par Ed Davies, Sumeet Chatterjee et Gayatri Suroyo

NUSA DUA, Indonésie, 15 octobre (Reuters) - Après avoir subi des mois durant des sorties de capitaux, les pays émergents qui ont participé à l'assemblée générale du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale ont délivré le message suivant aux grandes puissances économiques: les politiques monétaires et commerciales actuelles risquent de nous mettre tous à genoux.

Cette assemblée, qui s'est conclue dimanche, a permis aux banquiers centraux et ministres des Finances de la planète de se rencontrer en Indonésie, dont la monnaie a touché la semaine dernière un nouveau plus bas de 20 ans.

Les pays émergents densément peuplés et les plus pauvres sont particulièrement vulnérables dans un contexte de bataille commerciale entre Pékin et Washington et de remontée des taux d'intérêt aux Etats-Unis.

Les investisseurs vendent les actifs jugés les plus risqués, provoquant une chute de certaines monnaies, telles la roupie indienne et le rand sud-africain, et des crises dans des pays tels que la Turquie et l'Argentine.

"Nous sommes tous conscients que la normalisation de la politique monétaire des Etats-Unis, ainsi que leurs politique budgétaire et commerciale (...) créent ensemble un impact systémique pour l'ensemble de l'économie mondiale", a déclaré le ministre des Finances indonésien, Sri Mulyani Indrawati.

Le cycle de resserrement monétaire lancé par la Réserve fédérale fin 2015 a provoqué un changement d'orientation des flux de capitaux au détriment des pays émergents. Après trois hausses intervenues cette année, la Fed en prévoit encore une autre en décembre, trois en 2019 et une en 2020.

Un responsable de la Fed a dit que ces hausses se justifiaient d'un point de vue interne et que la banque centrale américaine faisait en sorte qu'elles soient progressives et prévisibles afin d'atténuer une volatilité involontaire sur les marchés émergents.

La banque centrale d'Indonésie est intervenue régulièrement pour soutenir sa devise et a relevé les taux cinq fois depuis la mi-mai. Pourtant, la roupie a perdu 11% depuis le début de l'année, tombant à des niveaux que l'on n'avait plus vus depuis la crise financière asiatique de 1998.

Aménager la politique monétaire dans le contexte actuel est difficile, a dit Perry Warjiyo, le gouverneur de la banque centrale indonésienne.

"Les primes de risque sont très difficiles à intégrer parce ce qu'elles répondent à la géopolitique, aux tensions commerciales", a-t-il dit à Bali.

RISQUES DE "DÉBORDEMENTS"

Les ministres des Finances du Groupe des Vingt-quatre (G24) pays émergents ont enjoint les grandes puissances économiques de réformer les mécanismes du commerce international plutôt que d'en rejeter les règles et institutions.

Le communiqué du G24, publié en marge des réunions de Bali, constate que tous les pays émergents souffrent d'une volatilité excessive des flux de capitaux.

Cela étant, même s'il y a des peurs et un constat commun, il est difficile de développer une coopération destinée à faire face aux risques, remarque le ministre indonésien des Finances.

"On ne voit pas très bien comment on pourra avoir une coordination plus efficace au niveau mondial, surtout lorsque chaque pays a ses propres problèmes internes", a-t-il dit.

Le peso philippin a ainsi perdu près de 8% de sa valeur cette année et Diwa Guinigundo, gouverneur adjoint de la banque centrale, estime que le FMI et d'autres organismes internationaux doivent prévenir les grandes puissances économiques des conséquences potentiellement négatives de leurs décisions.

"Ce que nous craignons, ce sont les débordements (...) et leurs effets potentiels du marché financier vers le marché réel", a-t-il dit.

Même s'il juge que relever les taux de manière préventive est légitime, il ajoute que les banques centrales devraient aussi prendre en compte l'influence croissante des marchés émergents.

"Il faut aussi souligner que l'Asean+3 (Chine, Japon, Corée du Sud) représente une bonne partie de la population et du PIB mondiaux".

L'Asean regroupe l'Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande, Singapour, les Philippines, le Vietnam, la Birmanie, Bruneï, le Laos et le Cambodge.

"TOUS GAGNANTS OU TOUS PERDANTS"

Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, a exhorté les participants aux assemblées générales à apaiser les tensions commerciales et à s'employer à améliorer les règles du commerce international.

Elle les a également avertis qu'il ne fallait pas rajouter la question des monnaies aux conflits commerciaux au risque de saper la croissance mondiales et de mettre en danger les "spectateurs innocents", notamment les pays émergents qui fournissent des matières premières à la Chine.

Mohamed Maait, le ministre des Finances égyptien, a dit que les autorités monétaires des pays développés devaient comprendre que si leurs décisions affectaient les autres pays, ils subiraient eux-mêmes un choc en retour.

"Vous avez besoin de moi car je suis un marché pour vous, une opportunité", a-t-il dit à Reuters. "Je ne crois pas qu'il y aura d'un côté un gagnant et de l'autre un perdant; soit nous sommes tous gagnants, soit nous sommes tous perdants".

Les turbulences n'épargnent en effet pas les pays développés: Wall Street a subi six séances dans le rouge d'affilée avant de rebondir vendredi dans la crainte d'une véritable guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis.

Néanmoins, en dehors de pratiquer une politique monétaire efficace, les pays en développement n'ont guère de possibilité d'amortir les répercussions des hausses de taux et des batailles commerciales, de l'avis de Jacob Frenkel, président de JPMorgan Chase International.

"Quand les grands s'affrontent, les petits trinquent", a-t-il résumé.

(Avec Fransiska Nangoy Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Patrick Vignal)