n°122 - 2021 Analyses et synthèses

Une première évaluation des risques

financiers dus au changement

climatique

Les principaux résultats de

l'exercice pilote climatique 2020

Principaux résultats de l'exercice pilote climatique 2020

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VUE D'ENSEMBLE

L'exercice pilote climatique conduit par l'ACPR est inédit. C'est en effet la première fois qu'un superviseur organise avec les groupes bancaires et organismes d'assurance placés sous sa responsabilité un exercice d'évaluation des risques associés au changement climatique aussi complet et exigeant. Son caractère inédit et ambitieux réside dans l'horizon sur lequel les risques sont évalués (30 ans), les méthodologies employées (analyse de scénarios déclinés au niveau des secteurs économiques), ses hypothèses novatrices (notamment de bilan dynamique), sa couverture des risques physique et de transition, enfin, le fait que les institutions participantes évaluent directement leurs risques sur la base d'hypothèses communes. Il illustre le rôle moteur joué par les autorités et la place financière de Paris et les progrès accomplis dans la lutte contre le dérèglement climatique, depuis l'adoption de la Loi sur la transition énergétique et la croissance verte et la signature de l'Accord de Paris en 2015.

Cet exercice, conduit de juillet 2020 à avril 2021, a atteint ses objectifs :

  • De mobilisation des banques et des assureurs français: Ainsi, pratiquement tous les
    établissements bancaires et organismes d'assurance ayant contribué à la préparation de l'exercice ont répondu présent, ce dernier s'effectuant sur une base volontaire, et d'autres les ont rejoints alors qu'ils n'avaient pas pris part à la phase préparatoire : au total, ce sont 9 groupes bancaires et 15 groupes d'assurance qui se sont mobilisés sur plus de trois trimestres sans compter la phase de préparation, malgré le contexte de la crise COVID, pour mener à bien cet exercice pilote. Cette très forte mobilisation nous permet de présenter des résultats représentatifs (85 % du total du bilan bancaire et 75 % du total du bilan des assureurs) et à forte valeur ajoutée sur ces deux secteurs.
  • De sensibilisation des acteurs aux risques de changement climatique: en dépit des difficultés méthodologiques et de l'absence de certaines données clés, les institutions participantes ont salué l'intérêt de cet exercice pilote et les nombreuses avancées qu'il aura permises en termes de mobilisation transversale des équipes, de réflexions internes sur l'analyse des risques et les limites des modèles actuellement utilisés, mais également d'orientation stratégique et de meilleure compréhension des enjeux et de l'impact du changement climatique sur leur modèle d'activité. Les institutions financières ont pu prendre conscience que ce type d'exercice était non seulement réalisable mais également extrêmement utile pour progresser dans leur prise en compte du risque climatique.
    L'exercice pilote a donc servi de catalyseur aux réflexions et pour certaines, accéléré la mobilisation des équipes et des moyens.
  • De quantification et d'évaluation de scénarios complexes de transition ou de risque physique en s'appuyant notamment sur les travaux du NGFS, qui est le réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du secteur financier. L'ACPR, grâce au concours des équipes de la Banque de France, a en effet élaboré cet exercice en respectant les orientations du NGFS sur la construction des scénarios de changement climatique et en retenant deux des scénarios publiés par ce dernier en juin 2020. Ces scénarios vont servir également de socle à d'autres exercices en cours de préparation, comme ceux de la Banque d'Angleterre à partir de juin 2021 ou de la Banque centrale européenne en 2022. Il est important qu'un nombre croissant de superviseurs se saisissent de ces travaux afin de pouvoir lancer leurs propres exercices et contribuer ainsi à l'élaboration d'un socle commun de connaissances et d'évaluation des risques climatiques.
  • D'une première mesure des risques et vulnérabilités auxquels les institutions financières françaises sont exposées: l'exercice pilote complète ainsi utilement les précédentes analyses de l'ACPR, publiées en avril 2019, et fondées sur l'exploitation de questionnaires. À cette photographie instantanée, l'exercice pilote ajoute une vision prospective des risques, sur un horizon de long-terme,qui conditionne la réalisation de plusieurs scénarios alternatifs.
    L'exercice a ainsi offert aux institutions financières la possibilité d'évaluer leurs actions correctives (sortie de certains secteurs par exemple), grâce à l'hypothèse de bilan dynamique,

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et de prendre ainsi conscience de nouveaux risques : hiatus potentiel entre stratégies de sortie de certaines activités émettrices de gaz à effet de serre et objectif de maintien des parts de marché, volonté de financer l'économie ou de préserver une relation client d'où résulte potentiellement une exposition plus durable que prévu aux risques de transition ou physique.

