Je n'aime pas beaucoup tomber dans la surenchère des qualificatifs en temps normal, mais certaines situations exceptionnelles méritent un traitement particulier. La politique agressive des Etats-Unis en matière de droits de douane a provoqué un séisme dans le monde, illustré par les variations extrêmes enregistrées par les actifs financiers. Je vais me cantonner aux marchés parce que je suis incompétent pour parler du reste, mais il y a évidemment aussi beaucoup à dire sur la tectonique géopolitico-culturelle à l'œuvre.
Tous les placements dits "à risque" ont plongé hier, à commencer par les actions. La manifestation la plus spectaculaire de la levée de boucliers est à chercher du côté du Nasdaq, qui a sombré de 5,4%. L'indice préféré des investisseurs, riche en valeurs technologiques, a été emporté par tout ce qui se fait de mieux en matière d'innovation : -9% pour Apple, Amazon et Meta. -8% pour Nvidia et même des baisses à deux chiffres pour une grande partie de l'univers des semiconducteurs. Le Nasdaq 100 a perdu 17% sur son pic de mi-février. Le Russell 2000, l'indice des petites valeurs américaines censé profiter du retour de Donald Trump aux affaires, a sombré de 6,6% et perd désormais plus de 20% depuis son record de novembre. En Europe, les baisses sont moindres et les indices sont même encore en hausse en 2025. Mais il ne faut pas se leurrer, tout ceci est très fragile.
Les financiers sont KO debout face à la violence de l'offensive douanière des Etats-Unis, qui a frappé indifféremment alliés de toujours et opposants historiques, grandes et petites économies, voisins proches et nations éloignées. Ils sont sidérés par une approche qu'ils jugent désormais simpliste, source de fêlures durables et, par-dessus tout, beaucoup trop aléatoire. Wall Street n'a pas tourné le dos à Donald Trump, mais sa crédibilité est sévèrement entamée dans une industrie, la finance, qui déteste l'instabilité et l'imprévisibilité.
Les variations de la veille ont été spectaculaires, en partie parce qu'une partie du marché a cru jusqu'à la fin à une tentative de bluff de Donald Trump. Par conséquent, beaucoup d'investisseurs s'étaient contentés de la protection minimum syndicale. C'est quand la marée baisse qu'on voit ceux qui se baignent tous nus, pour reprendre l'aphorisme prêté à Warren Buffett, si je ne m'abuse. Le dollar a plongé. Les rendements de la dette US ont plongé parce que les investisseurs se sont rués sur les obligations d'Etat, jugées plus sûres (nota bene pour les apprentis-financiers : le rendement et le prix d'une obligation évoluent en sens inverse). La plupart des actions ont chuté, sauf les compartiments que le marché classe en "sanctuaire" : la consommation de base, la santé, les télécoms ou les services collectifs, pour les raisons rapidement expliquées ici. Les plus fortes baisses ont concerné les technologiques américaines, j'en ai déjà parlé, mais aussi les acteurs du transport et de la logistique comme les opérateurs de porte-conteneurs (AP Moller Maersk, Hapag-Lloyd) parce que leur activité est totalement corrélée à la dynamique commerciale mondiale. Toutes les entreprises qui ont des chaînes d'approvisionnement complexes et tournées vers l'Asie ont été découpées : Adidas, Nike ou Logitech par exemple, mais aussi Apple, pour boucler avec la baisse du Nasdaq. Ces mouvements sont assez logiques, donc faciles à expliquer.
