Genève (awp/afp) - La pandémie de Covid-19 menace de pénuries des centaines de millions de personnes dans le monde, majoritairement en Afrique, qui dépendent des importations de denrées alimentaires et des exportations pour les payer, a prévenu vendredi l'ONU.

L'épidémie "est aussi une menace pour la sécurité alimentaire", a indiqué vendredi le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, lors d'un échange avec des journalistes à New York, "et nous devons assurer le maintien des chaînes d'approvisionnement, spécialement celles de l'alimentation, de la pharmacie et des équipements médicaux, surtout dans les zones les plus pauvres et les plus vulnérables du monde".

La tâche sera rude. "En général, nous sommes confrontés à un choc d'approvisionnement comme une sécheresse, ou un choc de demande comme une récession, mais ici ce sont les deux à la fois", a détaillé Arif Husain, économiste en chef du Programme alimentaire mondial (PAM) lors d'une conférence de presse virtuelle depuis Rome. "Les deux à la fois et à l'échelle mondiale. C'est ce qui fait que c'est vraiment, vraiment inédit."

Chaque année les échanges de riz, soja, maïs et blé permettent de nourrir 2,8 milliards de personnes dans le monde, dont 212 millions en situation d'insécurité alimentaire chronique et 95 millions en situation d'insécurité alimentaire grave, selon le PAM.

Pour "de nombreux pays pauvres, les conséquences économiques seront plus dévastatrices que la maladie elle-même", prévient cette agence onusienne dans un rapport publié vendredi.

L'Afrique, et en particulier l'Afrique sub-saharienne qui a importé plus de 40 millions de tonnes de céréales en 2018, est le continent le plus menacé.

La Somalie et le Soudan du Sud sont les plus exposés à une perturbation des approvisionnements en céréales, tandis que d'autres pays, comme l'Angola, le Nigeria et le Tchad, sont tributaires de leurs exportations pour payer les importations de denrées.

Les pays exportateurs de pétrole, comme l'Iran et l'Irak, mais aussi le Yémen et la Syrie en proie à la guerre, comptent aussi parmi les plus menacés par les pénuries alimentaires.

"Si les marchés mondiaux des céréales de base sont bien approvisionnés et les cours globalement bas, les denrées doivent voyager des greniers du monde vers leurs lieux de consommation. Les mesures de confinement mises en place pour lutter contre le Covid-19 commencent à poser des problèmes à cet égard", s'alarme le PAM.

Sombres perspectives au Sahel

Les ports d'exportation enregistrent çà et là des perturbations, dues par exemple à des mouvements sociaux en Argentine et au Brésil.

De son côté, la filière céréalière exportatrice en France "est confrontée à des pénuries de main d'oeuvre et de camions", précise ce rapport.

Des achats massifs, dits de panique, par des négociants ou des gouvernements, font aussi craindre une rupture de la chaîne d'approvisionnement qui pourrait faire monter les cours.

Pour le moment, les prix des denrées de base (huiles, céréales, viandes, produits laitiers) ont tendance à baisser, en raison des perspectives de marasme économique, selon le baromètre mensuel de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

Mais l'inquiétude est forte pour le Sahel en Afrique de l'ouest, une zone qui cumule les effets négatifs du changement climatique et une montée de violences.

Selon un autre rapport, diffusé vendredi par le Club Sahel de l'OCDE, qui évalue tous les six mois les besoins de la région, le nombre de personnes en situation de crise alimentaire au Sahel est estimé à 11,4 millions de mars à mai 2020, comparé à 4,8 millions pour la même période l'an passé, soit une différence de 6,6 millions de personnes.

Lutter contre le repli

Pour la période dite de "soudure" entre les récoltes, de juin à août, le nombre de personnes en insécurité alimentaire grave a été réévalué à 17 millions contre 14,4 millions estimés en décembre 2019.

Il y a suffisamment d'alimentation pour tous dans le monde, selon Abby Abbassian, économiste principal à la FAO.

La crise actuelle "a plus à voir avec le transport" qu'avec la production, a-t-il expliqué lors d'un entretien téléphonique avec l'AFP, appelant les Etats tentés par le repli à maintenir les rouages essentiels du commerce international.

"Si les pays envoient les mauvais signaux, une crise de 1 à 2 mois peut durer 7 à 8 mois", souligne-t-il: "Chaque pays a le droit de s'assurer qu'il a assez de céréales pour nourrir son peuple, c'est normal, mais ce qui n'est pas normal est lorsqu'un pays pense qu'il doit limiter le commerce international."

afp/rp