L'exercice pilote révèle une exposition globalement « modérée » des banques et des assurances françaises aux risques liés au changement climatique. Cette conclusion doit être cependant relativisée à l'aune des incertitudes portant à la fois sur la vitesse et l'impact du changement climatique. Elle est également contingente aux hypothèses, aux scénarios analysés et aux difficultés méthodologiques soulevées par l'exercice. Sur la base des structures actuelles de bilan, il apparaît néanmoins que des efforts importants sont à fournir en vue de contribuer à réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon de 2050 et à contenir ainsi la dynamique des températures d'ici la fin du siècle.

L'exercice pilote montre, sur la base des scénarios et hypothèses retenus, tout d'abord une exposition et des vulnérabilités globalement « modérées », déjà mise en évidence dans les travaux précédents de l'ACPR. La France, qui concentre environ 50 % des expositions des institutions financières françaises, ou l'Europe, qui en recouvrent environ 75 %, sont relativement moins impactées que d'autres zones géographiques selon les projections du Groupe d'experts intergouvernementaux sur l'évolution du climat (GIEC) qui sont utilisées dans cet exercice. La France contribue également pour moins de 2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre1. En revanche, les expositions sur des zones géographiques telles que les États-Unis(qui représentent environ 9 % des expositions) apparaissent plus sensibles au risque de transition.

L'exposition des institutions françaises aux secteurs les plus impactés par le risque de transition, tels qu'identifiés dans cet exercice (industries extractives, cokéfaction et raffinage, pétrole, agriculture, etc.), est relativement faible. En outre, les établissements ont tendance à réduire leurs expositions à ces secteurs à l'horizon 2050. C'est néanmoins dans ces secteurs que le coût du risque et les probabilités de défaut progressent le plus. Le coût du risque y augmente ainsi fortement, étant multiplié par trois dans ces secteurs sensibles. À titre de comparaison, la crise COVID a jusqu'à présent conduit en 2020 à un doublement du coût du risque pour les banques françaises dans un contexte de fortes pertes d'activité. La contribution de ces secteurs à la progression du coût du risque (i.e. les provisions pour pertes attendues) apparaît supérieure à leur part dans le bilan des banques. C'est dans ces secteurs que sont également concentrées les pertes relatives en portefeuille pour les banques et les assurances, avec toutefois une dispersion importante en fonction des expositions individuelles. t Dans l'interprétation de ces résultats, il convient de garder en tête qu'aucun des scénarios analysés n'induit de récession économique à l'horizon 2050, contrairement à la pratique usuelle des stress-tests, mais, pour les scénarios adverses, une moindre croissance de l'activité.

Même si la France est relativement épargnée dans les scénarios du GIEC, l'exercice pilote montre que les vulnérabilités associées au risque physique sont loin d'être négligeables. Ainsi, sur la base des éléments remis par les assureurs, le coût des sinistres pourrait être multiplié par 5 à 6 dans certains départements français entre 2020 et 2050. Les principaux aléas contribuant à cet accroissement de la sinistralité sont liés au risque « sécheresse » d'une part et « inondation » d'autre part, ainsi qu'à l'accroissement du risque de tempêtes cycloniques dans les territoires ultramarins. Cette augmentation de la sinistralité met en évidence un risque d'assurabilité sur certaines parties du territoire, risque dont les assureurs ont estimé qu'il pouvait être intégralement compensé par une hausse des cotisations. S'agissant des banques, l'exercice montre que les progrès accomplis dans la prise en compte du risque physique sont très limités au regard du constat dressé par l'ACPR en 2019

1 Cette situation favorable est due à la part du nucléaire dans la production d'électricité. Cette situation n'est cependant pas exempte de risques dans le contexte du changement climatique, comme l'a illustré l'épisode de sécheresse de l'été 2020. La baisse du niveau des eaux a en effet rendu difficile le refroidissement de certaines centrales, conduisant la France à produire ou importer de l'électricité issue de centrales à charbon.

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qui soulignait déjà le retard pris par rapport au développement de l'analyse du risque de transition. Deux établissements seulement ont ainsi été en mesure de quantifier l'impact d'un accroissement de la non couverture en assurance sur ses paramètres de risque de crédit. Cette situation est principalement liée à la difficulté des établissements d'avoir, au niveau consolidé, une vision précise de la localisation géographique de leurs expositions (immobiliers, entreprises).

