Après avoir frisé le nervous breakdown à l'annonce de l'invasion de l'Ukraine par la Russie la semaine dernière, les marchés boursiers sont redevenus tous guillerets en imaginant que le régime de Kyiv allait chuter rapidement, que les sanctions contre la Russie seraient tiédasses et que l'argent continuerait à couler à flots pour investir dans tout et n'importe quoi. Le problème, c'est que la population ukrainienne a décidé de compliquer la tâche de l'armée rouge (voilà que moi aussi je ressors mon vocabulaire de la guerre froide) et que les dirigeants européens ont arrêté de se lamenter pour sortir l'artillerie lourde en matière de sanctions économiques. Le récit a changé, et c'est puissant un récit : on parle de résistance, d'un président ukrainien exemplaire, d'Afghanistan et de Tchétchénie.

Résultat, la situation au sortir du weekend est assez différente de ce qu'elle était deux jours plus tôt. Dans l'intervalle, la capitale ukrainienne n'est pas tombée comme un fruit mûr et le bloc occidental a annoncé d'importantes sanctions visant la Russie, que je ne vais pas toutes citer mais qui comprennent notamment :

  • Le gel des réserves détenues par la Banque centrale russe à l’étranger (une première à ma connaissance sur une banque centrale majeure),
  • L'exclusion de certaines banques russes du système SWIFT (pas la totalité à ce que j'ai compris, pour maintenir ouvert le canal sur les achats énergétiques),
  • L'interdiction des médias d'Etat Sputnik et Russia Today,
  • L'interdiction de l'espace aérien européen aux avions russes,
  • L'UE va financer l'achat d'armes pour l'Ukraine et même l'Allemagne annonce un doublement de ses dépenses militaires. Comme ça "les soldats allemands ne se présenteront plus aux exercices de l'OTAN avec des balais", cabotine l'analyste marché d'OANDA Jeffrey Halley ce matin.
  • De nombreuses autres mesures de rétorsion ciblées ont été prises.

Cet affaiblissement de la position russe a poussé Vladimir Poutine à mettre en état d'alerte sa force de dissuasion nucléaire. Personne n'a vraiment envie de spéculer sur le fait que c'est un coup de bluff ou pas. La Banque centrale russe a interdit la vente d'actions par des étrangers et a mis en place plusieurs mesures d'urgence pour éviter une dislocation du système financier du pays. Elle vient par ailleurs de relever son principal taux directeur de 9,5 à 20%. La plupart de ses réserves de change sont hébergées en Russie, mais environ 15% sont désormais gelées à l'étranger. En parallèle, des pourparlers sont prévus entre des délégations russe et ukrainienne à la frontière Biélorusse. Mais Minsk, qui est à la botte du Kremlin, aurait en parallèle ouvert de nouveaux fronts au nord du pays. Un bon connaisseur de la géopolitique locale soulignait hier soir que le plan de Poutine a l'air de tourner au vinaigre, mais que le maître du Kremlin ne serait pas forcément moins dangereux en étant acculé. Dans ce contexte, la position de Pékin est importante. Le Financial Times parlait d'une "neutralité pro-russe", mais les lignes ont un peu bougé au cours du weekend. Deux banques d'Etat chinoises ont commencé à réduire leurs opérations de financement de matières premières russes, officiellement dans le cadre d'une politique de gestion du risque.

Les entreprises ont aussi commencé à réagir. Deux décisions emblématiques ont d'ores et déjà été annoncées. D'abord, le géant pétrolier britannique BP Plc va sortir du capital de son homologue russe Rosneft, dont il détient un peu moins de 20%. BP va déprécier 25 Mds$ de valeur sur cette opération. De quoi donner des idées à TotalEnergies ? Ensuite, le fonds souverain norvégien (Norges Bank Investment Management) va se séparer de ses investissements dans les entreprises russes.

Sur les marchés financiers, les derniers développements que j'ai tentés de résumer entraînent des flambées sur les cours pétroliers et des matières premières agricoles. J'ai déjà eu l'occasion de l'écrire la semaine dernière, mais tout ça n'est pas de nature à faciliter la tâche des banques centrales qui cherchent à lutter contre l'inflation. Nous saurons mercredi ce qu'en pense le patron de la Fed, Jerome Powell, qui doit être auditionné par les parlementaires américains dans le cadre d'un bilan semestriel. Il y aura aussi une réunion de l'Opep+ mercredi, qui s'annonce animée puisque le "+" de l'Opep a pour chef de file la Russie et que l'Arabie Saoudite a fait comprendre aux Occidentaux qu'elle n'avait pas l'intention de boycotter son partenaire. Le durcissement des sanctions a aussi fait plonger le rouble. La devise russe sombre de 28% contre le billet vert, à 107,50 RUB.

Au niveau boursier, après l'étonnant rebond des actions vendredi guidé par la perspective d'un conflit peu déstabilisant pour l'économie mondiale, les choses se compliquent ce matin. Les indicateurs avancés en Europe et aux Etats-Unis laissent présager d'une ouverture fortement baissière, avec tous les rebondissements possibles d'ici les premiers échanges (je finis d'écrire autour de 7h32 ce matin). Mais l'Asie a très bien tenu le choc, avec des gains à Tokyo (+0,2%) et à Sydney (+0,7%). La Chine est plus hésitante en dépit d'une injection de liquidités à court terme de la PBOC sur les marchés locaux pour calmer les esprits. L'indice de volatilité VIX est repassé sous les 30 points au cours du weekend.

