L'expérience du Marshmallow 

Walter Mischel, un psychologue comportementaliste, a proposé une expérience débutée en 1972 pour évaluer la capacité des enfants à différer une récompense. L'expérience (un peu cruelle) consiste à placer un marshmallow sur la table d'un enfant. L'enfant devait se retenir de manger sa sucrerie s'il voulait en avoir une deuxième. Mais pour cela il fallait attendre un quart d'heure. Une éternité pour un enfant de 6 ans. Un tiers des enfants a résisté à la tentation. L'équipe de Walter Mischel a ensuite suivi ces petits cobayes pendant près de 30 ans. Les chercheurs ont observé que ceux qui avaient résisté ont eu une vie sociale et professionnelle plus réussie et épanouie. 

Même si les résultats sont discutables, l'idée était d'observer les stratégies mises en place par les enfants pour résister à l'appel de la guimauve. Les enfants ont mis en lumière tout un tas de biais cognitifs pour s'auto-persuader de résister ou pour déculpabiliser de ne pas avoir résisté. 

Cette petite expérience me permet d'introduire une notion clé dans ce qui fait la réussite d'un investisseur : La gratification différée

Il s’agit de la capacité d'un individu à retarder l'obtention d'une récompense pour augmenter sa valeur. Le concept est assez basique : "plus on attend, plus on gagne". Après, il ne faut pas tomber dans le piège du "tant que je ne vends pas, je ne perds pas" (d'où l'importance d'avoir des positions de qualité dans son portefeuille). La gratification différée, c'est un peu l'inverse de "un tiens vaut mieux que deux tu l'auras". Avec le test du Marshmallow, c'est plutôt "un tiens vaut moins que deux tu l'auras". 

Bref, ça fait beaucoup de dictons tout ça. Revenons à nos moutons. 

Dans le cas d'un investisseur, ça consiste à se priver d'une somme que l'on pourrait dépenser dans un passif et à l'investir dans un actif. C'est accepter un sacrifice dans le présent pour obtenir un bénéfice accru dans le futur. 

D'ailleurs, un chercheur de l'Université de Pennsylvanie a montré en 2005 que le test du Marshmallow est un meilleur prédicteur de réussite en investissement boursier que le score de QI. En gros, pour réussir sa vie d'investisseur, il vaut mieux préférer le futur qu'être intelligent. 

Jusque-là, tous les investisseurs ayant suffisamment de volonté pour privilégier leur gratification différée peuvent réussir. D'ailleurs, j'ai un petit tableau pour vous le prouver : 

Source : Robert Shiller – iFAST

Si vous mettez 100€ par mois sur un tracker répliquant un indice large comme le S&P500, vous êtes gagnant dans 100% des cas après 25 ans et dans 96,3% des cas après 10 ans. Et ce, peu importe quand vous avez commencé à investir entre 1912 et 2011. 

Sauf que c'est bien joli la théorie, mais dans les faits, si nous n'avons pas de retour sur investissement après une, deux ou trois années, il devient bien plus difficile de conserver son optimisme et sa conviction dans la hausse des marchés. C'est à ce moment-là que les émotions interviennent et nous font prendre les pires décisions, bien souvent au plus mauvais moment. 

Regardons de près comment ces décisions s'opèrent. Et plus précisément, comment le simple fait d'avoir la capacité de choisir (de vendre ou d'acheter une action par exemple) implique des biais cognitifs cachés qui nous poussent à privilégier le court terme et ainsi bien souvent à prendre de mauvaises décisions au mauvais moment. 

FOMO et FOBO 

Vous connaissez sûrement la FOMO pour Fear Of Missing Out (ou plus communément appelée "la peur de rater une expérience"). Cette peur nous entraîne à tout faire pour ne renoncer à rien. Alors qu'au contraire, choisir, c'est sélectionner, et donc supprimer les autres choix possibles. La FOMO est tirée d'une bonne intention : celle de vouloir expérimenter tout ce que le monde a à nous offrir. C'est une attitude ambitieuse qui pousse à la suractivité, ou dans notre cas, à l'overtrading. Si vous êtes investisseur à long terme, il faut s'en protéger. 

La FOMO a une cousine éloignée moins connue mais tout aussi perfide : la FOBO pour Fear Of a Better Option (je sais, ça fait beaucoup d'anglais tout ça). Cette "peur de ne pas faire le bon choix" nous pousse à faire du surplace. Nous l'avons tous vécu en scrollant le catalogue Netflix à la recherche du film idéal. Finalement, nous avons passé plus de temps à choisir un film qu'à le regarder (ça explique aussi le succès des séries). 