  • Les institutions bancaires et les assureurs doivent donc approfondir dès aujourd'hui leurs actions en faveur de la lutte contre le changement climatique, en intégrant les risques induits par ce dernier dans leur processus d'évaluation des risques financiers, car ce sont ces actions qui contribuerons aux évolutions observables à moyen et long terme. Cette meilleure prise en compte du risque de changement climatique est en effet nécessaire pour favoriser une meilleure allocation des ressources et assurer le financement de la transition. Si la prise de conscience semble générale, le degré de maturité reste hétérogène et certaines institutions n'ont pas encore nécessairement intégré le bon degré d'urgence à agir.

Cet exercice fait également apparaître un certain nombre de limites méthodologiques sur lesquelles il est nécessaire de progresser. Il marque donc le point de départ de nouveaux travaux pour améliorer la méthodologie des stress-tests climatiques. Les principaux points d'amélioration identifiés par l'ACPR portent sur :

  • Les hypothèses retenues pour la confection des scénarios et l'identification des secteurs sensibles : une difficulté rencontrée par les institutions ayant participé à l'exercice tient à la faible variabilité entre les différents scénarios proposés par l'ACPR. Ce point avait déjà été identifié par l'ACPR, ce qui l'avait conduit à ajouter aux scénarios publiés par le NGFS, un scénario de transition accélérée. En outre, les modèles utilisés par les banques pour quantifier les risques ne sont pas adaptés pour intégrer des évolutions très lisses des variables macroéconomiques et financières sur une longue période. Il en est de même des compagnies d'assurance qui ont l'habitude de traiter des chocs climatiques extrêmes mais non des impacts climat lissés et déterministes sur un temps long. L'horizon très long implique aussi des travaux coûteux en matière de projection des matrices de transition. Enfin, l'absence d'effets de rétroaction entre évolution de la structure sectorielle du bilan du secteur financier et les risques financiers (générés par les évolutions climatiques) n'incite pas nécessairement les institutions à mettre en œuvre une politique active de réduction des risques, la plupart des scénarios de transition considérés atteignant l'objectif de neutralité carbone en 2050. Une seconde difficulté tient à l'identification des secteurs sensibles ou exposés au risque climatique : cette identification est tout d'abord contingente à la méthode utilisée. Elle suppose ensuite des hypothèses sur l'évolution du mix énergétique, de l'intensité et de l'efficacité énergétique de la production qui n'ont pas été intégrées de façon satisfaisante dans le présent exercice. Enfin se pose la question de la granularité sectorielle et du rattachement des expositions ou des contreparties à une nomenclature donnée, en particulier lorsque que l'activité de ces dernières couvre plusieurs secteurs.
  • La prise en compte du « risque physique », notamment pour le portefeuille corporate, est un point notable d'amélioration sur lequel un travail collectif est également nécessaire car il implique aussi une prise en compte des interdépendances et une bonne connaissance des chaines de valeurs qui reste largement insuffisante. L'absence ou le caractère lacunaire des informations publiées par les entreprises en est une des causes principales. Cette difficulté pourrait être en partie progressivement levée avec les exigences futures (a minima au niveau européen) en matière de publications des informations extra-financières.Pour le secteur de l'assurance, la question de la frontière d'assurabilité mérite également des travaux complémentaires.
  • L'amélioration des modèles utilisés par les établissements bancaires ou les organismes d'assurance et des sources de données nécessaires pour une meilleure prise en compte du risque climatique (notamment au niveau sectoriel ou des entreprises et des contreparties).
    Plusieurs pistes méthodologiques intéressantes ont été mises en œuvre par les institutions financières dans le contexte de cet exercice qu'il convient d'explorer plus avant.

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Prochaines étapes : les constats dressés seront suivis par la mise en place de nouveaux groupes de travail avec la place ainsi qu'avec des contreparties externes. En outre, les experts de l'ACPR et de la Banque de France contribuent activement à la préparation de l'exercice qui sera mené par la BCE en 2022 et aux travaux européens et internationaux conduits dans plusieurs enceintes telles que l'autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, l'Association internationale des contrôleurs d'assurance ou encore le Comité de stabilité financière. Cet exercice d'évaluation des risques financiers induits par le changement climatique sera reconduit régulièrement. Le prochain exercice de l'ACPR devrait se tenir en 2023/2024.

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