Chester Dawson et William Boston,

The Wall Street Journal

DETROIT/BERLIN (Agefi-Dow Jones)--Les constructeurs automobiles non américains envisagent de transférer une part plus importante de leur production en Amérique du Nord après le récent accord commercial conclu entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique.

Quelques jours après la conclusion du nouvel Accord Etats-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), qui remplacera l'Accord de libre-échange nord-américain (Aléna), les dirigeants de plusieurs constructeurs automobiles étrangers ont indiqué envisager de modifier leurs chaînes d'approvisionnement afin de produire davantage de pièces détachées dans ces trois pays.

"Nous dédierons une part plus importante de notre production aux Etats-Unis au marché américain", a ainsi déclaré le président du directoire de BMW, Harald Krüger, pendant le Mondial de l'Automobile à Paris la semaine dernière. Il a précisé que le groupe allemand se fournissait déjà dans la région pour de nombreuses pièces, mais le nouvel accord commercial accélérera l'évolution des investissements.

Le patron de Daimler, Dieter Zetsche, a estimé lors du même événement que le nouveau pacte pourrait le contraindre à produire davantage de moteurs aux Etats-Unis, où il dispose d'un site spécialisé dans les SUV à Tuscaloosa, dans l'Alabama.

L'impact de l'AEUMC, qui doit encore être ratifié par le Congrès des Etats-Unis, sur les activités des constructeurs automobiles étrangers en Amérique du Nord reste incertain. Cependant, de nombreux acteurs du secteur considèrent ce pacte comme la preuve du durcissement de la politique commerciale américaine à l'heure où Donald Trump menace d'appliquer de nouveaux droits de douane sur les importations de véhicules européens et japonais.

Crainte de nouvelles restrictions

Des consultants spécialisés indiquent que les constructeurs automobiles redoutent que de nouvelles restrictions leur soient imposées, le président des Etats-Unis ayant décidé d'engager des négociations commerciales avec le Japon et l'Union européenne.

"Ces entreprises réalisent désormais qu'il existe une part de risque politique à être présent aux Etats-Unis", explique Johan Gott, associé de la société de conseil A.T. Kearney.

Depuis la création de l'Alena en 1994, les constructeurs automobiles des Etats-Unis et d'ailleurs ont développé des chaînes d'approvisionnement en partant du principe qu'ils ne paieraient pas ou peu de droits de douane en Amérique du Nord. Pendant la campagne électorale de 2016, Donald Trump avait promis de réformer l'Aléna, jugeant que cet accord pénalisait l'industrie manufacturière américaine et délocalisait des emplois au Mexique, où la main d'oeuvre est meilleur marché.

Le nouvel AEUMC exige qu'au moins 75% de la valeur d'un véhicule soit fabriquée en Amérique du Nord pour échapper aux droits de douane, à comparer à un taux de 62,5% actuellement. Les constructeurs doivent également garantir que 40% à 45% du véhicule soit fabriqué par des personnes gagnant au moins 16 dollars de l'heure, une disposition destinée à ramener une part plus importante de la production aux Etats-Unis pour y stimuler l'emploi manufacturier.

L'accord plafonne les importations annuelles de véhicules en provenance du Canada et du Mexique à 5,2 millions au total, un nombre nettement supérieur aux 4,1 millions de véhicules importés aux Etats-Unis depuis ces deux pays l'année dernière. Les véhicules qui ne respecteront pas ces nouvelles règles seront soumises à des droits de douane de 2,5%. Ces plafonds ne concernent pas les véhicules utilitaires légers.

Une majorité de véhicules de marque étrangère vendus aux USA

Les marques étrangères ont représenté 56% des ventes de véhicules légers aux Etats-Unis l'année dernière, selon Autodata Corp. Les constructeurs automobiles qui importent un nombre élevé de pièces de l'étranger, y compris des moteurs et des boîtes de vitesse, risquent de ne pas respecter les nouvelles règles pour certains véhicules vendus aux Etats-Unis, préviennent les analystes du secteur.

Ces nouvelles règles seront mises en oeuvre sur les deux à cinq prochaines années, soit le temps qu'il faut pour développer un nouveau modèle de voiture. Les constructeurs devraient d'abord chercher à transférer la production de moteurs et de boîtes de vitesse, car ces pièces représentent de l'ordre de 30% de la valeur d'une voiture et pourraient les aider à atteindre les nouveaux seuils réglementaires, expliquent des consultants.

Ceci concerne particulièrement les véhicules assemblés au Mexique avec de nombreuses pièces importées de l'étranger, puis vendus aux Etats-Unis, tels que la berline compacte Sentra de Nissan, la Golf de Volkswagen et la petite Fit de Honda.

Carlos Ghosn, le patron de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, a déclaré que l'AEUMC inciterait le groupe à investir davantage aux Etats-Unis et au Mexique, mais il n'a pas fourni de précisions. Honda et Volkswagen ont chacun de leur côté déclaré qu'ils étudiaient encore l'impact potentiel du nouvel accord sur leurs activités locales.

Mazda, qui se fournit au Japon en moteurs et boîtes de vitesse, devrait également rencontrer des difficultés à respecter les termes du nouvel accord pour la Mazda 3, une voiture compacte fabriquée au Mexique.

"Naturellement, cela changera la donne puisque nous n'atteignons pas les 75%" de pièces produites localement, a déclaré le directeur général du groupe japonais, Akira Marumoto. "Les composants qui devront être fabriqués dans la zone de l'Aléna augmenteront."

Les constructeurs de Detroit globalement protégés

A titre de comparaison, les constructeurs automobiles de Detroit, General Motors, Ford et Fiat Chrysler Automobiles n'anticipent pas un impact significatif lié à ces mesures car la plupart des véhicules qu'ils vendent aux Etats-Unis respectent probablement les exigences de salaires et de production locale. Certains modèles pourraient toutefois se heurter à des difficultés, à l'instar de la Fiat 500, fabriquée au Mexique et qui utilise des boîtes de vitesse importées d'Allemagne, d'Italie ou du Japon, en fonction du modèle, selon des données du gouvernement américain. Fiat Chrysler a indiqué prévoir que le nouvel AEUMC permette à sa production nord-américaine de "rester compétitive à domicile et sur les marchés d'exportation à travers le monde".

Certains analystes du secteur indiquent qu'à terme, les restrictions mises en oeuvre pourraient affecter la compétitivité nord-américaine en augmentant les coûts de production et les prix de vente des voitures vendues aux Etats-Unis. De nombreux constructeurs utilisent aujourd'hui l'Amérique du Nord - particulièrement le Mexique et les Etats-Unis - comme une plateforme d'exportation vers d'autres pays. Cette situation pourrait toutefois être amenée à changer eu égard à l'évolution des politiques commerciales.

-Chester Dawson et William Boston, The Wall Street Journal

(Sean McLain a contribué à cet article)

(Version française Valérie Venck) ed: ECH

Agefi-Dow Jones The financial newswire