Selon une étude publiée par Axylia, cabinet de conseil spécialisé dans la finance responsable, la taille du marché de l'ISR français ne dépasserait pas 216 milliards d'euros, contre 695 milliards selon le site du Label ISR. Nous avons voulu en savoir plus sur ce delta et les méthodes de calcul d'Axylia. 

Vous estimez que seuls 25% des encours des fonds de droit étranger qui ont obtenu le Label ISR (pour Investissement Socialement Responsable) français sont réellement détenus par des clients français. D’où vient le delta ?

Les fonds sont souvent très souvent créés au Luxembourg ou encore en Irlande pour les ETF pour être ensuite diffusés partout en Europe.

Il n’existe pas de moyen d’identifier dans l’encours d'un fonds ce qui vient d’un souscripteur français, belge, italien, néerlandais ou allemand. Les différents organismes de calcul ne pouvant pas procéder à ce dénombrement, ils prennent tout l’encours toutes nationalités confondues et le considèrent comme un encours français.

Les fonds étrangers sont très largement diffusés en Europe et pour une partie, inconnue, achetés par des clients français. Pour estimer cette partie, qui est la seule qui puisse prétendre appartenir au marché français des fonds ISR, nous sommes partis des chiffres de l’EFAMA (European Fund and Asset Management Association), qui évalue que, sur la totalité du marché européen, les souscripteurs français en représentent en moyenne 25%.

Faut-il imposer plus de transparence sur les détenteurs de fonds ISR, faut-il réserver le label ISR français aux fonds nationaux ou faut-il créer un label ISR européen ?

Nous sommes dans un marché européen de libre circulation très installé, les fonds circulent. De nombreux gérants étrangers vendent des produits en France, comme Pictet par exemple. C’est donc plus un sujet de transparence.

Les autres solutions sont, d’une part, la blockchain, qui permettra de sourcer exactement toute souscription, et d’autre part, de procéder à un décompte européen par Eurosif par exemple. Ainsi, chaque fonds ne serait comptabilisé qu’une fois, là où il est domicilié.

En ce qui concerne le label européen, cela risque d'être complexe, chaque pays ayant un cahier des charges différent.

Source : Axylia

Selon votre étude, une grande partie des encours ISR sont des fonds monétaires : pourquoi sont-ils comptabilisés ? Peut-on réellement évaluer la dimension ISR des paniers de dette détenus dans ces fonds ?

Nous avons fait un décompte neutre des encours des fonds monétaires, obligataires, d’actions, et diversifiés.

La problématique des fonds monétaires a déjà été citée par le rapport de l’Inspection des Finances, ainsi que par l’AMF dans une étude de 2015. L'inspection des finances a constaté une très forte augmentation du poids de ces produits dans l’encours ISR : ils représentaient 8% de l’encours des fonds labellisés en 2016, puis 30% fin 2020. Notre décompte en trouve encore le double, c'est-à-dire que 60% des encours labellisés ISR en France en 2022 proviennent en fait des fonds monétaires.

Le FIR, le Forum pour l'Investissement Responsable, avait identifié cette inflation tout à fait particulière et opportuniste, et avait même indiqué qu’elle venait en fait d’un seul établissement, Amundi, qui a fait référencer de très gros fonds monétaires et ainsi, mécaniquement, fait monter ses encours ISR. Le plus gros fonds monétaire qu’a labellisé Amundi pèse 60 milliards d’euros. Les fonds monétaires sont en général de très grosse taille, puisque c’est un marché de gros. Évidemment, quand on fait labelliser un seul fonds de cette taille, on fait vite monter sa part de marché.

Selon nous, 10 à 15% des encours d’Amundi et des filiales sont labellisés ISR, et parmi ces 10 à 15%, une majeure partie provient des fonds monétaires. Il y a donc un problème d’aubaine.

L’étude de l’Inspection des finances et celle de l’AMF souligne le peu de valeur ajoutée ISR apportée par ces produits. Un fonds monétaire peut placer son encours à très court terme, et au moins la moitié de son encours est composé de titres bancaires. Il n’achète pas d’actions, il n’a pas de poids ni ne peut faire pression sur les sociétés pour qu’elles réajustent leur politique ISR.

