"Quel regard portez-vous sur le retour des flux sur la classe des actifs émergents, notamment les actions, depuis le début de l’année ? Pensez-vous que ce trend a vocation à perdurer ?
La classe des actifs émergents a enregistré ces cinq dernières années une très mauvaise performance avec une forte volatilité. Alors que sur la période, l’indice MSCI des actions développées a connu un rendement de 5,4% par an en moyenne, l’indice MSCI Emerging markets s’est replié de 5,7% par an. [chiffres au 20 juin]

L’année 2016 a donc commencé avec des niveaux de valorisation très dégradés pour les pays émergents.

A cela s’est ajouté le fait qu’un certain nombre de problèmes identifiés début janvier se sont beaucoup atténués, voire ont disparu dans les semaines qui ont suivi. Parmi les problèmes qui assombrissaient le panorama en tout début d’année, nous pouvons évoquer la forte remontée du dollar qui alimentait les craintes autour d’une possible dévaluation du renminbi ; l’anticipation de plusieurs hausses de taux par la Réserve fédérale américaine ; la perception de difficultés accrues rencontrées par l’économie chinoise renforcée par le vif repli du cours des matières premières.
Ces divers facteurs de risque ont poussé les marchés émergents vers un plancher qui a été touché le 21 janvier précisément.

Progressivement l’horizon s’est éclairci avec des chiffres et des déclarations rassurantes de la part d’autorités politiques et monétaires, en premier lieu desquelles la Fed, laissant place après le sommet du G20 à Shanghai, à l’idée que les appréhensions exprimées n’avaient probablement pas lieu d’être.

C’est ainsi que du 21 janvier au 20 juin, le rallye affiché par les actions émergentes s’élève à 19%.

En quoi investir dans les marchés émergents fait-il sens aujourd’hui ?

Malgré la hausse récente, les valorisations demeurent très attrayantes. A fin mai, le PE des actions émergentes se situe autour de 13 et celui des actions développées à 20. Parallèlement le ratio price to book est à 1,4 pour le premier bloc contre près de 2 pour le second.

Sur le plan fondamental, la mise à mal des devises est allée bien au-delà du choc des termes de l’échange. L’écart est évalué entre 5% et 7%. Dit autrement, les devises émergentes ont atteint un niveau extrêmement déprécié, ce qui a donné à de nombreux pays un regain de compétitivité qui a permis à leur balance courante de commencer à se redresser. C’est le cas notamment du Brésil, de l’Inde, de la Pologne et de la Turquie.
Par ailleurs, les taux réels sont élevés dans de nombreux pays alors que l’inflation est généralement sous contrôle, ce qui permettra un assouplissement de la politique monétaire. Nous escomptons ainsi une baisse des taux de 200 points de base au Brésil au cours des 12 prochains mois.
Finalement, hors Chine et Arabie Saoudite, les réserves internationales des pays émergents sont restées stables à des niveaux élevés.

Depuis peu, nous avons observé une accalmie des flux entrants. A quoi est-elle due ?

A deux principaux facteurs. D’une part, l’éventualité d’une hausse des taux en juin par la Fed qui ne s’est finalement pas concrétisée. Ensuite le référendum sur l’Union Européenne qui a lieu cette semaine au Royaume-Uni. L’aversion pour le risque des investisseurs internationaux dessert en général les intérêts des marchés émergents dans la mesure où ceux-là préfèrent revenir vers des actifs plus sûrs.

Dans le cas où l’épée de Damoclès que représente un possible Brexit venait à être levée, il est vraisemblable que les marchés émergents continuent de bien performer. En particulier, nous nous attendons à ce que l’écart de croissance entre les pays développés et les pays émergents se creuse à nouveau à la faveur des derniers.

Peut-on admettre à l’heure qu’il est que 2016 pourrait marquer un nouveau cycle haussier pour les actifs émergents à l’instar de celui que nous avons vécu entre 2003 et 2007 ?

