Vous n’avez pas pu passer à côté du fiasco de la semaine. En Une de tous les canards spécialisés et généralistes depuis hier, le flop du rachat des droits télévisuels des ligue 1 et 2 du football français s’affiche comme une illustration manifeste du doute qui plane sur l’univers médiatique hexagonal. 

Qui pour racheter les restes impayés de l’espagnol Mediapro (le propriétaire de la chaîne Téléfoot) ? Canal + ou BeIN Sport, les chefs de rang du boycott,Amazon ou Discovery (maison-mère d’Eurosport), les mastodontes américains attirés par l’odeur du sang et du contenu bradé, DAZN, le challenger spécialiste du sport qui a traversé la Manche sur ses pieds d’argile, Altice, patron de RMC Sport dont on définit mal la position sur ce champs de bataille et qui a en plus, pardonnez ma trivialité, le cul entre deux chaises, M6, le gentil patriote qui se pointe comme le sauveur, ou Jean-Michel Roussier, le directeur général de Mediapro, mal planqué derrière son patronyme comme un légionnaire romain de la BD Astérix derrière un brin de buisson ? 

Ces tribulations footballistiques semblent en fait sonner le glas des milliards à tout-va, de la toute puissance des droits TV, des bulles financières que le petit écran pouvait s’offrir jadis. Avec la concurrence des plateformes de streaming américaines et le repli des recettes publicitaires dû à la pandémie, la TV française ne va, en fait, pas si bien que ça. Dans ce contexte, les mouvements de concentration (ou dilapidation) des diffuseurs, soit la consolidation du secteur médiatique français, semblent inévitables. 

Bertelsmann ou le chamboule-tout 

Les groupes historiques du hertzien français auraient certainement pu donner le change encore un peu plus longtemps. Mais c’était sans compter sur l’annonce qui allait soudain donner un coup de pied dans la fourmilière : la rumeur de cession, par l’allemand Bertelsmann, géant des médias et de l’édition, des activités françaises du groupe RTL, lui-même détenteur de 48,26% du groupe M6.

Ne le blâmons pas. Bertelsmann vient de claquer 1,83 milliard d’euros pour s’emparer du numéro trois américain de l’édition (Simon & Schuster), et à ce titre, il réorganise un peu ses poches. Par ailleurs, Thomas Rabe, PDG du groupe allemand, a bien vu arriver les grands méchants américains sur le terrain des contenus et son flair lui fait dire qu’il serait bon que le secteur européen se consolide rapidement, pour conserver une chance dans le combat. 

C’est ainsi que ce même Rabe s’est déjà rapproché de Vivendi (maison-mère de Canal + détenue par Vincent Bolloré) en décembre dernier pour lui céder Prisma Presse (Femme Actuelle, Géo, Gala, Capital…) et se concentrer sur son marché national. 

Ici encore, qui pour racheter la petite-chaîne-qui-monte (qui n’est plus du tout petite ni montante) ? Pour le coup, il n’est plus seulement question de montants ou de vexations sur fond de “je vous avais dit que c’était trop cher”, mais plutôt de réglementation européenne. 

Titre RTL group
Variation du titre RTL group depuis mai 2020

Enfin, plus question de montants, il faut le dire vite. Le paquet RTL-M6 (Fun Radio, RTL2, Gulli, W9, 6ter, Téva, Paris Première, Canal J), c’est, au bas mot, 1,8 milliards de capitalisation boursière et  jusqu’à 3 milliards si l’on en croit nos confrères. En France, M6 est la deuxième plus forte audience pour un groupe privé, et RTL, la deuxième radio du pays.  

Mais revenons à nos moutons. Sur le Vieux Continent, il existe des règles qui régissent la concurrence médiatique, créés pour protéger le spectateur, et empêchent la possession de plus de 40% du marché. Or, ce détail sera d’importance pour la suite de l’histoire. 

Parmi les prétendants, les noms des français TF1 (TMC, TFX, TF1 Séries Films, LCI), Altice (BFM TV, BFM Business, RMC Info) et Vivendi (Canal +, C8, CStar, CNews), de l’italien Mediaset ou encore du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky (propriétaire de Elle France et Télé 7 jours) ont été avancés. Celui qui remportera l’enchère pourrait bien, en vertu des lois anti-concentration, avoir à réorganiser ses possessions. 

Bolloré, l’homme qui voulait une radio 

Là aussi, il faut faire un léger détour. Dans la grande saga des médias français qui s’écharpent et se rachètent, il y a le caillou dans la chaussure : l’empire Lagardère. Détenue en partie par Arnaud Lagardère, et en bien mal posture, la partie média de l’empire du même nom est au cœur d’un duel que se livrent Vincent Bolloré (encore lui !) et Bernard Arnault, le patron milliardaire de LVMH. Lagardère News, c’est notamment Europe 1, Le Journal du Dimanche, Paris Match et les éditions Hachette. 

Vincent Bolloré, Vivendi

S’il est peu probable que l’un des deux empoche la totalité de l'organisation (mais plutôt qu’ils se séparent les actifs), le dénouement de l’affaire pourrait influencer la décision de Vivendi de se jeter, ou non, dans la course à M6-RTL. En effet, Bolloré aurait jeté son dévolu sur Europe 1 pour créer des synergies avec sa chaîne CNews. S’il parvenait à l’acquérir, il y a fort à parier, selon les observateurs, qu’il ne prendrait pas part à la poursuite des actifs M6. 

Loin du feuilleton prévisible, l’avenir de la TV française devrait donc, dans les prochains mois, être riche en rebondissements. Les guerres de capital et les mouvements de consolidation nous abreuveront sans doute d’épisodes tout aussi passionnants que conséquents pour la production audiovisuelle et l’information du pays.