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(Easybourse.com) Quelle est votre perception quant à l'évolution des marchés financiers à l'heure actuelle ?
Même si nous pensons que le plus gros de la crise est derrière nous, nous demeurons prudents s'agissant des perspectives d'évolution.
Nous devrions assister dans les prochains mois à beaucoup de volatilité, des «up and down», notamment du fait de l'annonce de résultats de certaines sociétés aux États-Unis.

La progression devrait rester relativement molle, ce au moins jusqu'à ce que le marché considère que nous avons atteint le niveau plancher.

Quand pensez-vous que ce niveau plancher sera atteint ?
Nous sommes actuellement sur les marchés mondiaux en euro à -16%. Nous étions descendus jusqu'à -21% à la mi-mars.
Nous estimons que nous pourrions encore connaître une baisse de 10% avant d'atteindre ce seuil minimum. Il y a encore eu ces derniers jours des dépréciations d'actifs relativement importantes mises en avant par de grandes banques.

Nous nous placerions alors avec une baisse cumulée depuis le début de l'année entre -20 et -25% avec un return négatif à la fin de l'année entre -5% et -10%.

À ce moment-là, nous pourrions alors envisager un rebond franc des marchés actions.

Quel est votre sentiment quant à l'évolution de l'économie américaine ?
Les nouvelles macro-économiques concernant les États-Unis sont en demi-teinte. Nous pensons que nous sommes aujourd'hui dans une situation de récession. Une réelle interrogation porte sur l'intensité de cette dernière.

Nous parions, de notre côté, sur une récession de courte durée, de faible intensité (0,9% de croissance d'ici la fin de l'année après deux premières trimestres négatifs) dans la mesure où de multiples facteurs devraient permettre d'amortir les effets, le déterminisme de la banque centrale américaine étant un des plus importants.

Depuis l'apparition de la crise, la FED a réduit ses taux de près de 3%. Nous étions à 5,25% à la fin du mois de juin l'an dernier, nous sommes aujourd'hui à 2,25%. Sans compter les manœuvres connexes comme l'abaissement du taux d'escompte, les injections massives de liquidités, la prise en charge dans le bilan de la banque centrale d'un certain nombre de MBS de nombreux organismes financiers en difficulté, le sauvetage in extremis de Bear Stearns…

Pensez-vous que la FED pourrait procéder à une nouvelle baisse des taux d'ici la fin de l'année ?
Une réduction à 1% serait imaginable d'ici la fin de l'année, avec une baisse de 75 points de base d'ici la fin du deuxième trimestre. Cela dépendra du degré de volatilité des marchés qui se déterminera dans les semaines qui viennent.

Vous n'envisagez pas à une sortie de la crise avant 2009?
Du point de vue économique, nous envisageons la sortie de la récession dans le courant du second semestre 2008.
La croissance bénéficiaire des entreprises ne pourrait se rétablir, quant à elle, qu'à l'horizon 2009.

Envisagez-vous une révision importante à la baisse des bénéfices des entreprises ?
Absolument. Nous anticipons une révision à la baisse de 15 à 20%.
Cela s'explique par fait qu'une multitude de facteurs négatifs pèse sur les résultats des entreprises.

Si nous analysons la situation actuelle, tous secteurs confondus, nous nous inscrivons dans un ralentissement conjoncturel, avec une inflation non maîtrisée de nombreuses matières premières qui, ne pouvant être répercutées intégralement sur les prix à la consommation, viennent grever les résultats des entreprises, avec une inflation induite de second tour sur les négociations salariales par les travailleurs qui souhaitent conserver leur pouvoir d'achat (le mois dernier, les travailleurs du secteur public en Allemagne ont négocié une augmentation de leur salaire de l'ordre de 5% pour 2008 et de 3% pour 2009).
Par ailleurs, nous observons des difficultés de financement pour les entreprises, les banques étant devenues beaucoup plus regardantes quant à la solvabilité des emprunteurs, l'accès au crédit a été rendu beaucoup plus difficile.

Bien évidemment certains secteurs sont plus affectés que d'autres par la révision notable des bénéfices. Les entreprises exposées directement à l'augmentation des matières premières, par exemple dans le secteur de l'alimentation comme Nestlé, Danone du fait de la flambée des matières premières agricoles.

Quel est votre sentiment quant à l'évolution de l'économie européenne ?
Jusqu'à présent l'économie européenne a relativement bien résisté.
Un certain nombre de sondages et d'indicateurs de confiance ces derniers mois étaient meilleures qu'attendu (l'indice IFO, l'indice INSEE, l'indicateur de la commission européenne mesurant les sentiments par rapport au contexte économique).

