(Actualisé avec Ministre saoudien des Affaires étrangères)

par Stephen Kalin, Suleiman Al-Khalidi et Mohamed Abdellah

RYAD/AMMAN/LE CAIRE, 23 juin (Reuters) - L'approche de l'administration Trump pour relancer le processus de paix au Proche-Orient, consistant à privilégier l'économie aux dépens du politique, suscite le rejet ou l'exaspération dans le monde arabe, même si les alliés de Washington dans le Golfe pensent qu'il est souhaitable de lui donner une chance.

Le plan propose d'investir 50 milliards de dollars sur dix ans pour stimuler l'économie des territoires et obtenir la paix par la prospérité.

Le projet sera présenté officiellement par son concepteur, Jared Kushner, gendre et conseiller de Donald Trump, lors d'une conférence à Manama, capitale de Bahreïn, mardi et mercredi.

La Maison blanche en a dévoilé les détails samedi.

"L'argent est important. L'économie est importante, mais la politique l'est plus encore", a déclaré dimanche Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne.

"Nous saluons tous ceux qui souhaitent nous aider, que ce soit à Manama ou ailleurs. Mais, pour le moment, nous rejetons l'accord du siècle", a-t-il poursuivi, reprenant les termes utilisées par Donald Trump.

"Qu'est-ce que les Américains proposent d'original? Cinquante ou soixante milliards de dollars? Nous sommes habitués à ce genre de bêtises. Ne nous mentons pas les uns aux autres. Nous verrons bien si quelqu'un vit assez longtemps pour voir venir ces 50 ou 60 milliards de dollars", a ajouté Abbas.

"Nous n'avons pas besoin de la réunion de Bahreïn pour construire notre pays, nous avons besoin de paix, et la séquence de ce plan - une relance économique suivie de la paix - est irréaliste et illusoire", avait auparavant déclaré le ministre palestinien des Finances Choukri Bichara.

En Israël, Benjamin Netanyahu a promis d'examiner le plan Kushner de paix de manière "juste et ouverte".

"Je ne comprends pas comment les Palestiniens peuvent rejeter le plan avant même de savoir en quoi il consiste", a poursuivi le Premier ministre, qui s'exprimait lors d'une visite dans la vallée du Jourdain, en Cisjordanie occupée, en compagnie de John Bolton, conseiller américain à la Sécurité nationale.

"Dans le cadre de tout accord de paix, notre position sera que la présence d'Israël soit maintenue ici, pour sa sécurité et pour celle de tous", a ajouté Netanyahu. La vallée du Jourdain et de la mer Morte couvre près de 30% de la Cisjordanie.

PROMESSES ABSTRAITES

L'absence de proposition politique, que Washington promet pour une deuxième phase d'ici l'automne, est non seulement déplorée par les Palestiniens mais par l'ensemble des pays arabes avec lesquels Israël cherche à normaliser ses relations.

Du Soudan au Koweït, les commentateurs dénoncent le projet Kushner dans les mêmes termes: "énorme perte de temps", "voué à l'échec", "mort-né".

Jared Kushner n'a rien dit de ses intentions sur le volet politique, mais des responsables américains informés indiquent que le gendre de Donald Trump a renoncé à la solution à deux Etats, qui prévoit la création d'un Etat palestinien indépendant en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza.

Dès samedi soir, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) a regretté les "promesses absolument abstraites" du plan Kushner.

En Egypte, les partis de gauche et libéraux ont publié un communiqué dans lequel ils dénoncent une tentative déguisée de "consacrer et de légitimer" l'occupation par Israël des territoires palestiniens.

Kushner propose que plus de la moitié des 50 milliards de dollars attendus soient investis dans les territoires palestiniens, et le reste dans la région - en Egypte, au Liban et en Jordanie. Il souhaite que les riches pétromonarchies du Golfe ou des investisseurs privés financent l'essentiel de la facture.

Les analystes arabes estiment que le projet Kushner vise à acheter le silence des opposants à l'occupation des territoires en payant des milliards de dollars aux pays hébergeant la plupart des réfugiés palestiniens - Syrie, Jordanie, Liban -, dont le nombre est évalué à environ 5 millions.

"L'OCCUPANT GAGNE TOUT"

L'Autorité palestinienne ayant décidé de boycotter le rendez-vous de Manama, Washington n'a pas invité de représentants du gouvernement israélien. Les alliés des Etats-Unis dans le Golfe, Arabie saoudite et Emirats arabes unis en tête, seront représentés ainsi que des responsables égyptiens, marocains ou jordaniens. Le Liban et l'Irak seront absents.

Ryad, qui tient à ménager Washington, a assuré à ses alliés arabes qu'il n'approuverait rien qui puisse nuire aux revendications fondamentales des Palestiniens.

"Je pense que tout ce qui améliore la situation du peuple palestinien mérite d’être salué. Cela dit, le processus politique est extrêmement important", a commenté dimanche Adel al Djoubeir, chef de la diplomatie saoudienne, interrogé par France 24. "Ce sont les Palestiniens qui doivent prendre la décision finale, parce que c'est leur problème et je pense que, ce qu'ils accepteront, tout le monde l'acceptera", a-t-il ajouté.

Même dans le Golfe, le soutien au plan Kushner reste limité. "Seule la partie arabe fait des concessions, alors que l'occupant gagne tout: la terre, la paix et l'argent du Golfe", déplore le député koweitien Ossama al Chahine. (Jean-Stéphane Brosse et Jean-Philippe Lefief pour le service français)