Pour corser un peu les choses, trois secteurs ont affiché hier des parcours contre-intuitifs qui méritent que l'on s'y attarde. Les valeurs du pétrole, qui tiennent en général mieux que les autres dans la configuration de marché actuelle, se sont effondrées. C'est parce que les cours de l'or noir ont plongé de 5% hier après la décision de l'OPEP+ d'augmenter son offre de façon plus marquée que prévu. Décision qui est venue s'ajouter à la pression baissière exercée par les droits de douane. TotalEnergies a par exemple chuté de 4,7%. Chevron de 6,2%. Les marges des compagnies se contractent quand le prix du baril se rapproche de leurs coûts de production. Autre variation curieuse : celle de l'or, qui a chuté de son record de 3170 USD l'once à 3100 USD environ. Quand les marchés s'effondrent, la relique barbare et son statut de refuge ultime a généralement tendance à monter. Cette baisse a intrigué hier chez les jeunes pousses de l'équipe Zonebourse. L'explication est en réalité assez simple : la chute des marchés a forcé les investisseurs à mobiliser des liquidités pour combler des pertes, faire face à des appels de marge ou faire tourner des portefeuilles. L'or est un actif très liquide, qui permet de répondre rapidement à ce type de besoin. D'où une pression baissière de court terme. Les spécialistes que nous avons pu consulter n'ont pas beaucoup de craintes sur le parcours de l'or, en dehors de ce phénomène de court terme. Enfin, troisième secteur au parcours atypique, celui de l'immobilier en Europe, qui a concentré les plus fortes hausses de la veille avec les utilités. Pour Christian Auzanneau, analyste spécialisé dans le secteur chez AlphaValue, cela reflète, en tout cas sur la séance d'hier un statut défensif car "la pierre, par nature, échappe aux droits de douane ou aux turbulences politiques de Donald". Il ajoute qu'un afflux d'argent vers les obligations européennes ferait mécaniquement baisser les taux d’intérêt à long terme, ce qui soutiendrait les cours des foncières cotées. Il classe les foncières allemandes en bénéficiaires numéro un, suivies des foncières spécialisées dans les centres commerciaux, tout en soulignant qu'il s'agit là d'une forme de volatilité exploitable, mais pas encore d'un plan de long terme évident.
Voilà, vous savez tout sur les variations bizarres de la veille.
Mais le plus important, c'est de réfléchir au coup d'après. A ce stade, Donald Trump a ouvert la voie à des discussions, tout en gardant un ton provocateur : il ne s'assiéra à la table des négociations que si les propositions du camp d'en face sont "phénoménales". Les pays ciblés ont tous eu des réactions différentes, mais les grands partenaires commerciaux ont plutôt montré les dents. On voit mal les choses se décanter à court terme, et l'on maîtrise mal la dimension dogmatique et l'effet de bloc de tout cela. Parmi les mécanismes anticipables, il est probable que les paris de baisse de taux aux Etats-Unis vont se renforcer. Les traders sont passés de deux à quatre baisses pronostiquées cette année. Jerome Powell prend d'ailleurs la parole à l'heure du goûter aujourd'hui (17h25 heure de Paris) pour un discours qui revêt une importance particulière, vu le bazar ambiant. Il interviendra après le point mensuel sur l'emploi aux Etats-Unis, qui est l'une des autres obsessions du marché (14h30).
Pour terminer, nous sommes entrés dans une phase où le timing des événements peut faire toute la différence, ou plus précisément l'articulation entre ces événements. Il n'y a souvent que de menus détails entre les spirales vertueuses et les spirales infernales. La banque centrale américaine se retrouve à nouveau avec une équation ultra-complexe sur les bras.
En Asie Pacifique, pas de miracles ce matin. Tokyo perd 3,3% sur le Nikkei 225 et 4,2% sur le TOPIX. L'Australie s'enfonce de 2,4% et la Corée du Sud de 1,7%. Les baisses sont un peu moins fortes en Chine. Les indicateurs avancés occidentaux sont encore baissiers, mais la volatilité reste forte avec un indice VIX qui a bondi de 8% hier pour toucher le niveau de 30 points, inédit depuis le micro-krach japonais de l'été 2024.
Le CAC40 perd 0,9% à 7529 points. Le SMI recule de 0,7% à 12 129 points. Le Bel20 lâche 1,1% à 4295 points.
Les temps forts économiques du jour
Les chiffres de l'emploi de mars aux Etats-Unis vont monopoliser l'attention à 14h30, avant un discours que doit prononcer le patron de la Fed, Jerome Powell, à 16h25. Tout l'agenda ici.
Les cotations sont celles du jour autour de 7h00 :
- Euro : 1,1090 USD
- Spread Bund / OAT : 73 points (+2,6%)
- VIX : 30 (+8%)
- Once d'or : 3099 USD
- Brent : 69,52 USD
- 10 ans US : 3,976%
- Bitcoin : 83 340 USD
Les principaux changements de recommandations
- Airbus : AlphaValue/Baader Europe maintient sa recommandation d'accumuler et réduit l'objectif de cours de 211 à 202 EUR.
- Amundi : Barclays maintient sa recommandation de pondération de marché avec un objectif de cours relevé de 73 à 78 EUR.
- ASML : Grupo Santander améliore sa recommandation de neutre à surperformance avec un objectif de cours de 850 EUR.
- Axa : Keefe Bruyette & Woods maintient sa recommandation de surperformance avec un objectif de cours relevé de 37 à 43 EUR.
