par Tom Miles et Ayla Jean Yackley
GENEVE/MURSITPINAR, Turquie, 11 octobre (Reuters) -
L 'émissaire spécial des Nations Unies pour la Syrie a appelé
vendredi la Turquie à agir pour empêcher l'Etat islamique (EI,
ex-EIIL) de s'emparer Kobani, ville kurde du nord de la Syrie
assiégée depuis trois semaines par les djihadistes, disant
craindre le massacre de milliers de personnes.
"L'appel lancé par le Secrétaire général (de l'ONU) à tous
ceux qui peuvent faire quelque chose pour protéger les civils
est toujours d'actualité. C'est pourquoi nous appelons la
Turquie à prendre de nouvelles mesures pour arrêter l'avancée de
l'EIIL", a dit Staffan de Mistura lors d'une conférence de
presse à Genève.
"Si Kobani tombe, ce seront près de 400 kilomètres de la
frontière turque (avec la Syrie) sur 900 kilomètres qui seront
pratiquement sous le contrôle de l'EIIL. Et qu'arrivera-t-il
après ? D'autres villages ? Alep ?", a ajouté le diplomate
suédois.
"Notre appel s'appuie sur le principe que l'ONU ne renoncera
pas, après Srebrenica, à faire des droits de l'homme une
priorité", a-t-il poursuivi, évoquant le massacre de 8.000
hommes et adolescents en juillet 1995 dans cette ville de Bosnie
alors sous protection de l'Onu.
"Vous vous souvenez de Srebrenica ? Nous, oui. Nous n'avons
pas oublié et nous ne nous le pardonnerons sans doute jamais", a
insisté l'émissaire de l'Onu.
Kobani, a-t-il rappelé, comptait 400.000 habitants avant les
combats de ces dernières semaines. Aujourd'hui la quasi-totalité
ont fui. Selon les derniers chiffres des Nations Unies, 700
personnes, surtout des personnes âgées, sont coincées dans la
ville elle-même et environ 12.000 personnes se trouvent à
l'extérieur de la ville, dans une zone près de la frontière avec
la Turquie.
Si Kobani tombe, toutes ces personnes seront
vraisemblablement "massacrées", a dit l'émissaire spécial.
La bataille de Kobani a donné lieu à des manifestations
d'une rare violence qui ont fait 33 morts en Turquie, où vivent
15 millions de Kurdes. Beaucoup accusent le président Recep
Tayyip Erdogan de fermer les yeux sur le sort de leurs frères
syriens. Parmi les 33 morts recensés depuis mardi figurent deux
policiers.
LES USA FATALISTES
Les intenses combats qui opposent les djihadistes aux
défenseurs kurdes de Kobani, dépassés sur le plan matériel,
étaient audibles vendredi soir au-delà de la frontière turque.
Des avions appartenant vraisemblablement à la coalition formée
par Washington pour combattre l'Etat islamique ont survolé la
ville et un raid a été mené à sa limite ouest. Mais les
Etats-Unis eux-mêmes reconnaissent que les frappes aériennes ont
peu de chance d'empêcher la prise de Kobani.
"Notre priorité en Syrie c'est de dégrader les capacités de
l'Etat islamique en le frappant au coeur pour l'empêcher de se
projeter, de commander, de s'organiser et de se ravitailler", a
déclaré Tony Blinken, conseiller national adjoint à la sécurité
nationale.
"La tragique réalité, c'est que, pendant que nous faisons
cela, il y a des lieux comme Kobani où nous risquons de ne pas
être efficaces", a-t-il ajouté. Mercredi, le secrétaire d'Etat
John Kerry avait quant à lui estimé que Kobani n'était pas "un
objectif stratégique".
Selon Tony Blinken, l'Etat islamique tient désormais 40% de
la ville. L'Observatoire syrien des droits de l'homme avance la
même estimation, mais son directeur Rami Abdelrahman précise les
miliciens islamistes ont pris le "quartier de sécurité" où se
trouve l'administration locale.
Les hommes de l'EI cherchent également à prendre le contrôle
de la route qui mène de Kobani à la frontière turque, afin
d'isoler totalement les défenseurs kurdes.
Öcalan Iso, numéro deux des forces kurdes dans la ville,
affirme en revanche que l'EI ne contrôle pas plus de 20% de
Kobani et qu'il continue à pilonner le centre-ville, ce qui
prouve qu'il n'en est pas encore maître.
A Washington, le département d'Etat a fait savoir que la
Turquie avait accepté de participer à la formation et à
l'équipement de l'opposition syrienne modérée.
En Turquie, le chef de l'Etat a accusé les chefs de file de
la communauté kurde de lancer "des appels à la violence", malgré
le processus de paix en cours avec les séparatistes du Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK).
"Je me suis donné corps et âme pour ce processus de paix et
je continuerai à me battre jusqu'à mon dernier souffle pour
restaurer à tout prix la fraternité entre les 77 millions" de
Turcs, a-t-il ajouté, dans une allocution télévisée.
(Avec Humeyra Pamuk, Jonny Hogg et Seda Sezer en Turquie,
Oliver Holmes et Tom Perry à Beyrouth et Arshad Mohammed à
Washington; Jean-Philippe Lefief pour le service français)