Ce seront surtout les financements de projets, du commerce maritime, de l'aviation et des infrastructures qui seront touchés, les banques réduisant leurs actifs pondérés du risque (RWA) et repensant leurs relations avec leur clientèle.

"La façon la plus simple pour les banques de réduire leurs actifs est de ne pas reconduire les prêts aux clients à chaque fois qu'ils se refinancent", explique un banquier.

Une banque avec 250 milliards d'euros de risque de crédit et qui veut porter son ratio de fonds propres de 7% à 9% peut procéder à une augmentation de capital de cinq milliards d'euros ou vendre 50 milliards d'euros de ces actifs pondérés des risques. Au vu des valorisations boursières déprimées, les banques sont peu incitées à lever du capital.

"On risque de voir un trou de 1.000 à 3.000 milliards d'euros, les banques dégonflant leur bilan pour éviter une augmentation de capital", dit Simon Samuels, analyste de Barclays Capital.

Au vu de la situation instable de la zone euro, le mouvement de dégonflement (deleveraging) s'accélère. Les grandes banques françaises, jusqu'alors dans les plus hauts rangs du classement des prêts, sont à la pointe d'un mouvement que suivent aussi leurs concurrentes italiennes, allemandes, espagnoles, néerlandaises, suisses et britanniques, expliquent des banquiers.

Un coup de semonce avait été entendu en août lorsque BNP Paribas et Commerzbank avaient refusé de rejoindre 10 autres banques pour apporter un crédit de 12 milliards de dollars à SABMiller, en dépit des relations entretenues avec le groupe de brasserie.

BNP, Crédit agricole et Société générale ont refusé des crédits syndiqués à des entreprises qu'elles acceptaient jusqu'alors et ont brillé par leur absence sur d'autres opérations de taille, comme un prêt de six milliards de dollars à Xstrata et de 4,7 milliards de dollars au qatari Barzan.

"Certains de nos clients ne sont pas contents", dit un banquier de BNP. "Ils nous demandent pourquoi nous ne faisons plus ce genre d'affaires."

CONSIDÉRATIONS NATIONALES

Les banques veulent se dessaisir d'actifs en dollar, devenus plus onéreux à financer depuis que les banques et fonds monétaires aux Etats-Unis, alarmés par la crise de la dette de la zone euro, n'ont plus envie de faire affaire avec leurs homologues européens.

De ce fait, les segments où dominent les financements en dollar - aviation, commerce maritime par exemple - et les crédits les plus longs, donc a priori assortis du plus gros risque pondéré, figurent dans la première vague des crédits abandonnés ou renégociés par les banques européennes.

Les banques européennes détiennent dans les 42.000 milliards d'euros d'actifs (soit plus de 11.000 milliards de risque de crédit chez 90 des plus grandes banques), et les analystes de JPMorgan estiment qu'elles pourraient rétrécir leur bilan de 2.000 milliards d'euros, soit 4,7% des actifs. D'autres analystes visent un montant proche des 3.000 milliards d'euros.

Ce mouvement de recul pourrait s'abriter derrière des considérations proprement nationales. Commerzbank a ainsi déclaré qu'elle refuserait tout prêt qui n'aide pas l'Allemagne ou la Pologne.

"Les banques européennes vendent leur exposition à des crédits non européens, ça crée des tensions et il y a un effet de propagation", dit un banquier d'investissement d'un établissement de Wall Street.

Les banques de la zone euro détiennent plus de 6.000 milliards d'actifs en dehors de la région, dont 1.800 milliards aux Etats-Unis et 1.000 milliards en Europe de l'Est, selon des analystes de Nomura.

Cela veut dire par exemple que les banques espagnoles réduiraient leurs prêts au Brésil et au Mexique et que les banques françaises, italiennes et allemandes feraient de même en Europe orientale.

Le banquier d'investissement explique que BNP Paribas et Société générale ont déjà sensiblement réduit leur exposition à la Russie.

CONSÉQUENCES À LONG TERME

Les banques japonaises saisissent cette nouvelle opportunité, et c'est ainsi que Bank of Tokyo Mitsubishi a payé en 2010 plus de six milliards de dollars pour reprendre des prêts de financement de projets de la Royal Bank of Scotland.

Grâce à une monnaie forte et à une trésorerie dépassant les six milliards de dollars, les banques japonaises négocient la reprise de davantage d'actifs bancaires européens et elles pourraient être encore plus présentes l'an prochain.

D'autres établissements asiatiques, mais aussi du Moyen-Orient, du Canada et des Etats-Unis sont également partis en chasse.

Les fonds de pension s'intéressent aux prêts destinés à des infrastructures, tandis que la compagnie aérienne Emirates

a fait savoir qu'elle se tournait vers le marché de la finance islamique pour ses achats dans la mesure où les banques européennes sont en retrait.

Dans un secteur qui met autant en avant la relation à la clientèle, une telle attitude risque d'avoir des conséquences sur le long terme pour les banques européennes. Et aussi sur leurs résultats.

La britannique Lloyds a réduit ses actifs de plus de 20% ces deux dernières années, au prix d'une perte de revenus des prêts. Elle a averti cette semaine qu'elle risquait de ne pas atteindre ses objectifs de revenus sur le moyen terme.

Le projet de la BNP de réduire son risque de crédit de 70 milliards d'euros pourrait lui coûter 1,2 milliard d'euros en raison de coûts de restructuration et de pertes sur les cessions. Elle pourrait également accuser un manque à gagner de 750 millions d'euros chaque année.

Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Dominique Rodriguez