Je pense que c’est une faille au moment de la sortie du premier label en juin 2016. Cela dit, le problème est désormais clairement identifié et documenté, et la situation peut être rectifiée. Nous espérons que la mise à jour du label attendue pour cette année mettra en évidence ce problème.

 

Tableau issu de l'étude Axylia

Il n’existe aucun fonds monétaire dans les fonds de droit étranger labellisés ISR, pourquoi ?

La France est un gros marché pour les fonds monétaires. En Allemagne par exemple, les comptes courants sont rémunérés, il n’est donc pas nécessaire de mettre de l’argent sur les fonds monétaires. Les fonds monétaires représentent 20 à 25% des encours de la gestion collective en France, soit quelque chose de l’ordre de 500 milliards d’euros environ.

Il semblerait que Bercy imagine, pour la mise à jour 2022, un label à étoiles. Les fonds avec peu de valeur ajoutée ISR, tels que les fonds monétaires, obtiendraient donc seulement une étoile.

Ces fonds monétaires devraient-ils, selon vous, perdre le label ISR ?

Bercy peut difficilement faire descendre les fonds du train une fois qu’ils sont à bord. Par ailleurs, le label est accordé pour 3 ans, et les cas de “délabellisation” sont très rares.

10 sociétés de gestion pèsent 70% des encours ISR en France, et seulement 10 fonds pèsent 40% des encours, que nous dit cette concentration du marché ?

Dans cette concentration, les fonds monétaires, qui font tous partie des 10 plus gros fonds, biaisent l’ensemble du marché.

Et aujourd’hui, l’ESG est un marché contrôlé par les banques qui en ont perçu l’enjeu. De par leur taille, elles peuvent labelliser de très gros fonds (non ISR à l’origine) qui œuvrent à améliorer l’image de la société.

Il faut rappeler que le label ISR est un gros enjeu commercial, qu’il avait aussi pour ambition initiale de créer et de développer un nouveau marché, et qu’il est payant. Ce coût pose problème en soi : il est difficile pour les petites sociétés de gestion d’obtenir le label, c’est chronophage et coûteux. Certains gérants baissent les bras ou font de facto de l’ISR, sans demander le label. A l’inverse, dans les grosses maisons, telles qu’Amundi, certaines équipes ne font que ça.

Y a-t-il selon vous un problème de définition et de structure du label ? Un label qui tienne compte de la taille de sociétés de gestion serait-il pertinent ?

On en revient à la taxonomie, et à définir ce qui est ISR et ce qu’il ne l’est pas. C’est toute la difficulté d’articulation entre un moule général et des attentes particulières. L’investisseur doit pouvoir exprimer ses préférences extra-financières. A partir d’août, la réglementation MiFID 2 lui demandera de le faire. On devrait assiter à l’éclosion de fonds toujours plus personnalisés avec notamment de plus en plus d’exclusions, les plus faciles à exprimer par les clients. Il faudra alors pouvoir les identifier facilement car dans la mise à jour 2022 du Label ISR, Bercy semblerait ne vouloir procéder à aucune exclusion a priori, pas même le charbon. Le ministère laisse la main aux clients et aux gérants.

Certains observateurs estiment que l’exclusion de certaines sociétés ne permet pas de faire pression pour que ces sociétés améliorent leurs pratiques. Les exclure briserait une dynamique vertueuse, partagez-vous ce constat ?

C’est un peu une image d’Epinal. Prenons l’exemple de l’Ircantec, la retraite complémentaire de la fonction publique, qui a décidé de désinvestir de TotalEnergies. Le fonds de pension a considéré que les discussions qu’il a eues avec la major pendant plusieurs années n’ont pas abouti, que TotalEnergies ne voulait pas faire d’efforts. J’imagine que Bercy était au courant de la décision de l'Ircantec de vendre ses actions TotalEnergies. J’imagine que cela eu un impact sur la position de TotalEnergies. Si l'Ircantec, qui est une structure publique, peut le faire, pourquoi Bercy et son label ISR ne le permettraient-ils pas aux investisseurs ? Enfin, peu de sociétés de gestion procèdent à une politique d’engagement effective avec les émetteurs car elle exige beaucoup de moyens humains et souvent de temps pour obtenir des résultats concrets. Elles n’étaient qu’une dizaine à s’afficher en opposantes de la politique climat du pétrolier français. La décision de l’Ircantec a peut être pesé aussi lourd.