Bref, la FOBO et la FOMO illustrent deux attitudes extrêmes qui aboutissent le plus souvent à deux non-choix : tout faire ou ne rien faire ? (telle est la question). 

Vous allez me dire : En quoi ça me concerne cette histoire en tant qu'investisseur ? J'y viens. 

Ces biais cognitifs vous amènent à passer davantage de temps en amont de la décision, ce qui augmente vos attentes liées à l'investissement et vous rend également moins patient si le choix ne s'avère pas rapidement fructueux. En conséquence : Vous avez plus de chances d'encaisser vos pertes au pire moment et d'être frustré de vos non-choix/mauvais choix. 

Face à cette dichotomie, nous observons deux attitudes chez les investisseurs : 

  • D'un côté, les Maximisers qui privilégient l'exigence des décisions grâce à une méthode de stock-picking pour sélectionner leurs propres actions. 
  • D'un autre côté, les Satisficers qui privilégient la simplicité des décisions grâce à une gestion passive et une allocation d'actifs sous la forme de fonds indiciels. 

Ça ressemble à peu près à ça : 

Le problème, c'est que nous aimons choisir. Faire un choix parmi une présélection nous rend plus heureux car ce choix sera plus rapide et moins frustrant que de ne pas choisir (FOBO) ou de tout choisir (FOMO). Sans préparation psychologique à ses propres biais, ces deux attitudes sont quasiment inévitables pour les nouveaux investisseurs. 

Mais alors comment se prémunir face à ces peurs, ses biais et ses mauvais choix tout en optimisant ses placements ? 

Nous présentons ici quelques solutions. 

1 - Ecouter les pré-sélections des gérants qui réussissent 

Prendre en compte leurs choix, c'est s'éviter un lourd travail d'analyse en amont et bénéficier d'une sélection de qualité. Plusieurs sites mettent également à disposition des Stock Screeners pour identifier les opportunités, et évaluer le potentiel et la qualité d'une entreprise. 

Les Opportunists bénéficient du meilleur des deux mondes : l'exigence de qualité de la sélection des Maximisers et la simplicité et la rapidité de sélection des Satisficers

Par ici pour bénéficier de notre sélection : lien

2 – Prendre conscience de ses biais psychologiques 

Contre la FOMO, il faut juste prendre le temps d'analyser une entreprise et rentrer en plusieurs fois sur ses positions pour moyenner votre PRU (méthode du DCA – Dollars Cost Average). N'achetez pas une action que vous ne connaissiez pas il y a une semaine sous prétexte que vous en avez entendu parler sur un forum de discussion. 

Contre la FOBO, il s'agit de limiter ses options, voire de ne pas se laisser le choix. Par exemple, vous pouvez effectuer des virements automatiques vers un portefeuille diversifié, sans vous préoccuper de savoir si c'est le meilleur moment pour investir. 

Contre le biais de confirmation, (cette tendance à écouter uniquement les arguments qui vont dans notre sens) et contre l'heuristique de disponibilité (lorsque nous surestimons l'importance de quelques données à notre disposition comme des exemples de réussite similaires), il faut multiplier les sources d'informations, prendre le temps d'étudier un dossier sous tous ses angles et discuter avec des personnes en dehors de nos affinités premières qui ne partagent pas nos avis. 

Contre le biais d'excès de confiance (qui nous pousse à prendre davantage de risques), il convient de se détacher du moment présent, faire une pause sur les marchés et analyser à froid votre gestion de risque. 

Contre le biais du survivant (lorsque nous voyons uniquement les exemples qui ont réussi mais ignorons toutes les entreprises qui ont disparu), il s'agit d'étudier l'histoire des marchés : comment se créent les mouvements des bulles sur les marchés (bulle des dot-com en 2000 par exemple) et pourquoi certaines valeurs disparaissent. 

Contre l'effet d'entraînement (lorsque la pensée de groupe nous pousse à penser comme le consensus), il faut parfois être contrariant et trouver des contre-arguments à ses propres arguments. 