- Bachem Holding : Baader Helvea passe d'alléger à accumuler avec un objectif de cours réduit de 81 CHF à 58 CHF.
- Bouygues : JP Morgan maintient sa recommandation neutre avec un objectif de cours relevé de 37 à 39 EUR.
- Danone : Morgan Stanley passe de pondération de marché à surpondérer avec un objectif de cours relevé de 67 EUR à 80 EUR.
- De'Longhi : Barclays démarre le suivi à souspondérer avec un objectif de cours de 23 EUR.
- Deutsche Börse : Autonomous Research passe de neutre à surperformance avec un objectif de cours relevé de 248 EUR à 323 EUR.
- Generali : Autonomous Research dégrade de neutre à sousperformance avec un objectif de cours de 30 EUR.
- Holcim : HSBC maintient sa recommandation de conserver avec un objectif de cours relevé de 85 à 92 CHF.
- Leonardo : Citi passe d'acheter à neutre avec un objectif de cours relevé de 28,60 EUR à 48,40 EUR.
- Maat Pharma : HC Wainwright & Co démarre le suivi à l'achat avec un objectif de cours de 21 EUR.
- NCC : SEB Bank dégrade son conseil d'achat à conserver avec un objectif de cours réduit de 215 SEK à 204 SEK.
- Nestlé : Morgan Stanley dégrade de pondération de marché à souspondérer avec un objectif de cours relevé de 74 CHF à 79 CHF.
- Novo Nordisk : SEB Bank maintient sa recommandation d'achat avec un objectif de cours réduit de 1000 à 850 DKK.
- Nanobiotix : Guggenheim maintient sa recommandation d'achat avec un objectif de cours réduit de 12 à 8 USD.
- Nexity : BNP Paribas Exane maintient sa recommandation neutre avec un objectif de cours réduit de 15,50 à 10,50 EUR.
- Roche Holding : Morgan Stanley maintient sa recommandation de pondération de marché avec un objectif de cours relevé de 305 à 312 CHF.
- SKF : Jefferies dégrade sa recommandation de sousperformance à conserver avec un objectif de cours de 190 SEK.
- Svenska Handelsbanken : HSBC dégrade son conseil d'achat à conserver avec un objectif de cours réduit de 145 SEK à 115 SEK.
- Swedbank : HSBC dégrade d'acheter à conserver avec un objectif de cours réduit de 285 SEK à 230 SEK.
- Saint-Gobain : HSBC maintient sa recommandation d'achat avec un objectif de cours relevé de 100 à 124 EUR.
- Scor : Keefe Bruyette & Woods maintient sa recommandation de surperformance avec un objectif de cours relevé de 28 à 32 EUR.
- Swatch Group : Vontobel maintient sa recommandation de conserver avec un objectif de cours réduit de 180 à 160 CHF.
- Swiss Re : Keefe Bruyette & Woods maintient sa recommandation de performance de marché avec un objectif de cours relevé de 120 à 140 CHF.
- Technogym : Barclays démarre le suivi avec une recommandation de pondération de marché et un objectif de cours de 13 EUR.
- Vicat : HSBC maintient sa recommandation d'achat avec un objectif de cours relevé de 43 à 63 EUR.
- Worldline : JP Morgan maintient sa recommandation neutre avec un objectif de cours réduit de 8,10 à 7,80 EUR.
- Zurich Insurance Group : Keefe Bruyette & Woods maintient sa recommandation de sousperformance avec un objectif de cours relevé de 430 à 480 CHF. Morgan Stanley maintient sa recommandation de souspondérer avec un objectif de cours relevé de 510 à 550 CHF.
En France
Annonces importantes (et moins importantes… Je précise que les informations sont données à chaud avant l'ouverture et ne préjugent pas de la couleur des actions pendant la séance)
- Stellantis annonce le licenciement temporaire de 900 salariés américains à la suite de l'annonce de l'imposition de droits de douane. L'agence Fitch a réduit de BBB+ à BBB la notation crédit du constructeur à cause des mêmes droits de douane.
- Kering rachète le lunetier italien Visard et entre au capital d'un second, Mistral.
- EssilorLuxottica et Roger Federer étendent leur collaboration pour des collections de lunettes.
- Carrefour a relevé son offre visant l'acquisition des actions de sa filiale Grupo Carrefour Brasil.