Nous tablons sur une croissance de 1,6% d'ici la fin de l'année, soit un niveau inférieur au potentiel.
Si nous ne sommes pas en situation de récession, pour autant les effets du ralentissement prononcé de l'économie américaine se fait fortement ressentir.
Par ailleurs, l'économie européenne pâtit d'un euro fort. Si pour certains, cela permet d'amortir l'inflation des matières premières, pour autant nous observons qu'un certain nombre de grands groupes internationaux (Airbus, EADS) signalent vouloir ouvrir des succursales dans des zones dollar.
Ce paramètre est défavorable à la zone euro d'autant plus que la BCE ne semble pas autant encline à vouloir venir en aide aux marchés que la banque centrale américaine.

L'inflation vous semble-t-elle être un réel problème ?
Je pense que oui. Nous avons une inflation qui est de plus de 3%, soit un niveau supérieur de 1% au moins à l'objectif fixé par la BCE.
Cette inflation renvoie à une thématique du pouvoir d'achat qui est centrale dans plusieurs grands pays de la zone européenne.

Doit-on s'attendre à un changement dans la politique monétaire menée par le BCE ?
Je pense que parce qu'il n'y aura qu'un ralentissement important et non une récession en Europe et que par ailleurs, l'inflation constitue une véritable préoccupation, il faut s'attendre au mieux à un statu quo de la BCE.
Il a même un été évoqué à demi-mot l'éventualité d'une augmentation ce qui a entraîné l'augmentation de l'euro à un 1,60 dollar. Ce n'est pas le scénario central dans lequel nous nous inscrivons, pour autant cela ne nous paraît pas impossible.

Quel indicateur suivez-vous pour rendre compte du durcissement des conditions de financement ?
Les spreads de crédit sont un élément de mesure essentiel. Depuis l'apparition de la crise des subprimes et de la crise du crédit, on observe une augmentation importante des spreads de crédit vis-à-vis de la dette des marchés émergents, des obligations investment grade ou high yield.
Nous nous retrouvons avec des spreads qui avoisinent les 600 points de base. Ceci témoigne du renchérissement des conditions de crédit.

Par ailleurs, si nous observons sur le marché monétaire le différentiel entre les taux à trois mois et les taux pratiqués tous les jours, là aussi il y a une augmentation significative des spreads importante.

Quel regard portez-vous concernant la résistance des pays émergents ?
Dans l'ensemble, les économies émergentes continuent à bien se porter.
La Chine annonce une croissance pour le premier trimestre de l'ordre de 10%, l'Inde prévoit une progression de 7 à 8%.
La croissance de ces pays qui représentent plus de 50% de la contribution à la croissance mondiale constitue certainement une source de soutien pour la croissance mondiale et permet d'amortir le phénomène récessif observé aux États-Unis.

Au-delà de cet aspect macro-économique, nous remarquons que sur le plan financier le découplage n'est pas avéré. Les marchés émergents sont ceux qui ont le plus corrigé depuis le début de l'année…
Sur ce point il est à noter une différence importante entre les pays d'Asie dont les bourses ont souffert de manière importante, et les pays d'Amérique latine où nous avons une situation plutôt enviable. L'indice MSCI Latin America a gagné près de 25% depuis le début de l'année essentiellement grâce aux matières premières. De ce fait l'Amérique latine nous paraît être une zone à privilégier…

Quelle est finalement votre stratégie d'investissement ?
Nous privilégions très clairement les obligations par rapport aux actions, en particulier les obligations les plus risquées : la dette émergente, les obligations investment grade et high yield.

Les spreads de crédits actuels constituent une prime de risque pour l'investisseur, un surcroît de rendement. Nous estimons que cette prime de risque compense largement le risque réel que représentent ces investissements. Nous n'avons pas eu jusqu'à présent de taux de défaut de paiement qui soit véritablement en hausse.

En effet, si nous nous trouvons effectivement dans une situation de récession, pour autant les fondamentaux restent bons. Les entreprises ont des bilans relativement sains. Le niveau d'endettement n'a rien à voir avec ce qu'il avait pu être au moment de l'éclatement de la bulle Internet.

Ainsi ces obligations plus risquées constituent une réelle opportunité dans la mesure où nous avons des rendements très intéressants, de l'ordre de 8 à 10% dans un contexte de marché boursier qui fait au mieux depuis le début de l'année -20%.

Sur le plan des actions, nous sommes positionnés de manière très défensive en mettant l'accent sur des secteurs comme les télécoms, les utilities, et sur des valeurs peu cycliques, de croissance, plutôt de grandes capitalisations.

Propos recueillis par Imen Hazgui

- 25 Avril 2008 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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