La banque centrale a fait savoir vendredi que les banques pouvaient désormais prêter au taux de leur choix, ce qui leur permettra de pratiquer des conditions de crédit plus attractives au moment où la croissance de la deuxième économie mondiale ralentit notablement.

L'annonce de la Banque populaire de Chine a été bien accueillie par les économistes et les ministres et banquiers centraux du G20 qui, par coïncidence, étaient réunis à Moscou. Taro Aso, le ministre japonais des Finances, a ainsi parlé d'un pas dans la bonne direction.

Mais au-delà des premières réactions élogieuses, certains experts parlent d'une mesure largement symbolique et destinée surtout à soulager les grands groupes chinois et les structures de financement locales confrontées à un endettement galopant.

"Je suis sceptique face à ceux qui parlent de grande réforme", dit Patrick Chovanec, directeur général de Silvercrest Asset Management à New York et ancien professeur à l'Université Tsinghua de Pékin. "Ce que je vois surtout, c'est qu'à court terme les véhicules de financement locaux vont bénéficier de taux plus bas."

Avec le ralentissement de la croissance, la mesure ne devrait guère bénéficier aux grandes banques chinoises comme Industrial and Commercial Bank of China, China Construction Bank, Bank of China ou Agricultural Bank of China, estiment les experts.

CRÉANCES DOUTEUSES

À ce jour, seuls 11% des prêts consentis par les grandes banques chinoises sont à un taux inférieur au plancher officiel de 6% qui vient d'être supprimé, alors que ces établissements avaient la possibilité de les faire descendre en-dessous jusqu'à une certaine limite. La plupart de leurs taux sont en fait à un niveau plus élevé.

En réalité, estiment les économistes, Pékin cherche non pas à libéraliser les conditions de crédit mais à supprimer les facteurs qui ont alimenté la bulle du marché immobilier.

Et à court terme, la mesure vise moins à encourager les grandes banques à prêter qu'à empêcher le défaut de créances existantes.

"Le pouvoir s'inquiète de plus en plus du ralentissement économique et du risque de créances douteuses ou non performantes", explique un banquier européen à Singapour en demandant à rester anonyme pour ne pas mettre en péril les relations de sa banque avec Pékin.

"Cette réforme profite surtout aux grands groupes publics qui ont déjà des prêts décotés".

Les banquiers et investisseurs dressent un parallèle avec le Japon des années 1990 où les banques ont voulu protéger leurs principaux emprunteurs en refinançant leurs prêts à des taux plus bas, plutôt que de les restructurer. Cette pratique a contribué à créer ce qu'on a appelé des "entreprises zombies" et a largement contribué à la stagnation économique dont le pays commence seulement à sortir aujourd'hui.

Personne ne doute, cependant, de la nécessité pour la Chine de libéraliser ses taux d'intérêt. Jusqu'à vendredi, les banques commerciales pouvaient accorder des prêts à des taux qui ne devaient pas être inférieurs de 70% au plancher de 6%, soit 4,2% au plus bas. Les taux de rémunération des comptes étaient de leur côté plafonnés à 110% d'un autre seuil qui était à 3%, c'est-à-dire autour de 3,3%.

EXPLOSION DE CRÉDIT

En conséquence, les banques étaient virtuellement assurées d'une marge bénéficiaire de 0,9 point de pourcentage sur chaque prêt. Cette politique, destinée à assurer la viabilité des prêteurs, a eu des effets pervers. Pour maximiser leurs profits, les grandes banques ont prêté principalement aux emprunteurs présentant le moins de risques - autrement dit aux grands groupes contrôlés par l'Etat. Et avec des taux inférieurs à l'inflation, les déposants se sont détournés des banques, cherchant ailleurs de meilleurs rendements.

La conséquence en a été une surabondance de prêts bancaires aux grands groupes et une explosion de crédits non réglementés aux petites et moyennes entreprises. Standard & Poor's a estimé à 3.700 milliards de dollars (2.815 milliards d'euros) le montant des prêts alternatifs de cette activité de "shadow banking" sur la seule année 2012.

Les grandes entreprises gorgées de crédits pas chers ont de leur côté commencé à faire des prêts en seconde main. Ces prêts secondaires ont plus que doublé sur les quatre premiers mois de 2012 pour atteindre le montant global de 1.600 milliards de yuans (260 milliards de dollars). Si les bénéficiaires de ces prêts faisaient défaut, ce sont les emprunteurs les plus sûrs des grandes banques qui pourraient se retrouver en difficulté.

L'envolée du crédit a créé un surinvestissement dans l'immobilier, les infrastructures et les capacités industrielles que le Fonds monétaire international et les économistes jugent intenables sur le long terme.

Dans sa dernière évaluation du pays, le FMI notait que la Chine devait promouvoir des réformes pour rendre sa croissance plus soutenable, maîtriser la croissance du crédit et libéraliser les taux d'intérêt.

La prochaine étape pour ouvrir le secteur bancaire à la concurrence consistera à libéraliser les taux de rémunération des dépôts, ce qui selon les économistes entraînera des allocations de capitaux plus efficientes qui elles-mêmes contribueront à rééquilibrer l'économie.

Pékin promet de mener à bien les réformes nécessaires, malgré le ralentissement en cours qui devrait ramener sa croissance à 7,5% cette année - son niveau le plus faible depuis 23 ans.

Reste à voir, dit Paul Gruenwald, chef économiste chez Standard & Poor's à Singapour, si la Chine réussira là où tant d'autres, dont les Etats-Unis et le Japon, ont échoué : faire dégonfler une bulle de crédit et réformer l'économie sans déclencher de crise financière.

Véronique Tison pour le service français, édité par Pascal Liétout

par Wayne Arnold