J'espère ne pas avoir dit d'âneries, on en lit tellement en ce moment. En résumé : les marchés boursiers restent nerveux face aux conséquences de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, mais restent à l'affût des nouvelles positives (i.e. dans le sens de la détente) car les investisseurs gardent une appétence pour le risque un peu suspecte compte tenu des grands mouvements à l'œuvre sur certaines classes d'actifs.

Le CAC40 démarre la séance en baisse de 1,95% à 6620 points.

Les temps forts économiques du jour

Aux Etats-Unis, les stocks des grossistes de janvier (14h30) et l'indice PMI de Chicago de février (16h00) sont sur les tablettes.

L'euro a flanché à 1,11474 USD. L'once d'or repasse au-dessus de 1900 USD. Le pétrole, après avoir consolidé, remonte à 103,40 USD le baril de Brent et 97,43 USD le baril WTI. Le rendement de la dette américaine à 10 ans perd 7 points à 1,89%, alors que le Bund gagne 6 points à 0,23%. Le bitcoin évolue non loin de 38 000 USD pièce.

Les principaux changements de recommandations

  • ABN Amro : Berenberg passe de conserver à vendre en visant 10 EUR.
  • Alten : Berenberg reste à l'achat avec un objectif relevé de 172 à 175 EUR.
  • AstraZeneca : Stifel démarre le suivi l'achat en visant 12 300 GBp.
  • Aveva : Jefferies passe de conserver à sousperformance en visant 2000 GBp.
  • BASF : Berenberg reste à conserver avec un objectif réduit de 72 à 62 EUR.
  • Casino : Barclays réduit son objectif de cours de 18 à 15 EUR.
  • CompuGroup : Baader Helvea passe d'acheter à accumuler en visant 72 EUR.
  • Danone : Jefferies reste à l'achat avec un objectif de cours réduit de 65 à 64 EUR.
  • Ericsson : Citigroup passe d'acheter à neutre en visant 100 SEK.
  • Ferguson : Jefferies passe d'acheter à conserver en visant 12 374 GBp.
  • Fortum : Goldman Sachs passe de vendre à neutre en visant 24,10 EUR.
  • Hennes & Mauritz : Jefferies reste à conserver avec un objectif de cours réduit de 185 à 163 SEK.
  • Inditex : Jefferies reste à l'achat avec un objectif de cours réduit de 36 à 31 EUR.
  • Novo Nordisk : Berenberg reste à conserver avec un objectif relevé de 530 à 585 DKK.
  • QinetiQ : J.P. Morgan passe de souspondérer à neutre en visant 320 GBp.
  • Roche : Stifel démarre le suivi à l'achat en visant 410 CHF.
  • Sanofi : Stifel démarre le suivi à l'achat en visant 120 EUR.
  • Thales : JP Morgan relève son objectif de cours de120 à 125 EUR.
  • Tenaris : Barclays passe de pondération en ligne à surpondérer en visant 14 EUR.
  • Valeo : JP Morgan réduit son objectif de cours de 33 à 26 EUR.

En France

Annonces importantes (et moins importantes)

  • BP Plc va sortir du capital de Rosneft. Qu'en sera-t-il de Total et de ses gros projets russes ?
  • Société Générale a cessé son activité de financement du négoce de matières premières depuis la Russie.
  • Chez L'Oréal, David Greenberg devient directeur général USA et membre du comité exécutif, après le départ de Stéphane Rinderknech.
  • Orpea va surseoir à toute décision concernant une éventuelle rémunération variable annuelle ou concernant l'attribution d'actions de performance au titre de 2022 à son PDG, Philippe Charrier.
  • Europlasma tire 2 M€ d'OCA.
  • Société Marseillaise du Tunnel Prado-Carénage ont publié leurs comptes.

Dans le monde

Annonces importantes (et autres)

  • BP Plc va céder les 19,75% du capital du russe Rosneft qu'il détient. La major pétrolière va déprécier 25 Mds$ sur sa participation.
  • Le fonds souverain norvégien va voter contre la rémunération du patron d'Apple.
  • Sartorius AG aurait approché Maravai en vue d'un rachat pour 11 Mds$, selon Reuters.
  • La filiale européenne de Sberbank proche d'une faillite.
  • Crédit Suisse a cessé son activité de financement du négoce de matières premières depuis la Russie.
  • Acerinox a multiplié par 11 son bénéfice net en 2021.
  • Reliance Industries pourrait reprendre 200 magasins à Future Retail, faute de paiement de loyers.
  • Berkshire Hathaway affiche un bénéfice annuel plus élevé que prévu et étend ses rachats d'actions.
  • CRH serait sur le point de vendre sa division Oldcastle à KPS pour 3,8 Mds$.
  • Cinven serait proche d'un rachat des produits de lutte contre les nuisibles de Bayer, selon Bloomberg.
  • Les principales publications du jour : Zoom Video, HP Inc, Erste Group, Bunzl, Grifols, AtosTout l'agenda ici.

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