(Actualisé avec des précisions, contexte)

par Saeed Azhar, Tom Arnold et Andrew Torchia

DUBAI, 5 novembre (Reuters) - L'arrestation du prince Alwalid ben Talal risque d'avoir des répercussions financières considérables de par les multiples investissements que le milliardaire saoudien a effectués de par le monde.

La Bourse saoudienne a décroché à cette annonce mais elle s'est finalement retournée pour terminer la séance dominicale en légère hausse, certains investisseurs pensant que la purge de l'élite politique et financière du royaume pourrait donner un coup de fouet aux réformes à long terme.

Kingdom Holding, la société d'investissement du prince Alwalid, a perdu 7,6%, mais les banques ont pour la plupart fini en hausse, ce qui témoigne d'une certaine confiance dans l'avenir.

Pour beaucoup, le prince Alwalid, dont le patrimoine net est estimé à 17 milliards de dollars (14,6 milliards d'euros) par le magazine Forbes, est l'homme d'affaires saoudien par excellence, apparaissant fréquemment à la télévision et dans des articles de presse mettant en avant ses investissements et son train de vie.

C'est ainsi que Forbes décrivait par le menu, en 2013, son palais de marbre de 420 pièces sis à Ryad, son Boeing 747 privé doté d'un trône et sa propriété limitrophe de la capitale saoudienne, composée de cinq maisons, de cinq lacs artificiels et d'une réplique en miniature du Grand Canyon.

Alwalid est également réputé pour son franc-parler. A cet égard, il avait fait les manchettes de la presse en 2015 lorsqu'il avait jugé sur Twitter que Donald Trump, alors en pleine campagne électorale, était une "honte".

Le prince figure parmi les personnes arrêtées à la demande de la commission anti-corruption qui vient d'être créée, a-t-on appris dimanche de source autorisée.

Le roi Salman a annoncé samedi soir la création de cette commission présidée par le prince héritier Mohamed ben Salman. Cette commission a au total fait interpeller 11 princes, quatre ministres en exercice et plusieurs dizaines d'anciens membres du gouvernement.

"On va se demander ce que tout cela signifie", dit le responsable d'un établissement financier européen, qui s'était rendu à Ryad fin octobre pour participer à une grande conférence internationale destinée à promouvoir le royaume wahhabite comme terre d'investissement.

"On va s'intéresser aux investissements à l'international qu'ont pu effectuer les personnes arrêtées et essayer d'en évaluer les répercussions".

En dehors d'une participation dans la banque américaine Citigroup, le prince Alwalid, 62 ans, est également bien représenté dans Twitter, dans la société de voiturage avec chauffeur Lyft et dans Time Warner.

Kingdom Holding a récemment racheté à Crédit Agricole la moitié environ d'une participation de 31,1% dans l'établissement saoudien Banque Saudi Fransi.

"FIGURE HAUTE EN COULEUR"

Le prince, dont le père fut ministre des Finances du royaume dans les années 60, a créé Kingdom Holding en 1979 pour investir d'abord dans l'immobilier à Ryad. C'est dans les années 90 que la société s'est aventurée à Wall Street, investissant massivement dans Citigroup.

Il entretenait des liens étroits avec Sanford Weill, l'ex-patron de Citigroup, ainsi qu'avec d'autres figures de Wall Street, notamment Lloyd Blankfein, le PDG de Goldman Sachs .

Le prince Alwalid avait augmenté ses parts dans Citigroup en pleine crise financière mondiale, voici une dizaine d'années, et il n'en a rien cédé, s'estimant très satisfait de cet investissement.

"Il a toujours été une figure haute en couleur et non officielle de l'Arabie saoudite mais son pouvoir de décision au sein même du royaume était limité", a dit un homme d'affaires du Golfe.

Alwalid avait réclamé le retrait de Donald Trump de la course à la présidentielle après que le candidat républicain eut promis d'interdire l'entrée des Etats-Unis aux musulmans.

Trump avait réagi en déclarant que le prince saoudien voulait "contrôler nos hommes politiques avec l'argent de papa; peine perdu lorsque j'aurai été élu". Donald Trump fut effectivement élu président des Etats-Unis et Alwalid, bon prince, le félicita de sa victoire.

Dans une autre domaine, Alwalid ben Talal fut tôt partisan d'autoriser les femmes saoudiennes à travailler. Il voulait également que soit levée l'interdiction qui leur est faite de conduire.

DE GRÉ OU DE FORCE

Nombre de banquiers et d'analystes pensent précisément que le prince Mohamed se retrouve avec les coudées franches pour promouvoir ce type de réformes sociétales et, plus prosaïquement, pour réduire le déficit budgétaire et procéder à la cession de 300 milliards de dollars d'actifs publics.

De ce point de vue, la future introduction en Bourse (IPO) d'environ 5% du capital du géant pétrolier Saudi Aramco est l'un des piliers de Vision 2030, le plan de réforme économique élaboré par le prince Mohamed pour diversifier l'économie saoudienne et réduire sa dépendance vis-à-vis du pétrole.

Il s'agit aussi de s'attaquer à la corruption. "C'est une décision populiste mais qui ne manque pas de bon sens parce que beaucoup de princes, d'hommes d'affaires et de bureaucrates sont corrompus, perçoivent des pots-de-vin et sont impliqués dans toutes sortes d'affaires douteuses", constate Bernard Haykel, professeur de l'Université de Princeton.

Mais en remettant en cause des pratiques en vigueur depuis longtemps, le prince Mohammed risque aussi de provoquer une fuite des capitaux.

"Dans la mesure où certains des hommes d'affaires les plus en vue du pays ont été arrêtés, le secteur privé risque de prendre peur et la fuite des capitaux pourrait être encore plus forte qu'avant; en outre, la plupart des bureaucrates vont être terrifiés, peut-être à juste titre", ajoute Haykel.

Bon nombre de chefs d'entreprise pensent que le prince Mohammed s'emploiera à convaincre de gré ou de force de riches Saoudiens de rapatrier les fonds qu'ils auraient placés à l'étranger au cas où, ce qui l'aiderait à lancer les projets de développement qu'il a mûris et, en particulier, à accélérer l'IPO d'Aramco.

"Ne vous avisez pas de parier contre MbS, tel est le message qui serait envoyé aux investisseurs étrangers", dit Sam Blatteis, qui dirige le consultant régional The MENA Catalysts, usant d'une abréviation couramment employée pour désigner le prince Mohamed. "Il a déjà fait ses preuves; il ne s'agit pas d'une consolidation du pouvoir mais d'une accélération".

(Danielle Rouquié et Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Jean-Philippe Lefief)