Si cette hypothèse est plausible, il est encore trop tôt pour la vérifier. D’importantes incertitudes persistent dans le monde émergent autour des politiques poursuivies, des réformes structurelles nécessaires à implémenter, de la compétitivité retrouvée, de la gouvernance améliorée…
Retrouver un trend aussi porteur que celui qui a débuté en 2003 suppose à mon sens la réunion de deux facteurs clés. En premier lieu, la poursuite d’une amélioration conjoncturelle. En second lieu la mise en place de réformes structurelles d’envergure.

Aussi robuste qu’il soit, le trend ne sera pas similaire en tous points à celui des années 2000 dès lors qu’il ne bénéficiera pas des mêmes éléments de soutien qu’à l’époque, notamment la montée en puissance de la Chine, qui a été extrêmement favorable pour le cours des matières premières, et une remarquable amélioration des fondamentaux et des politiques macro-économiques dans de nombreux pays.
De surcroît, cette tendance ne sera pas générale et une plus grande différenciation entre les pays émergents est de rigueur.

Quels pays parviendront à tirer leur épingle du jeu ?

Difficile de répondre avec exactitude. On voit que de grands pays latino-américains comme l’Argentine, le Mexique, le Pérou, la Colombie, le Chili ont fait et continuent de faire de réels efforts pour s’en sortir. En Asie, nous pouvons sans ambiguïté évoquer le cas de l’Inde et de la Chine.

Au-delà du Brexit, quels autres risques pourraient compromettre l’appétit des investisseurs pour les actifs émergents au cours de la deuxième partie de l’année ? D’aucuns évoquent le risque d’une élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ou encore le risque d’un sévère « credit crunch » dans un certain nombre de pays émergents...

Il est difficile aujourd’hui d’avoir une idée précise de ce qu’est le programme économique de Donald Trump, mais ses déclarations n’ont pas l’air très favorables au commerce international. Toute tendance protectionniste serait dommageable aux pays émergents.

La dette des pays émergents a considérablement augmenté ces dernières années. Cependant dans beaucoup de cas, le niveau absolu de dette publique reste faible. Ce faisant, les inquiétudes ont jusqu’ici essentiellement porté sur la dette des entreprises privées en dollar compte tenu de la violente dépréciation des devises et du risque de hausse des taux américains. Il apparaît que les tensions autour de cet aléa se sont beaucoup affaiblies sur fond d’une stabilisation des devises et d’une Fed encline à se montrer plus accommodante qu’initialement annoncé.

Pensez-vous que l’écart de performance entre les actions émergentes depuis le 21 janvier (+19%) et les actions développées (+11%) et de la zone Euro (+5.5%) devrait demeurer cette année ?
C’est ce que nous supposons à condition que nous n’ayons pas de Brexit.

Peut-on escompter d’autres épisodes de stress émanant de la Chine comme ceux que l’on a vécus à l’été 2015 ou au début de l’année 2016 ?
L’impression est celle d’une stabilisation de la situation en Chine à court terme notamment grâce aux mesures de relance adoptées. Aussi, nous ne nous attendons pas à une nouvelle vague de volatilité émanant de la Chine d’ici la fin de l’année. Même si le niveau des créances douteuses a vocation à s’élever au cours des prochains mois, nous ne ferons pas face à une situation de crise pour le système bancaire et financier chinois.

Vous n’entrevoyez pas une nouvelle intervention significative de la part de la PBOC sur le yuan ?

A priori, cela ne sera pas le cas, sauf si le dollar venait à fortement remonter. Or ce scenario est, sous réserve de Brexit, peu probable aujourd’hui. La reprise qui est l’œuvre dans la zone Euro, les taux directeurs américains qui devraient remonter seulement doucement, et l’incertitude qui pèse sur les élections américaines sont autant d’éléments qui ne militent pas en faveur d’une appréciation supplémentaire conséquente du billet vert.

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