"Quel regard portez-vous sur l’évolution des marchés durant l’année qui vient de s’écouler ?
L’année 2018 a été compliquée. Elle s’est achevée avec des résultats très contrariants si l’on se réfère au consensus de début d’année.
Janvier 2018, l’avis majoritairement partagé était que la tendance positive de fin 2017 allait se prolonger tout au long de l’année. La macroéconomie était globalement bonne. Les opérations de rachat d’actions, notamment aux Etats-Unis devaient soutenir la cote. Ces éléments laissaient présager des performances boursières positives à échéance. Ce n’est pas ce que nous avons obtenu.
Une autre caractéristique atypique de l’année 2018 a résidé dans le fait que l’ensemble des classes d’actifs ont subi des corrections, toutes zones confondues. Il n’a pas été possible de se raccrocher à une branche, en particulier pour les gérants diversifiés. Ce n’est que dans les dernières semaines que le taux à dix ans américain a pu servir de valeur refuge lorsqu’il est passé en dessous de 2,60%.
Décembre 2018 a constitué le pire mois de décembre de baisse du marché des actions américaines depuis 1931 et le plus mauvais mois dans l’absolue depuis février 2009. La variation enregistrée a été de -9%.

Comment expliquez-vous ce bilan ?

Les principales explications sont relatives à des craintes concernant le ralentissement macroéconomique qui vont bien au-delà des tensions commerciales palpables entre les Etats-Unis et la Chine. Par ailleurs les flux vendeurs ont entrainé d’autres flux vendeurs. Il y a eu 100 milliards de dollars de rachats sur le segment des actions américaines au cours des quatre semaines de décembre, une période durant laquelle traditionnellement les volumes sont faibles.
Une autre considération à avoir à l’esprit eu égard à la mise en branle des actions américaines est le report de beaucoup d’investisseurs américains vers les fonds monétaires américains qui offrent désormais un rendement de 2.5%.

Comment pressentez-vous cette année 2019 ?

Nous pouvons légitimement nous demander si la détérioration de la confiance sur la sphère financière va se répercuter sur la sphère réelle. Nous pourrions faire face à une prophétie autoréalisatrice.
Pour l’heure nous sommes sur un scénario central d’un ralentissement de la croissance économique sans tombée en récession aux Etats-Unis. L’indice ISM qui reflète le moral des agents économiques dans le secteur des services (qui représente 80% de l’économie américaine) reste bien orienté. Il est passé de 60,5 points à 57,6 points. Ce niveau est encore compatible avec une progression du PIB de 2,5%. La composante « nouvelles commandes » de cet indice reste élevée, à 62,5 points.
Selon nous, la Fed devrait rester prudente et réactive et en cela continuer à être un bon appui pour le marché. Il est possible qu’elle ne procède pas aux deux relèvements de taux attendus. Dans tous les cas, elle orientera sa communication de manière à ne pas surprendre.

Quel regard portez-vous sur la macroéconomie en Europe ?

Les indicateurs PMI en Europe ne sont pas bons pour les trois principaux pays de la zone euro, Allemagne, Italie et France. L’économie allemande a beaucoup souffert du secteur automobile du fait de l’implémentation de la réglementation anti- pollution et de la baisse des ventes en Chine. L’économie italienne montre probablement des répercussions des tensions politiques qui se sont manifestées. L’économie française n’a pas été imperméable au mouvement des gilets jaunes.
Des estimations tablent sur une croissance nulle pour la région au quatrième trimestre 2018. Une prévision qui s’est reflétée dans le fléchissement du Bund à 10 ans à 0,20%.
La dynamique devrait rester atone cette année, sans pour autant afficher un retournement.

Que vous évoque la situation de la Chine ?

Nous ne sommes pas très inquiets concernant l’essoufflement de la dynamique chinoise. Les autorités seront en mesure d’apporter le soutien nécessaire. Le taux de réserves obligatoires a dernièrement été abaissé. Des mesures fiscales sont escomptées pour encourager la consommation des ménages et l’investissement des entreprises.

Quel résultat cette toile de fond macroéconomique pourrait donner sur les marchés ?

Les prévisions avancées pour cette année sont très hétérogènes. Certaines analyses sont très pessimistes et ne voient pas de progression des bénéfices cette année et d’autres sont plus constructives et tablent sur une variation positive, notamment de +9% aux Etats-Unis.

