Pékin (awp/afp) - Renoncer à un objectif de croissance, ou bien fixer un cap malgré l'incertitude épidémique: la Chine doit dévoiler vendredi ses orientations économiques pour les cinq prochaines années, dans un monde ébranlé par le Covid.

Premier pays touché par le coronavirus qui a paralysé son économie, la Chine avait renoncé l'an dernier à fixer un objectif de croissance pour 2020, une décision rarissime dans l'histoire récente du géant asiatique.

Pékin s'est également abstenu jusqu'à présent de donner un chiffre pour le prochain plan quinquennal (2021-25), dont les grandes orientations doivent être présentées à l'Assemblée nationale populaire (ANP, le parlement chinois soumis au Parti communiste).

Dans la pure tradition du régime, l'objectif de croissance pour l'année en cours est annoncé en ouverture de la session parlementaire lors du discours-fleuve du Premier ministre.

Li Keqiang s'y livrera vendredi, mais, pour la deuxième année consécutive, il pourrait s'abstenir d'afficher une cible chiffrée.

Après des mesures de confinement sans précédent qui ont plombé l'activité, la Chine a connu au premier trimestre 2020 un repli historique de sa croissance (-6,8%).

L'amélioration progressive des conditions sanitaires à partir du printemps a toutefois permis au produit intérieur brut (PIB) de rebondir.

La Chine a finalement enregistré une croissance positive l'an dernier (+2,3%), à l'opposé de la plupart des autres pays tombés en récession -- mais le score le plus bas pour la deuxième économie mondiale depuis 1976.

L'annonce ou non d'un objectif de croissance pour cette année sera "révélateur du degré de confiance" des autorités pour l'avenir, estime Larry Ong, du cabinet SinoInsider, basé aux Etats-Unis.

"Chiffres en trompe-l'oeil"

Car "si la propagande martèle que les choses vont bien (...) le régime sait en réalité qu'il est confronté à d'énormes risques" notamment sur le plan financier, relève M. Ong pour l'AFP.

En janvier, l'un des plus gros groupes privés chinois, HNA, a annoncé son placement en procédure de faillite. Fragilisé par la pandémie, ce géant du tourisme et de l'aviation est aujourd'hui criblé de dettes.

D'une manière générale, Pékin est préoccupé par l'ampleur des prêts contractés par les grands conglomérats du pays, dont le niveau d'endettement présente un risque systémique.

En témoigne fin 2020 l'entrée en Bourse avortée du géant du paiement en ligne Ant Group, fondé par Jack Ma, pionnier du e-commerce en Chine avec son groupe Alibaba. L'opération, stoppée nette par les autorités, aurait dû être la plus grosse introduction en Bourse de tous les temps.

Cette année, si Pékin ne fixe pas d'objectif de croissance, il pourrait toutefois "laisser échapper" une tendance via des experts ou d'anciens fonctionnaires dont la parole est habituellement très encadrée, estime Larry Ong.

Le mois dernier, Liu Shijin, un conseiller économique du gouvernement, évoquait dans la presse une croissance de 8,7% en 2021, et "plus de 15% au premier trimestre, voire autour de 20%".

Mais, soulignait-il, "il ne faut pas se méprendre: la Chine ne retrouverait pas pour autant le chemin d'une croissance forte". Et le conseiller de parler de "chiffres en trompe-l'oeil", gonflés mathématiquement après une année 2020 morose.

Défis et incertitudes

Si la reprise en Chine est bien là, elle est cependant disparate.

Les PME, les plus dynamiques en termes d'emplois, restent fragilisées après avoir subi de plein fouet la pandémie, selon l'agence de notation Fitch Ratings.

Les secteurs de l'hôtellerie-restauration, du transport et de la logistique en particulier peinent à s'en remettre.

Et si le commerce de détail a repris des couleurs, tous les secteurs affichent des niveaux "bien en deçà" de ce qu'ils étaient avant la pandémie, d'après Fitch.

L'objectif de croissance a des "conséquences particulièrement néfastes", estime l'analyste Mark Williams, du cabinet Capital Economics.

Car pour l'atteindre en période de ralentissement, les responsables chinois se tournent vers des plans de relance "excessifs", ce qui fait gonfler l'endettement, relève M. Williams.

En dépit de l'amélioration de la conjoncture, "les défis et incertitudes persistent" notamment sur le front de l'emploi, a admis vendredi le ministre du Travail, Zhang Jinan, promettant un soutien aux petites entreprises ainsi qu'aux personnes à bas revenus.

L'an dernier, le taux de chômage -- calculé en Chine pour les seuls urbains -- s'est affiché à 5,6%, après un record absolu de 6,2% en février 2020, au plus fort de l'épidémie.

Ce critère dresse toutefois un tableau incomplet de la conjoncture économique: en Chine, le chômage ne tient pas compte des près de 300 millions de travailleurs migrants, d'origine rurale, dont beaucoup ont perdu leur emploi du fait de la crise.

afp/fr