Historiquement, une monnaie plus forte représente un désavantage compétitif pour ces nations exportatrices. Mais face à la menace imminente du retour des droits de douane américains suspendus temporairement, la réévaluation monétaire pourrait devenir un compromis stratégique relativement peu coûteux.

La semaine dernière, le won coréen s’est envolé après qu’un responsable a reconnu que la politique de change avait été abordée lors d’une rencontre à Milan avec des représentants américains le 5 mai. Quelques jours plus tôt, la monnaie taïwanaise avait bondi de 8% dans la foulée de discussions inédites avec Washington. Le Japon, de son côté, tente de programmer une réunion entre son ministre des Finances et le secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, en marge du G7 au Canada, pour évoquer les taux de change.

Ces mouvements interviennent dans la foulée de la trêve commerciale surprise de 90 jours conclue entre Pékin et Washington. Pour Alicia Garcia-Herrero, économiste en chef pour l’Asie-Pacifique chez Natixis, cela place les voisins de la Chine dans une position délicate : “C’est une très mauvaise nouvelle pour la Corée, le Japon ou Taïwan. Maintenant, ils doivent offrir ce que la Chine a réussi à éviter.”

La pression monte à l’approche du 8 juillet, date à laquelle pourraient entrer en vigueur les tarifs douaniers américains de 25 à 46% visant plusieurs pays d’Asie, suspendus pour trois mois. Dans cette course contre la montre, les devises deviennent un outil de négociation : “Les Coréens pourraient se dire qu’un won plus fort est dans leur intérêt, autant le proposer d’eux-mêmes”, avance Fred Neumann, chef économiste Asie chez HSBC.

Le dollar comme point de bascule

Trump et Scott Bessent ont affirmé leur préférence pour un dollar fort, mais de nombreux observateurs soupçonnent que la Maison-Blanche cherche en réalité à affaiblir la devise américaine. Certains parlent même d’un hypothétique accord “Mar-a-Lago”, à l’image du Plaza Accord de 1985, visant à faire baisser le billet vert.

“Si un pays cède et accepte une appréciation modérée de sa monnaie, cela pourrait créer un effet domino”, explique Homin Lee, stratégiste macro chez Lombard Odier à Singapour.

Pour les marchés, une baisse du dollar serait susceptible de réduire les déficits commerciaux américains. Cela expliquerait en partie la récente baisse du billet vert et le recul des actifs libellés en dollars.

Taïwan, dont la devise a fortement grimpé, dément toute pression de la part de Washington. Mais un proche du dossier reconnaît que “les questions de change finiront par être abordées dans les négociations. Personne ne peut résister à la pression américaine.”

Un pari risqué pour l’Asie

Techniquement, la plupart des devises asiatiques sont en deçà de leur valeur réelle sur le long terme, ajustée en fonction de l'inflation et des échanges commerciaux. Cela leur donnerait une marge de manœuvre théorique pour s’apprécier.

Mais cette sous-évaluation est aussi le reflet de pressions désinflationnistes structurelles dans ces économies, qui rendent leurs biens toujours plus compétitifs à l’export. “Une réévaluation aggraverait ces pressions, et pourrait renforcer le risque de déflation” , avertit Claudio Piron, stratège chez Bank of America.

De plus, toute baisse du dollar pourrait déclencher des ventes massives d’actifs américains par les États asiatiques, qui détiennent collectivement plusieurs dizaines de milliers de milliards de dollars, entre réserves de change, obligations et dépôts bancaires.

Enfin, même dans les marchés les moins ouverts d’Asie, la capacité réelle des gouvernements à manipuler les taux de change est limitée. “Aujourd’hui, les banques centrales ne peuvent que légèrement contrer la tendance. Elles ne contrôlent plus la direction du marché”, résume Fred Neumann.

Pour Tohru Sasaki, stratège chez Fukuoka Financial Group, un accord de type Plaza Accord est peu probable : “Certains rêvent d’un yen 10% plus fort face au dollar, mais comment le réaliser et surtout, comment le maintenir ? Ce serait une illusion. Dans la réalité, c’est impossible.”