A notre sens des ingrédients sont indispensables pour alléger la pression et augmenter l’appétit pour les actifs risqués. En premier lieu, la bonne tenue des indicateurs économiques phares étroitement surveillés par le marché, qui constituent notre scénario central. Ensuite, la conclusion d’un accord commercial entre les Etats-Unis et la Chine, qui ne nous parait pas hors de portée. Par ailleurs, la Fed doit maintenir un cap conciliant. Enfin, la stabilisation du cours du baril au niveau actuel, en repli de 30% par rapport au niveau du début d’année 2018, pourrait également jouer un rôle favorable à travers le stimulus procuré au pouvoir d’achat.

Indépendamment de ces différents paramètres, nous ne voyons pas de scénario catastrophe se produire sur les marchés cette année ne serait-ce que parce que le positionnement de la plupart des investisseurs est très prudent. C’est un facteur technique de support important.

Où résident les principaux risques ?

L’ébranlement supplémentaire de la confiance des investisseurs du fait d’indicateurs économiques mal orientés représente une première menace.
Les aléas politiques relatifs à l’attitude du Président Trump vis-à-vis de ses principaux partenaires commerciaux et au dossier du Brexit pourraient aussi influencer négativement le marché.

Nous voyons difficilement un vote explicite favorable ou défavorable à l’arrangement trouvé entre Theresa Mae et l’Union européenne se dessiner. En cela l’article 50 du traité de Maastricht pourrait être reporté. In fine, l’hypothèse d’un deuxième référendum pourrait se concrétiser. Entre temps, la situation restera très inconfortable.

Quid du sujet italien ?

Le problème italien concentre pour l’instant moins les attentions. Le Budget a été voté avec une estimation de dette à 2,04% par rapport au PIB et la Commission européenne a décidé de lever les éventuelles sanctions de déficit excessif.
Cependant, il n’est pas à écarter que l’Italie devienne à nouveau un souci prochainement face au constat de la poursuite de la dégradation de la conjoncture dans le pays.

Qu’en est-il de votre allocation d’actifs ?

Nous avons deux principales surpondérations pour les prochains mois : les actions émergentes et les obligations à haut rendement (high yield) européennes.

Les actions émergentes ont été mises à mal plus tôt que les autres classes d’actifs. Les valorisations sont très basses, autour de 10 de P/E.
Un effet de rattrapage pourrait se faire sentir. Parallèlement, la dette émergente a affiché une certaine résilience en décembre, contrairement à la dette privée européenne et américaine. Cela laisse entrevoir des premiers signes de stabilisation des flux émergents.
Par ailleurs, l’appréhension d’une vive remontée des taux dix ans américains s’est dissipée. Le dollar est plutôt inscrit dans une tendance baissière cette année.

S’agissant des obligations HY européennes, le niveau de taux absolu nous parait attractif. Le rendement est passé de 3% à 4,80% / 5%. Parallèlement, la hausse des taux de défaut devrait être modérée.
A contrario, les obligations européennes de qualité seront soumises à la pression du marché primaire, les émissions s’annonçant fortes. L’effet de taux d’Etat, avec le Bund à 0,20% sera significatif.

L’exposition à ces deux classes d’actifs (actions émergentes et obligations HY euro) sera progressive. Nous irons par paliers.

Qu’en est-il des actions américaines et européennes ?

Nous sommes en sous pondération sur les actions américaines et plutôt neutres sur les actions européennes.
Pour ce qui est des actions américaines, les valorisations ne nous semblent pas encore très attractives par rapport aux autres marchés actions. Nous pensons que le report des investisseurs américains vers les fonds monétaires va se poursuivre.

Comment appréhendez-vous la problématique de la liquidité ?

Nous sommes très vigilants s’agissant de la bonne liquidité de nos fonds.
La liquidité des fonds CPR Croissance et les fonds CPR Credixx de CPR AM qui utilisent respectivement des ETF et des dérivés est restée substantielle.
Nous avons peu de fonds pure Crédit cash long terme ouverts au sein de la Maison.

L'utilisation des protections contre la volatilité sera-t-elle une piste davantage exploitée cette année?

Pas nécessairement à court terme. Suivant la configuration des marchés, le regain de volatilité renchérit le coût de protection.
A certains moments, dans le cas où nous devions être plus prudents, il sera préférable de réduire totalement la voilure plutôt que d'acheter des protections.
A d’autres, à l’instar des jours qui ont suivi le vote du référendum favorable au Brexit , ces stratégies se sont avérées très utiles…la réactivité étant toujours de mise.

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