qu'il faut continuer à se fourvoyer.

Il faudrait, il faut, que l'opération Saudi Aramco soit un échec. Quelque part, c'est déjà le cas : les valorisations initiales stratosphériques ont fait place à des multiples (un peu) moins délirants et l'IPO se limitera pour l'instant à une part minimaliste du capital, sur le seul marché domestique de Saudi Aramco, Riyad. Pourtant, le message ne sera pas assez fort tant que les financiers occidentaux voudront leur part du gâteau.

Plusieurs ONG ont écrit collectivement le 17 octobre "aux CEO de Bank of America, Citigroup, Credit Suisse, Goldman Sachs, HSBC, JPMorgan et Morgan Stanley" en leur demandant de renoncer à leur rôle de coordinateurs de l'opération… et en leur rappelant au passage le "bilan effrayant du régime saoudien en matière de droits de l'Homme". Manifestement, aucun des établissements cités n'a bougé le petit doigt. Mais il ne faudrait pas croire que les banques d'affaires américaines, suisses et britanniques sont les seules à vouloir toucher au grisbi. Saudi Aramco a aussi désigné onze teneurs de livres associés. Parmi eux, BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale. Pas très finance responsable tout ça.