A quoi ressemble une monnaie numérique de banque centrale?

Des Européens échangeant entre eux en passant par une application gouvernementale chinoise, ou contrôlée par des entreprises américaines: de quoi donner des sueurs froides aux banques centrales, qui veulent que leurs monnaies nationales gardent un rayonnement international et soient des références des échanges internationaux.

Face à la montée en force des cryptomonnaies et autres stablecoins, la plupart des grandes banques centrales, notamment la Fed, la Banque d'Angleterre, la Banque centrale européenne et l'institut monétaire chinois, évaluent donc la possibilité de lancer leurs propres monnaies numériques.

La BCE envisage plusieurs options: une carte de paiement dont elle garantirait directement les fonds plutôt qu'une banque, un compte en ligne ou une application qui permettrait de réaliser des virements ou des paiements entre Européens, en limitant les frais bancaires.

L'Institut de Francfort prend notamment en compte les inquiétudes des Européens sur les risques pour la protection de leur vie privée, et ne prendra pas de décision avant l'été.

La Chine a le projet le plus abouti pour l'instant: 10 millions de yuans numériques (1,5 million de dollars) ont été distribués à des habitants de Shenzhen.

Objectif: un yuan numérique efficace lors des Jeux olympiques d'hiver l'année prochaine à Pékin. Certains observateurs estiment que la Chine veut ainsi imposer le yuan comme monnaie internationale face au dollar.

Quelle différence avec une cryptomonnaie?

L'émission de nouveaux bitcoins est régulée par un algorithme, et non par un comité de politique monétaire.

Le système décentralisé qui fait fonctionner le réseau bitcoin garantit que même ses créateurs ne peuvent pas faire tourner la planche à billets s'ils le veulent, aux antipodes de ce qu'ils perçoivent comme des abus des banques centrales.

A l'inverse, les banques centrales veulent apporter de la stabilité dans le monde très spéculatif des monnaies numériques. "Les investisseurs de cryptomonnaies surfent sur une vague de spéculation, et le gouvernement va vouloir se distinguer de ce Far West", estime Susannah Streeter, analyste chez Hargreaves Lansdown.

"Un euro aujourd'hui doit valoir un euro demain, en liquide ou numérique", tandis que les cryptomonnaies n'apportent pas "de cadre pour assurer leur valeur et protéger leur propriétaire", assène la BCE.

Ironie du sort toutefois pour les pionniers des cryptomonnaies: "la technologie qui devait préserver la confidentialité des transactions a été cooptée par les gouvernements", remarque Luke Sully, patron de l'entreprise de paiement par cryptomonnaie Ledgermatic.

De fait, 13 ans après la création du bitcoin, si le marché des cryptomonnaies a gonflé pour atteindre plus de 2.000 milliards de dollars, leur utilisation comme moyen de paiement a été quasiment abandonnée.

Paradoxalement, le secteur des cryptomonnaies pourrait profiter de projets de monnaies numériques de banques centrales.

"L'attrait d'un réseau décentralisé laisse un espace pour les spéculateurs", selon Mme Streeter.

"Cela habituerait les gens à utiliser une monnaie numérique, à comprendre ce que c'est d'avoir un portefeuille sur son téléphone", renchérit M. Sully.

Quid des "stablecoins"?

Les banques centrales s'inquiètent aussi des projets plus ou moins aboutis de "stablecoins", ces monnaies numériques dont les émetteurs, des entreprises privées, promettent qu'elles sont adossées à des fonds équivalents en monnaie classique.

Le Diem, anciennement Libra, est particulièrement dans le collimateur des gouvernements: ce projet est soutenu financièrement par Facebook. Si l'entreprise proposait un moyen de paiement efficace sur son réseau social phare ou sur WhatsApp, les monnaies traditionnelles pourraient en pâtir.

Pour la BCE, la concurrence des stablecoins est même l'une des raisons retenues pour se lancer dans une version ambitieuse d'un euro numérique.

afp/lk