FRANCFORT (Reuters) - La Banque centrale européenne (BCE) a relevé jeudi ses taux d'intérêt de trois quarts de point, une mesure sans précédent, et dit prévoir de nouvelles hausses dans les prochains mois, donnant la priorité à la lutte contre l'inflation malgré le risque d'une récession dans la zone euro cet hiver.

Confrontée à une hausse des prix qui se rapproche de 10%, du jamais vu depuis plus de 40 ans, les autorités monétaires craignent de voir les anticipations d'inflation augmenter durablement, ce qui risquerait d'enclencher une boucle prix-salaires particulièrement dangereuse tout en sapant l'épargne des ménages.

Après la hausse d'un demi-point des taux directeurs décidée en juillet, la BCE a donc relevé le taux de sa facilité de dépôt, qui était négatif il y a encore quelques semaines, à 0,75% et son taux de refinancement à 1,25%, soit à leur plus haut niveau depuis 2011. Et de nouvelles hausses sont à prévoir en octobre comme en décembre.

"Nous avons encore du chemin à faire", a prévenu la présidente de l'institution, Christine Lagarde, lors d'une conférence de presse, ajoutant que la décision prise ce jeudi d'"accélérer" le relèvement des taux l'avait été à l'unanimité des membres du Conseil des gouverneurs.

Ceux-ci divergeaient pourtant ces dernières semaines entre l'hypothèse d'une hausse de 50 points de base et celle d'un relèvement de 75 points, mais l'annonce d'une nouvelle accélération des prix semble avoir fait pencher la balance en faveur de la deuxième.

L'inflation dans la zone euro a en effet atteint 9,1% en août selon la première estimation d'Eurostat publiée la semaine dernière et l'inflation dite de base, à 4,3%, est plus de deux fois supérieure à l'objectif de la BCE, signe que l'envolée des prix de l'énergie se diffuse peu à peu au reste de l'économie.

La BCE a en outre revu à la hausse ses prévisions d'inflation, disant tabler désormais sur une hausse des prix de 8,1% cette année, de 5,5% l'an prochain et de 2,3% en 2024, tout en réduisant ses prévisions de croissance.

LA HAUSSE DE 75 POINTS NE DEVIENT PAS LA NORME, DIT LAGARDE

Le communiqué du Conseil des gouverneurs dit qu'il "prévoit de continuer à augmenter les taux d'intérêt au cours de ses prochaines réunions afin de freiner la demande et d'éviter le risque d'un glissement à la hausse persistant des anticipations d'inflation", sans aller jusqu'à évoquer l'ampleur possible des hausses à venir.

Interrogée sur ce point, Christine Lagarde a précisé: "Nous n'avons pas dit 'augmenter de 75 (points de base)' comme si 75 était la norme; ce n'est pas le cas."

Pour Gurpreet Gill, responsable de la stratégie Macro de Goldman Sachs Asset Management à Londres, "la forte hausse de taux d'aujourd'hui est une riposte à la récente surprise à la hausse sur l'inflation et à la détérioration haussière des perspectives d'inflation".

"La banque centrale semble penser qu'une décélération de la croissance, qu'elle prévoit sous 1% en 2023, ne suffira pas à freiner l'inflation et qu'il est plus prudent de resserrer fortement sa politique pour empêcher un ancrage accru de l'inflation."

Sur le marché des changes, l'euro cédait du terrain à 0,9969 dollar et les principaux indices boursiers de la zone euro reculaient à 14h30 GMT: l'EuroStoxx 50 perdait 0,19% et le CAC 40 à Paris 0,1%.

Les valeurs bancaires, dont les marges ont tendance à bénéficier d'une remontée des taux directeurs, étaient néanmoins en hausse de 2,75%.

Les rendements des emprunts d'Etat profitaient parallèlement de l'annonce par la BCE d'une rémunération des dépôts des Etats membres auprès de leur banque centrale nationale au niveau du taux de dépôt, une mesure qui vise à réduire les tensions sur les marchés obligataires.

Le rendement à dix ans allemand prenait plus de 10 points de base à 1,676% et son équivalent français remontait à 2,23%.

(Reportage Francesco Canepa et Balazs Koranyi, version française Marc Angrand, édité par Nicolas Delame et Jean-Stéphane Brosse)

par Balazs Koranyi et Francesco Canepa