- Colas (Bouygues) remporte un contrat de 380 M€ pour opérer et maintenir des machines d'entretien ferroviaire pendant 8 ans.
- Alstom investit plus de 150 millions d'euros dans la capacité de production de ses sites en France.
- Sodexo confirme ses objectifs pour l'exercice 2024-2025.
- Scor SE mise en examen pour des faits reprochés à son ancien président, Denis Kessler.
- EPC Groupe renforce sa présence internationale avec l'acquisition de la société Pirobras au Brésil.
- Compagnie des Alpes rachète l'opérateur allemand de parcs d'attraction Bellantis pour 22 M€.
- Linedata rachète le spéciliate de l'IA NROAD.
- Latecoere vend MADES et réinvestit dans ses activités stratégiques.
- Alchimie annonce l’abandon de créance par son actionnaire majoritaire HLD à hauteur de 7 M€, avec clause de retour à meilleure fortune de 0,5 M€.
- HF Company finalise la vente de LEA Networks.
- NamR vend 4,2 M€ d'actifs à Addactis.
- Le fonds Armistice Capital détient plus de 20% de Drone Volt après sa levée de fonds.
- Les principales publications du jour : LDC, Boiron, Akwel, Oncodesign, Bio-UV… Le reste ici.
Dans le vaste monde
Annonces importantes (et moins importantes)
D'Europe
- L'Italie s'apprête à approuver l'offre d'UniCredit sur Banco BPM, selon de bonnes sources obtenues par Reuters.
- Puma a nommé l'ancien directeur des ventes d'Adidas, Arthur Hoeld, comme CEO, pour remplacer Arne Freundt, débarqué pour "divergences de vues sur l'exécution de la stratégie".
- Hapag-Lloyd pourrait devoir adapter ses services de transport en raison des nouveaux tarifs douaniers américains.
- AB Volvo investit 1 milliard de dollars dans son usine mexicaine.
- Volkswagen investit 580 M€ en Argentine.
- Banco Santander en passe d'atteindre ses objectifs pour 2025 après avoir gagné des clients au premier trimestre.
- Glencore a pris contact avec les gouvernements du Queensland et de l'Australie au sujet de l'avenir de sa fonderie de cuivre de Mount Isa et de sa raffinerie de cuivre de Townville.
- BP Plc va fermer son unité de mobilité à faible émission de carbone et se recentrer sur le pétrole et le gaz, selon le FT. Par ailleurs, le président de la BP Plc, Helge Lund, va quitter ses fonctions.
- Subsea 7 remporte un contrat aux États-Unis.
- Lenovo et Ericsson soldent leur contentieux international en matière de brevets.
- Pierer Mobility prévoit un refinancement en deux temps.
- SGS vend son siège historique genevois à Swiss Prime Site.
- Tecan achète des kits de diagnostics à Cisbio.
- Les principales publications du jour : Clas Ohlson, Industrivärden…
D'Amérique du Nord
- Intel et TSMC auraient conclu un accord préliminaire pour créer une coentreprise dans la fonderie de puces aux Etats-Unis, a rapporté The Information.
- Brookfield Infrastructure Partners achète Colonial Pipeline, le plus grand système de transport de carburant aux USA, pour 9 Mds$ dette incluse. Shell vend sa part pour 1,45 Md$.
- AbbVie revoit à la baisse ses prévisions de bénéfices pour 2025 en raison des frais d'acquisition.
- General Motors va augmenter sa production de camions dans l'Indiana à la suite des droits de douane imposés par Trump.
- Les principales publications du jour : Levi Strauss…
D'Asie Pacifique et d'ailleurs
- Rio Tinto et BHP cèdent à la pression syndicale sur les avantages accordés aux salariés de Pilbara.
- Nissan va suspendre les commandes américaines de SUV Infiniti fabriqués au Mexique après les droits de douane imposés par Trump.
- Les principales publications du jour : néant…
Le reste de l'agenda mondial des publications ici.
Lectures
- Les tarifs douaniers inconsidérés du président Trump causeront des ravages économiques (The Economist, en anglais).
- A Dubaï, les petites affaires douteuses de grands propriétaires fonciers français (Le Monde).
- L'Europe se prépare à un afflux de marchandises chinoises après l'entrée en vigueur des droits de douane américains (Financial Times, en anglais).
- Le plus grand barrage de castors du monde (Cosmorama).
- Pepsi-coula (Wall Street Journal, en anglais).
- Les médias français s'allient contre Meta dans une offensive massive et inédite (La Lettre).