* Emmanuel Macron au Caire pour une visite officielle

* Abdel Fattah al Sissi est dans le viseur des défenseurs des droits

* Le président français exclut toute rupture de coopération

par Marine Pennetier

LE CAIRE, 27 janvier (Reuters) - Emmanuel Macron a estimé dimanche, à la veille de sa rencontre au Caire avec son homologue égyptien Abdel Fattah al Sissi, que la situation des droits de l'Homme et des libertés individuelles en Egypte avait empiré et qu'elle menaçait désormais la stabilité du pays lui-même.

Lors de la visite du président égyptien à Paris en octobre 2017, le chef de l'Etat français avait à l'époque refusé de donner "des leçons" à l'Egypte, suscitant l'ire des ONG qui s'alarment régulièrement de la violation des droits de l'Homme depuis l'arrivée de Sissi au pouvoir en 2014.

"Sur le sujet des droits de l'homme en Egypte, les choses se sont empirées depuis octobre 2017 de manière très claire", a dit Emmanuel Macron lors d'une rencontre avec des journalistes au Caire, à la veille d'un tête-à-tête avec son homologue au palais présidentiel.

"Je pense qu'aujourd'hui, ce ne sont pas simplement des opposants politiques qui sont emprisonnés mais bien des opposants qui sont dans le champ démocratique traditionnel mais qui ne menacent pas la stabilité du régime, ce sont des journalistes, des homosexuels, des femmes et des hommes qui ont des convictions mais qui ne me semblent en rien menacer le régime", a-t-il poursuivi.

Le chef de l'Etat a fait savoir qu'il entendait, lors de cette visite qui s'achèvera mardi, évoquer la question des droits de l'Homme "plus ouvertement" afin de montrer une gradation" par rapport à octobre 2017. Il a également estimé que la libération de deux prisonniers, sur la liste transmise à son homologue à Paris, était un "résultat insuffisant".

"COMMENT PRETENDRE ASSURER LA STABILITE?"

Allié "stratégique" de la France dans la lutte contre le terrorisme, l'Egypte connaît depuis l'arrivée de Sissi au pouvoir la "pire crise des droits humains de l'époque récente" selon les ONG de défense des droits de l'Homme qui dénoncent une pratique "systématique" de la torture (Human Rights Watch), un climat de "peur" (Ligue des droits de l'Homme) et l'arrestation d'opposants.

Pointées du doigt, les autorités égyptiennes ont démenti détenir des prisonniers politiques et assurent que certaines mesures législatives, jugées liberticides, sont nécessaires pour lutter contre le terrorisme.

"Ma ligne, c'est stabilité et respect de la souveraineté, mais ce qui est en train de se passer ici menace à terme la stabilité-même de l'Egypte", a déclaré Emmanuel Macron. "La politique telle qu'elle est en train de se faire est perçue par les intellectuels, la société civile égyptienne comme plus dure que le régime de (Hosni) Moubarak".

"Je ne vois pas comment on peut prétendre assurer la stabilité durable dans ce pays en pensant qu'on peut continuer à durcir au-delà de ce qui peut être accepté ou justifié pour des raisons de stabilité", a-t-il ajouté. "Ça devient paradoxal et en quelque sorte néfaste pour le pays lui-même."

Emmanuel Macron a toutefois exclu de rompre toute coopération avec l'Egypte, estimant que cela reviendrait à renforcer le partenariat entre Le Caire et d'autres "puissances" moins regardantes selon lui sur la question des droits de l'Homme.

"Je regarde qui sont les autres partenaires de l'Egypte et dénoncer depuis Paris telle ou telle exaction ou décider de rompre toute forme de coopération pour ces raisons conduirait encore plus rapidement l'Egypte vers la Russie ou d'autres puissances qui n'attendent que cela", a-t-il dit.

Ces pays "sont dans cette stratégie revendiquée d'aller voir les Etats qui se comportent de manière autoritaire, pour leur dire 'ces Européens viennent vous donner des leçons, venez avec moi, vous allez voir on est des partenaires, nous on ne vous ennuie pas', ce qui serait pire d'un point de vue d'efficacité en matière de droits de l'Homme et de nos intérêts stratégiques", a-t-il ajouté.

Après une visite sur le site archéologique d'Abou Simbel, dans le Sud, avec son épouse Brigitte, le chef de l'Etat français a rencontré dimanche soir au Caire des intellectuels et artistes égyptiens.

Lundi, il est attendu au palais présidentiel où il sera accueilli par Sissi pour un tête-à-tête, une cérémonie de signature d'accords - au total une trentaine devraient être conclus durant la visite pour un milliard de dollars - avant un déjeuner. Les deux dirigeants se retrouveront pour dîner dans la soirée. (Edité par Henri-Pierre André)