"Pouvez-vous nous rappeler la genèse des Objectifs de Développement Durable ?
Les ODD s’inscrivent dans un mouvement profond de politique de développement à vocation sociale et environnementale portée par les Nations Unies depuis plusieurs décennies.
C’est ce qui explique en partie leur côté abstrait. De grands concepts à caractère générales sont articulés pour donner des lignes conductrices.

Ces appels à l’action servent de cadre au niveau international, au niveau des pays, au niveau des secteurs et au niveau des entreprises afin de répondre à deux grandes préoccupations : protéger l’environnement et réduire les inégalités.

Ces ODD correspondent à une mise à jour d’objectifs introduits en 2000…
Effectivement, ils sont une mise à jour des objectifs du millénaire qui avaient vocation à définir huit grands objectifs de développement sur le plan environnemental et social dont l’échéance avait été fixée à 2015. Les ODD ont été édictées en amont de cette échéance. Nous sommes alors passés à 17 grands objectifs avec une nouvelle date butoir définie en 2030.
A ces 17 objectifs ont été associés environ 200 indicateurs statistiques afin de mesurer les progrès réalisés pour les atteindre.

Comment expliquez-vous que l’on entende autant parler des ODD en ce moment ?
C’est le reflet de la montée en puissance des sujets de développement durable du côté des entreprises et d’investissement socialement responsable du côté des investisseurs. Les ODD s’établissent dans l’ère du temps.

Quel regard portez-vous sur ces 17 objectifs et sur les indicateurs associés ?
Sur un plan macro, nous ne pouvons que saluer l’édiction de ces ODD qui sont plus précis et qui tendent à répondre à des préoccupations imminentes.
Toutefois, pour les investisseurs que nous sommes, certains ODD recouvrent un aspect trop général pour être concrètement applicables.
Ce framework relève beaucoup d’un exercice de communication avec l’affichage de grandes déclarations d’intention. Il n’impose pas nécessairement un reporting tangible, fidèle et sincère. Au point qu’est apparu ces dernières années à l’instar de la notion de « greenwashing », celle de « rainbow washing ». L’idée est qu’il existe une couleur pour chacun des 17 ODD. Et les entreprises sont enclines à s’approprier quasiment tous les ODD avec des tas de belles histoires sans véritablement livrer d’éléments matériels vérifiables.
Chez Comgest, nous nous sommes efforcés de nous servir des ODD pour déterminer quelles entreprises faisaient preuve de sérieux et de sobriété dans l’utilisation du cadre institué avec l’appui de multiples éléments factuels et quelles entreprises étaient dans une attitude creuse avec de grandes annonces dépourvues d’indicateurs substantiels.

Pouvez-vous nous donner un exemple de société faisant preuve de sérieux dans l’utilisation des ODD ?

Nous pouvons mentionner la société Christian Hansen, une société de bioscience internationale dans laquelle nous sommes investies depuis son introduction en bourse. La société a fait le choix de se contenter de trois ODD et s’est efforcée de démontrer pourquoi matériellement 82% de son chiffre d’affaires réalisé en 2018 contribuait effectivement à ces objectifs.

Pourriez-vous développer cet exemple ?

Christian Hansen est une société qui met au point des solutions naturelles pour les industries des secteurs alimentaire, nutritionnel, pharmaceutique et agricole.
Dans le cadre d’un audit réalisé par PWC selon un protocole très rigoureux, la société a été en mesure de montrer comment ses process étaient de nature à protéger les plantes et à contribuer au bien-être des personnes.

Selon vous, aucune société ne répond aux 17 objectifs ?

Elles sont vraiment très peu nombreuses. Unilever est peut-être une de rares sociétés qui à des choses à faire valoir pour l’ensemble des ODD.

Faites-vous une hiérarchisation dans les 17 ODD dans le cadre de votre stratégie d’investissement focalisée sur la qualité-croissance ?

Il y a clairement des ODD qui sont plus aptes à refléter des activités économiques par exemple promouvoir une bonne santé et un bien-être qui fait notamment écho à des entreprises évoluant dans les équipements médicaux, la pharmacie, ou même l’agroalimentaire...
A l’inverse, certains objectifs sont essentiels mais difficilement traductibles dans une logique d’investissement tels que la lutte contre la pauvreté. Peu d’entreprises ont une activité économique qui a un impact direct fort sur cette thématique.
Par ailleurs, certains objectifs peuvent avoir du sens par moment mais demeurer des exceptions, par exemple contribuer à une éducation de qualité. Il se trouve que nous avons en portefeuille une société Kroton, qui est le premier acteur dans le secteur de l’éducation au Brésil.