Contre le biais de résultat (lorsque nous jugeons la qualité de nos décisions aux résultats que nous obtenons), nous pouvons nous prémunir en tenant un journal de bord des raisons d'achat et de vente de nos actions. Relever le déclencheur de nos décisions nous permet de nous concentrer sur les bonnes raisons d'investir ou de vendre, peu importe ce qu'en dit le marché à court terme. Certaines mauvaises raisons d'investissement (par exemple : "j'achète une action parce que mon meilleur ami l'a achetée") auront de bons résultats. Et inversement. Mais sur la durée, les "bonnes raisons" (sous-entendu, basées sur les qualités fondamentales de l'entreprise) seront gagnantes. 

Et le roi de tous, le biais de l'angle mort (lorsque nous échouons à reconnaître nos propres biais). En effet, nous remarquons davantage les biais cognitifs des autres que ses propres biais. Le simple fait d'en avoir conscience réduit leur puissance. 

3 – Se fixer des objectifs 

Se fixer des objectifs (et les tenir) est capital. D'ailleurs, la manière d'investir diffère selon l'objectif qui lui est associé. Vous investissez pour financer un projet à une date butoir ? Pour prendre votre retraite plus tôt ? Ou plus confortablement ? Vous investissez pour léguer un patrimoine à vos petits-enfants ? Tous ces objectifs sont différents et le plan d'investissement qui les accompagne l'est également. 

L'idée est de se fixer un objectif SMART, c'est-à-dire : 

  1. Spécifique : Définir un but précis (exemple : "je souhaite prendre ma retraite à 55 ans"). 
  2. Mesurable : Définir un indicateur de résultat (exemple : "j'ai besoin de X€ mis de côté pour y arriver"). 
  3. Atteignable : Définir les étapes intermédiaires pour y arriver. 
  4. Réaliste : Définir les moyens pour y arriver. 
  5. Temporel : Se fixer une date limite. 

4 – Créer de bonnes habitudes 

Prendre de bonnes habitudes d'investissement découle directement des moyens mis à disposition pour atteindre son objectif. Et acquérir une nouvelle habitude est souvent difficile. Le cerveau est toujours un peu désarçonné face à des gestes ou des raisonnements qui lui sont inconnus. Mais c’est là que la phrase “La pédagogie est l’art de la répétition” a du sens : plus on s’entraîne, et plus ça devient facile. 

Pour faire simple, la courbe de difficulté d’une nouvelle tâche ressemble toujours à ça : 

En investissement, un moyen de créer une bonne habitude est d'automatiser ses versements chaque mois, qui s'ajoutent directement sur son portefeuille. Bref, l'idée est de "se payer" en premier. L'investissement est beaucoup plus facile si c'est la première dépense du mois. 

5 – Accepter de ne pas savoir 

Ça ne veut pas dire qu'il faut se satisfaire de l'ignorance. Lorsque l'on commence une nouvelle tâche, il convient d'accepter sa position de débutant. Et bien évidemment de rester curieux et de s'ouvrir à tout ce qui peut améliorer sa connaissance des marchés (histoire des marchés, analyse fondamentale, technique, psychologique, etc). 

6 - Mesurer ses progrès 

Tenir un cap ne veut pas dire pour autant ne jamais se remettre en question. En prenant note des raisons de vos investissements (vos achats et vos ventes), vous conservez ainsi une trace de votre psychologie et n'aurez pas (ou moins) de regret si cette décision est basée sur une explication raisonnée (qu'elle soit fondamentale ou technique). L'idée est de ne pas répéter deux fois les mêmes erreurs. Au fur et à mesure, votre prise de décision s'en trouvera améliorée. 

 

Conclusion 

A la question : "Êtes-vous fait pour investir ?", je répondrais que si vous êtes arrivé jusqu'ici, après 15 minutes de lecture sans manger ce marshmallow, c'est que vous avez de bonnes dispositions pour réussir en tant qu'investisseur. 

Le secret pour investir intelligemment, c’est de préférer l’avenir. Cela paraît facile à dire mais dans les faits, c'est souvent beaucoup plus compliqué de tenir un horizon lointain. 

La frénésie de notre quotidien ultra-rythmé couplée à l'envie irrépressible de consommer tout, partout, tout le temps, nous pousse à investir comme nous consommons. Nos agendas sont surchargés et nos achats sont compulsifs. 

Investir, c'est au contraire, se couper du temps présent pour s'en remettre à plus tard. 

C'est aussi se couper de ses émotions. Investir, ce n'est pas acheter des actions comme on achète un smartphone. Nous ne consommons pas, nous économisons pour un temps futur. 

Le résultat immédiat compte moins que le trajet à long terme. Et pour cela, il n'y a qu'une manière de réussir ses investissements, c'est lentement.