Mais les effets de ce nouveau mécanisme, en débat depuis plusieurs mois, seraient probablement répartis de manière déséquilibrée, profitant en premier lieu aux grandes banques allemandes et françaises.

Alors que les tensions commerciales internationales menacent de dégénérer en guerre des monnaies, la BCE devrait réduire en septembre son taux de dépôt, fixé pour l'instant à -0,4% et qui se traduit par une charge pour les banques qui déposent leur liquidité à la banque centrale. Les marchés anticipent pour l'instant un taux ramené à -0,6% d'ici la fin de l'année.

Cette baisse sera probablement accompagnée d'un engagement à maintenir un peu plus longtemps les taux d'intérêt à leur niveau actuel et de nouveaux achats d'obligations, des mesures censées freiner l'euro et réduire le coût du crédit mais qui auront un coût pour les banques, incapables de répercuter sur leurs clients emprunteurs les coûts induits par le taux négatif.

Pour amortir cet impact, le président de la BCE, Mario Draghi, a déclaré que toute baisse de taux serait accompagnée de "mesures d'allègement", probablement sous la forme d'une exemption partielle du taux de dépôt, ce que le marché assimile à une modulation du taux de dépôt.

"La baisse des rendements va accroître la pression sur les revenus", explique Macro Troiano, directeur de l'agence de notation Scope. "La mise en place d'un taux modulé pourrait amortir le choc, notamment pour les banques qui disposent d'importantes liquidités excédentaires."

Mais mettre au point un tel mécanisme n'est pas chose facile, la situation en matière de liquidités bancaires variant selon les pays, et le mécanisme pourrait avoir des effets indésirables en favorisant une remontée des taux de marché, ce qui irait à l'encontre du but recherché.

ALLEMAGNE ET FRANCE, PRINCIPAUX BÉNÉFICIAIRES POTENTIELS

Les banques paient actuellement quelque sept milliards d'euros par an à la BCE sur les liquidités déposées auprès d'elle au-delà des niveaux minimaux requis.

Ce montant atteindrait 8,8 milliards d'euros si le taux de dépôt était abaissé à -0,5% selon les calculs de Reuters, fondés sur les données disponibles à fin juin.

Mais on ne sait pas pour l'instant comment fonctionnerait le mécanisme de modulation évoqué par la BCE.

Les expériences de mécanismes similaires mis en place entre autres au Japon et en Suisse suggèrent qu'il pourrait faire économiser aux banques entre 4,4 et 6,6 milliards d'euros en rythme annuel, dans l'hypothèse d'une baisse de dix points de base et en fonction de ses modalités d'application.

La Banque nationale suisse (BNS), par exemple, exempte les dépôts des banques de son taux négatif de -0,75% à hauteur de 20 fois les réserves obligatoires.

Si la BCE exemptait les banques de la zone euro à hauteur de dix fois les réserves obligatoires, elles économiseraient 5,3 milliards d'euros par an par rapport à la situation actuelle et 6,6 milliards par rapport à l'hypothèse d'une application intégrale d'un taux de -0,5%.

Les secteurs bancaires allemand et français seraient les principaux bénéficiaires avec des économies de plus d'un milliard d'euros pour chacun d'eux.

Mais le mécanisme suisse n'est pas facile à transposer dans la zone euro, dans laquelle les liquidités excédentaires sont concentrées dans les pays les plus riches disposant d'importants centres financiers, comme l'Allemagne, la France et les Pays-Bas.

Cela implique que des banques dont les liquidités sont inférieures au seuil d'application du taux négatif, en Italie et en Espagne par exemple, pourraient préférer déposer gratuitement des liquidités auprès de la BCE plutôt que de les prêter à des concurrentes à des taux négatifs. Un choix qui favoriserait probablement une hausse des coûts de financement sur le marché bancaire de gros, à l'encontre du but recherché par la BCE.

LE MÉCANISME DE MODULATION RISQUE D'ÊTRE DÉTOURNÉ

Cette dernière pourrait donc exempter du taux négatif une partie des réserves excédentaires des banques, comme le fait déjà la Banque du Japon.

Dans l'hypothèse où cette exemption porterait sur la moitié de ces réserves, elle se traduirait par des économies de 2,6 milliards d'euros par rapport à la situation actuelle et de 4,4 milliards par rapport à une application du taux à la totalité des réserves excédentaires.

Mais cette option est elle aussi susceptible d'être "détournée" par les banques si elles parviennent à augmenter artificiellement leurs liquidités excédentaires, en réduisant les crédits qu'elles accordent ou en émettant davantage de dette à court terme.

Les banques confiantes dans leur capacité à augmenter leurs volumes de prêts pourraient même emprunter à la BCE elle-même des liquidités à taux négatif dans le cadre des opérations de refinancement à plus long terme ciblées, les TLTRO.

"La mise en oeuvre de mesures visant à amortir l'impact des taux négatifs sur les dépôts à la banque centrale est complexe et peut incidemment créer des opportunités d'arbitrage pour certaines banques, pénalisant donc le fonctionnement des marchés monétaires et la transmission de la politique monétaire", résume Giuseppe Maraffino, analyste de Barclays.

Il suggère donc un mécanisme dans lequel seules les banques dont les dépôts à la BCE dépassent les emprunts à la banque centrale pourraient bénéficier de la modulation de taux, ce qui priverait les autres des opportunités d'arbitrage indésirables.

Les banques ne publient pas le montant de leurs réserves obligatoires ni celui de leurs liquidités excédentaires, ce qui rend difficile l'estimation de l'impact d'un tel mécanisme.

Mais il est probable que celui-ci bénéficierait en premier lieu aux pays dans lesquels les liquidités sont abondantes, comme l'Allemagne, et aux grands groupes bancaires des pays "périphériques", au détriment des plus petits acteurs du secteur.

(Marc Angrand pour le service français, édité par Véronique Tison)

par Francesco Canepa

Valeurs citées dans l'article : Euro / Swiss Franc (EUR/CHF), Barclays Plc