Quel est l’ODD le plus représenté dans votre gestion ?

Un ODD très présent, est le numéro 9, « Industrie, innovation et infrastructures ». Beaucoup de sociétés sur lesquelles nous sommes exposées contribuent à construire les conditions d’une croissance durable et responsable.

De quelle manière faites-vous la correspondance entre un ODD et une société ?
Il y a deux approches possibles. La première consiste à se focaliser sur le pourcentage du chiffre d’affaires que l’on peut rattacher à un ODD. Pour certaines sociétés le lien est évident. Pour d’autres, il faut émettre des hypothèses.
Dans une autre approche, il s’agit d’essayer de mesurer les impacts positifs générés par la société qui peuvent correspondre à un ODD.
Ces deux approches sont souvent complémentaires.

Pouvez-vous nous donner un exemple de société dont l’activité économique n’est pas directement rattachable à un ODD mais dont l’impact positif générée par son activité l’est ?
Nous pouvons indiquer l’illustration d’Heineken. Une des particularités de ce brasseur est d’être présent dans plusieurs pays émergents dans lesquels il peut y avoir du stress hydrique parce que les ressources en eau ne sont pas abondantes. La société a fait le choix de s’assurer que ses sites de production ne soient jamais en situation de prélever plus d’eau que les ressources locales ne sont capables d’en générer en mettant en place tout un système de récupération d’eau.
Ainsi l’activité de Heineken n’est pas directement rattachable à un ODD. Cependant par la manière dont la société opère dans ses centres de production, un impact positif en résulte qui est quant à lui associable à un ODD.

Quelle influence a cette correspondance dans votre choix de valeurs ? Faut-il nécessairement qu’une société soit rattachée à un ou plusieurs ODD pour être incluse en votre univers d’investissement ?
Nous allons tellement loin dans l’analyse des sociétés, ses opérations, ses produits et services, ses relations avec ses différentes contreparties… pour identifier lesquelles sont pertinentes à avoir en portefeuille que généralement les ODD ne constituent pas un bon outil pour nous aider à distinguer les valeurs à privilégier.
Cela étant, une fois que nous incluons une valeur dans un fonds, nous nous obligeons à monitorer son rattachement aux ODD. Nous en rendons compte dans le cadre de notre reporting ESG lié à l’article 173 de la Loi de transition énergétique pour la croissance verte.

Votre reporting des ODD a évolué avec le temps…
Une première grille d’analyse a consisté à rapporter ce que racontent les sociétés que nous détenons à propos des ODD.
Une deuxième grille d’analyse nous a conduit à porter un regard critique sur les déclarations des sociétés et à faire mention de ce que nous pensions de la réalité sous-jacente à ces déclarations.
La mise en parallèle des annonces et des actions débouchait souvent sur quelque chose de divergent.
Mais le fossé s’est progressivement estompé, les sociétés étant moins dans la communication sans fondements.

Que faudrait-il améliorer dans ce framework à court-moyen terme ?

Nous pouvons souhaiter qu’il y ait de la part des entreprises de plus en plus d’éléments concrets et traçables en relation avec les ODD mis en avant quitte à ce qu’elles en racontent moins mais que ce qu’elles racontent soit davantage lié à une réalité de terrain dans une logique business durable.
Nous avons régulièrement de nombreuses discussions avec les sociétés que nous détenons en portefeuille. Nous les alertons sur la nécessité d’étayer leur contribution aux ODD par des faits matériels pour assoir leur crédibilité.
Un débat peut se poser sur la capacité à concilier certains ODD... Par exemple lutter contre la pauvreté et lutter contre le changement climatique. Ou encore lutter contre la faim et préserver la vie sur la terre et sous l’eau.
Certaines actions visant à lutter contre la pauvreté peuvent être davantage émettrices de gaz à effet de serre.
Nourrir de plus en plus de monde a des répercussions certaines via l’agriculture ou la pêche sur l’écosystème.
Si nous pouvions être au départ de l’édiction de ces ODD totalement dans le flou sur la résolution de ces conflits, la mise en place de groupes de travail spécifiques et la définition de certaines méthodologies permettent de mieux en mieux d’appréhender le cadre dans son semble.

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