par Natsuko Waki

Un tel retournement serait notamment le fait des fonds qui se sont très diversifiés, au-delà de la sécurité des emprunts d'Etat, pour accroître leurs rendements avant que la crise financière ne frappe.

Deux années de crise amènent en effet les fortunes qui ont contribué à créer ce segment de 3.000 milliards de dollars du marché financier à réfléchir à leur stratégie.

Une bonne partie de ces fonds sont basés dans les pays pétroliers mais ces derniers sont confrontés à un baril de brut qui a perdu plus de 100 dollars depuis juillet.

Certains estiment qu'avec un baril de brut à moins de 50 dollars, les besoins budgétaires des économies du Golfe ne peuvent plus être couverts et dans ces conditions il est hors de question de transférer des excédents à ces fonds souverains.

"Les fonds souverains subissent de grosses pertes et ils ont beaucoup moins dans leurs coffres. Leurs actifs étaient orientées croissance mondiale et ils ont ignoré la fonction stabilisatrice des actifs liquides", commente Brad Setser, du Conseil des Relations étrangères, un "think tank" américain.

"Ils comptent énormément sur les actifs étrangers pour couvrir des besoins intérieurs et soutenir les marchés de valeurs locaux. Mais le modèle a changé: le Golfe, qui achetait auparavant le reste du monde, devient vendeur net.... Ces fonds vont vendre les actifs étrangers illiquides".

Selon lui, le prix d'équilibre du baril de brut, permettant de couvrir des besoins budgétaires locaux grandissants, dépasse les 50 dollars alors qu'il était autour de 20 dollars durant la période 2000 à 2002.

Ces fonds souverains, qui jouissaient de rendements de l'ordre de 10% avant la crise, subissent également des pertes à deux chiffres après la crise, en prenant pour base de répartition des actifs en portefeuille, 60% d'actions, 20% de fonds d'Etat et 20% de divers, explique Setser.

Morgan Stanley estime que certains fonds souverains ont pu subir des pertes de 25% depuis le début de l'année.

Le fonds qui s'est vraisemblablement le plus diversifié est l'Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), considéré comme le plus important et aussi le plus actif d'entre eux.

Setser évalue à 150 milliards de dollars au plus la perte potentielle de ce fonds, en regard d'un actif de 500 milliards de dollars.

INVESTIR "PLEIN SUD"

Dans le nouveau contexte économique du moment, les fonds pourraient donc être moins fascinés par les rendements et se muer en acteurs actifs de soutien aux économies locales.

La chose en soi n'est pas nouvelle pour les fonds du Golfe ou d'Asie, à la différence du modèle suivi par des pays comme la Russie ou la Norvège où la priorité est donnée à des portefeuilles à dominante étrangère visant des rendements sur le long terme.

La Russie pourrait changer de style et suivre la manière du Golfe mais pas la Norvège qui dispose déjà d'un système bancaire et financier bien développé, de l'avis des analystes.

Certains jugent que les fonds souverains devraient éviter d'investir localement, pour éviter d'alimenter des pressions inflationnistes et de créer des risques d'improductivité et d'inefficacité liés à une implication trop grande du secteur public.

Andrew Rozanov (State Street Global Markets) définit le choix en ces termes: léguer aux générations futures un portefeuille financier diversifié, investi à l'étranger et qui procure un rendement sur lequel vivre, ou leur léguer une économie locale prospère et productive, qui crée de l'emploi et ouvre des débouchés industriels autres que le pétrole.

Dans le cas où les fonds souverains deviendraient vendeurs nets, déprimant un peu plus des marchés financiers qui font déjà très grise mine, ils doivent quand même investir pour assurer des rendements raisonnables aux descendants, font valoir beaucoup de professionnels.

"Si l'objectif est de faire croître les actifs pour couvrir certains engagements à venir, alors la pire des choses à faire est de tout mettre en Treasuries parce qu'à long terme, l'inflation aura sans doute fait son oeuvre", dit Rozanov.

Une étude des marchés mondiaux sur une période de 108 ans réalisée par ABN Amro montre que les rendements boursiers réels dépassent les rendements obligataires de 5,8 à 1,7% depuis 1900.

Par ailleurs, la tendance à investir "plein sud" - soit dans les pays en développement - ira sans doute en s'accélérant une fois que ces pays auront émergé de la crise.

L'Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) estime que, pour les fonds souverains, le coût de non diversification hors des fonds d'Etat américains ou des actions pourrait dépasser les 100 milliards de dollars, soit 1% du PIB des pays en développement.

"Ils seront acheteurs nets du monde", conclut Hendrik du Toit (Investec Asset Management). "Ils doivent prendre des risques. Ils ne peuvent pas dégager des bénéfices pour les générations futures en se contentant de cash".

Version française Wilfrid Exbrayat