Selon votre étude, il existe au moins 5 décomptes différents des fonds ISR français (AMF, Quantalys, Novethic, FIR, MorningStar...). D’où viennent ces divergences, et comment le consommateur peut-il s’y retrouver ?

La méthodologie est différente, et je ne saurai dire laquelle est la plus fiable.

L’AFG, par exemple, tient compte des mandats de gestion. Le Label ISR ne labellise que des fonds. Dans le passé, Novethic a fait preuve d'une méthode de calcul mouvante. Sur MorningStar, il existe un sélecteur de fonds, avec lequel il est possible de sélectionner les fonds en fonction de leur performance, du nombre d’étoiles, de leur catégorie etc, mais pas sur les critères extra financiers. Sur Quantalys, des pictogrammes présentent les intensités ESG calculées en fonction des informations que donnent les sociétés de gestion.

Le site du label ISR est, selon moi, fait pour les sociétés de gestion, et non pas pour les clients. Il n’offre pas la possibilité de trier les fonds sur la base d’information extra-financière. Seule la performance financière des fonds est mise en avant.

Les nuances sémantiques sont subtiles, en fonction des organismes, qui distinguent parfois l’investissement responsable de l’investissement socialement responsable. Puis, chacun s’adresse à son public. Il ne devrait évidemment y avoir qu’un seul calcul car ce sont les mêmes produits.

Il y a parfois 200 critères qui se cachent derrière les fonds ESG, c’est trop selon moi. Plutôt que de prendre des indicateurs de mauvaise qualité ou incomplets, nous avons, chez Axylia, choisi un critère central, le plus profond, le plus dense, sur lequel il y a, pour partie, des obligations légales, c’est celui des émissions de CO2. Nous nous sommes focalisés sur ce dernier pour développer une page Internet informative : le Score Carbone.

Notre calcul permet d’avoir une mesure objective, transversale, applicable à toutes les sociétés et à tous les fonds. On retrouve donc la possibilité de faire un classement du risque carbone du plus fort au plus faible, qui fonctionne comme un nutri-score du climat, et s’échelonne de A à F.

Selon vos calculs, seulement 10% de la gestion collective en France seraient labellisables ISR. Comment accroître ce chiffre sans le gonfler artificiellement ? Et comment inciter les sociétés de gestion à faire de l’ISR ?

Il y a eu une consultation de place en 2021, dans la foulée du rapport de l'Inspection des Finances. Axylia a formulé 6 propositions de modification du label :

  • -  Faire confiance aux gérants, en n’imposant pas de Best-in-class par exemple, pour en entraîner un maximum dans la démarche. D’eux-mêmes, les gérants excluent les pires sociétés.
  • -  Rendre le label gratuit.
  • -  Afficher le risque carbone des fonds, sur le modèle des 7 niveaux du risque SRRI
  • -  Revoir et élargir la gouvernance du Label avec plus de sensibilités présentes au comité et moins de maisons de gestion, car elles sont juges et parties. Il faut des représentants des CGP et des clients, des personnes issues du monde associatif et universitaire.
  • Modifier le site Internet du label ISR au profit des clients finaux.
  • - Assurer la plus grande diversité d’acteurs, rendre visibles les sociétés de gestion méritoires et engagées (rendus invisibles par les fonds monétaires), sélectionnées par exemple à partir du cleanscore.fr. 

Nous pourrions ajouter une dernière proposition : le label ISR devrait exclure le tabac (la France a signé une convention de l’OMS en ce sens). Les investisseurs devraient pouvoir identifier très facilement les fonds qui excluent le charbon, les pesticides et l’armement.